[Attention ce post aborde des sujets sensibles prenez le en compte avant votre lecture]
L’ambiance de la bibliothèque vide n’est pas sans rappeler celle des livres d’horreurs qui habille certaines de ses étagères. Un silence glacial règne, sans Odette pour le ponctuer de bruit de pas et de page qui se froisse à mesure qu’on les use pour en boire le contenu. Et ça me va très bien. Si dans la musique ce ne sont pas les soupirs que je préfère en temps normal, aujourd’hui je ne supporte pas les sons, tout me semble si… agressif. Ma tête est prise dans dans un étau douloureux, un voile lourd, opaque. Je ne pouvais m’en prendre qu’à moi-même, d’avoir voulu jouer les chimistes avec mon pouvoir dans l'espoir de me sentir mieux. Le lendemain du bal, ça faisait encore effet malgré une gueule de bois monumental. Mais aujourd’hui c’était retomber. Violemment.
La journée avait été invivable, mais ce soir le silence rendait l’ambiance plus supportable. C’est pourtant avec dépit que je prépare les nouveaux arrivages qui doivent être exposés le lendemain, l’étiquetage d’un livre sur deux est faux, la plastification négligée, et la présentation bâclée. Je ne parviens pas à me concentrer, c’est à peine si je capte ce que je suis en train de faire, j’ai seulement envie d’être… autre part. Sans vraiment savoir où. Pas coincé entre deux étagères de merisier à emballer des bouquins en tout cas.
...
Oh et puis ça me saoule je ne voie même pas pourquoi je continue à travailler juste parce qu’on me l’a demandé. J’ai autre chose à foutre que de perdre du temps sur leurs conneries !
Dans un geste rageur, je balance le livre que j’ai entre les mains sur la table parmi les autres, de toute façon à part pioncer en ce moment je suis bonne à rien alors autant se
casser. Je prends mon sac, ferme les stores, éteins les lumières et file en claquant violemment la porte dans un son qui s’épand en échos à travers les couloirs parfaitement déserts. Si je plisse douloureusement les yeux face au surplus sonore, la quiétude qui suit me calme un instant alors que je navigue dans ce labyrinthe de corridors. Seul on se sent toujours plus libre que lorsque le regard des autres vient parasiter nos pensées comme un bruit blanc, invisible, constant. C’est ce que je me dis tout le temps. Que plus je me tiens loin de qui que ce soit, mieux je me porte. Alors pourquoi il a fallu que sur les milliers de personnes qui peuples cette école ce soit moi qui le croise ?
La forme sombre, inhabituelle, d’un corps étendu au sol, inconscient. Ou plutôt celle d’un serpent misérablement crevé au bord de la route, victime de sa propre imprudence. Car imprudent, il l’avait été, a constamment écrasé sous la semelle caoutchouteuse de ses immondes chaussures cirées tout ce qui ne lui plaisait pas, sans même penser qu’un jour les conséquences poindraient pour le rappeler à l’ordre. Ça ne m’empêche pourtant pas de réagir au quart de tour, de le mettre en pls, et d’initier les gestes de premier secours pour le sécurisé. Il n’a beau n’être qu’un immonde salopard a mes yeux, ça ne me viendrait même pas à l’esprit de prendre le risque de le laisser dans une situation aussi dangereuse, bien sûr qu’il faut l’aider.
Je m’apprête à appeler l’infirmerie et capte que je n’ai pas mon téléphone. Putain. Bon. Je vais essayer d’utiliser la magie rouge, pour vérifier son état, ses causes et voir s’il est plus sage de le bouger en vitesse ou d’aller chercher les secours sans le transporter. Je laisse la magie me connecter à son corps, s’insinuant entre chacune de ses cellules pour en analyser le contenue.
Alors, dis-moi, Harold Escargoth Andréatus, de quoi paies-tu le prix ? Celui de la colère de ceux que tu te plais à rabaisser ? Celui de ton visible amusement à abuser de ta magie pour contenter un mauvais sens du spectacle ? Ou est-ce que tu es toi-même cette lame de fond qui t’a trainé au sol ?Visiblement la troisième réponse, si j’en crois les vérifications. Il est anormalement faible. Son organisme tourne au ralenti puisqu’il n’a juste pas l’énergie pour fonctionner vu que ce sombre abruti ne lui fournit plus rien, il s’épuise, ce laisse mourir à petit feu. D’où le malaise sévère qu’il est en train de nous faire, aggravé par un visible traumatisme crânien. En règle générale mieux vaut faire venir les secours à la victime plutôt que de la transporter. Mais aux vues de son état n’y a absolument pas une seconde à perdre si on ne veut pas qu’il ait de violentes séquelles cérébrales, mieux vaut l’emmener aux mages de l’infirmerie plutôt que de perdre du temps et risquer d’atteindre le point de non-retour. Je hèle à travers les couloirs pour réclamer de l’aide et constate que finalement la solitude n’est pas toujours si gratifiante qu’elle en a l’air, face à cette absence de réponse. Tant pis. On va se démerder.
Je le manipule avec délicatesse et le soulève consciencieusement afin de le faire passer en travers de mes épaules en positions sécuritaires pour le transport de victimes inconscientes. En même temps de commencer prudemment à marcher, je me connecte à son organisme pour essayer lui transférer de l’énergie brute par contact. Je ne tire pas trop sur la corde histoire de ne pas flancher sur le chemin non plus, mais je lui refile ce que je peux histoire que son organisme ait au moins de quoi faire tourner son cerveau et son cœur le temps que je l’amène à des pros.
Alors Andréatus, c’était ça tes « grands projets » ? Tu croyais peut-être que j’allais te laisser l’honneur de crever ? Si même moi on m’en empêche et on me force à me raccrocher à toutes ces conneries insignifiantes alors croît moi je ne te laisserais pas faire.
« Tu vas vivre, comme tout le monde, connard. »
Murmurais-je entre les dents alors que l’épuisement lié à mon état de base, au transfert d’énergie et à son transport commence à se faire sentir dans les marches. Je douille, mais je ne lâcherais rien, croît moi, si je n’ai au final qu’une seule qualité c’est cette putain de hargne. Si je dois être cette enfoirée qui te sauve la mise alors que tu n’en as pas envie, c’est avec plaisir que je le serais. Non seulement tu vas vivre, mais tu vas bouger ton cul et te reprendre en main aussi. Parce que, dit moi Harold, il en pense quoi ton frère de la merde que tu fous ? Lui qui semble t’accorder tant d’importance, est-ce que tu as songé à lui quand tu t’es fracassée sur ce sol ? Je l’espère. Parce que t’as visiblement quelqu’un qui tiens à toi abrutis, alors fous pas ça en l’air, même pour une personne, ça vaut la peine.
C’est avec soulagement que j’aperçois les contours caractéristiques de l'entrée de l’infirmerie se dessiner sur le mur. J’accélère le pas dans la mesure du possible, ouvre la porte comme je le peux et interpelle le premier médecin qui passe.
« Hé ! C’est une urgence, vous avez un lit que je le dépose ? C’est le professeur Andréatus, ses symptômes sont semblables à ceux d’un violent malaise accompagné d’un traumatisme crânien et d’un état de sous-nutritions. »L’infirmier réagit au quart de tour, réclame de l’aide auprès d’autres soignants libres et me fait signe de le suivre en me demandant les opérations effectuées sur le patient. J’essaie d’être exhaustif sur les gestes appliquer, le check-up de magie rouge et le transfert d’ATP en espérant avoir bien fait. Ils m’aident à le déposer et je me sens très moyennement bien en me redressant, bien que débarrasser de mon poids. Je le laisse entre leurs mains expertes en espérant avoir bien agi, et surtout en espérant que ce con soit rattrapable. De toute manière j’ai fait ce que j’ai pu, maintenant c’est entre leurs mains alors… Ah ! Si. Une dernière chose. Je me pointe à l’accueil de l’infirmerie, un peu inquiet.
« Vous… contacterez son frère ? Il aimerait sans doute être au courant… »Évidemment qu’ils vont tenir au courant sa famille proche… J’voulais juste être sûr, mais après coup je me sens super bête. Bref. On ne va pas s’attarder ici, je suis vidée, et je sais que ce serait plus sûr de demander si je peux me reposer à l’infirmerie, mais je n’y arriverais pas. C’est un peu chancelante que je me rend aux dortoirs, la vue trouble, la tête dans les vapes, et que je m’effondre sur mon lit. J’essaie au moins d’avaler un truc vite fait pour reconstituer des réserves d’énergie dans l’objectif d’être un peu plus vivante demain, mais sans grand espoir. Je… J’espère que ça en valait la peine et qu’il va utiliser à bon escient cette possibilité de se rétablir. Tout le monde… Tout le monde peut changer, n’est-ce pas ?