J'en ai marre.
MARRE.
Marre de ce corps inutile, de ce FARDEAU que je transporte.
Marre des voix, des cris, des pleurs que j'entends.
Marre des rêves des autres, d'entendre leurs peurs, leurs joies, leurs vies alors que RIEN N'EXISTE DANS LA MIENNE.
Marre de me taper des insomnies pour un pauvre soutien. Une béquille fragile pour la psyché défoncée de tous les enfants qui dorment autour de moi.
Marre de ne pas savoir ce qui est vrai quand je ne rêve pas. Marre de ne pas comprendre ce qui se passe autour de moi.
Marre de devoir fournir des efforts juste pour suivre un cours, écouter une leçon.
Marre de ne connaître personne, et d'en savoir trop sur tout le monde.
J'en ai marre.
J'en ai cauchemarre.
Alors cette nuit, c'est mon tour.
Je vais m'endormir, je le sais. Et cette fois, j'entre dans MON rêve.
Cette fois, je m'occupe de MOI.
Je suis dans ma chambre. Dans mon lit.
Je ferme les yeux.
Quand je les ouvre à nouveau, je suis dans un endroit vide.
Mon espace.
Ma toile.
Prête à être peinte.
Je lève mon bras et d'un geste de la main, je crée un sol.
Noir. Bleuté. Reflet de ciel sur un lac d'été.
Tu seras mon support.Le silence est pesant. Ce silence ne me va pas. C'est mon espace, je l'occupe pleinement.
De mon autre main, j'occupe l'espace sonore.Bien.
Commençons.Je regarde le ciel, il est vide.
Je mèle mes doigts à ce vide qui me surplombe.
Je sens ce rien me filer entre les mains.
Je le saisis.
Et le déchire.
L'espace se brise au dessus de moi, créant des fissures, puis des failles.
La lumière coule de ces failles et se verse devant moi, je la récupère dans ma paume.
Tu seras mon encre.Seul, entre ombre et lumière, j'oublie le passé.
Seul, survolant le ciel, sous la faille de vide, j'agis pour moi.
De ma main libre, je trempe un doigt dans mon encre lumière.
D'un geste brusque, je fais le premier trait sur mon support.
Il sera
vert et vivant. Se dispersant dans mon sol, sur ce lac. Prenant racine.
Il grandit, pousse, nénufar et bosquet, fleur et forêt. De ligne courbe, il devient croissant.
Je plonge mes doigts pour le suivre, en dessiner les contours.
Mon encre change dans ce geste. Elle devient
grise et s'élève.
De collines en montagnes, elle devient frontière.
Elle arrête la pousse du premier trait et consolide ce monde.
Car c'est un monde que je crée dans ce rêve.
Un univers que je façonne de mes doigts.
Quelques gouttes de lumière coulent de ma paume-palette et tombent sur ce monde.
Sans volonté dans mon tracé, elles sont transparentes. Elles effacent le vert et le gris sur leur chemin et créent leur propre domaine.
Le reflet irisé du lac-toile.
Elles forment l'
eau-étoile.
D'un autre geste, bien plus doux, je frôle le vert, le teinte subtilement d'autres couleurs.
Rose et
mauve,
rouge et
orange.
Voici
printemps et
automne.
Voici variété et changement.
Je peins le temps.
Les couleurs se mélangent, évoluent, se propagent dans le monde.
Le temps devient
vie.
Le temps devient
mort.
Je joins mes mains, les baigne d'encre.
En un dernier geste, je referme le ciel brisé d'où coula le monde.
Il reste une tâche de lumière, un cercle couleur ambre, là où le vide fut brisé.
Ce cercle baigne le monde de sa lumière, car elle bloque ce qui en fut la source, elle l'apaise.
La lumière de ce monde sera
Ambre. Son ciel sera une
Lune.
Ainsi naît Ambrelune. Mon monde.
Un monde qui me connaît.
Un monde que je comprends.
Je rentre dans ces contrées et les visite.
Je vois ses reliefs. Je découvre sa vie.
Lorsque je croise un lac, je peux plonger mon regard dans la Toile du Monde et si je lève la tête, la lumière ambrée de la lune m'apaise.
Je suis chez moi.
Et je rêve.
Je passe ce qui semble des jours à Ambrelune.
Je repose mon esprit et prends soin de mon corps.
Et lorsque le rêve prend fin, Elias, hélas, se réveille.
Apaisé, je me lève.
Reposé, je me prépare.
Aujourd'hui est un jour important et je suis prêt.
Aujourd'hui, j'ai cours de force magique.