L’insomnie avait frappé, encore, condamnant le duo à errer sur le campus à la recherche de repos. Ils avaient arpenté les couloirs et traversé le hall à la recherche d’une occupation. Avaient-ils envie de danser ? Pas ce soir, la fatigue était trop grande du côté de Paulia. Par contre aller se ballader dans le parc, à la nuit tombée était tentant. C’était sous les étoiles, à l’air frais que l’on passait les meilleures nuits. De plus, dans les jardins la vie nocturne était petite et active, faite de chasse et de secret. Y être le plus gros mammifère avait son charme, surtout sous une lune aussi puissante que de cette nuit-là.
Ils y allèrent, s’installèrent l’un sur l’autre sur un banc pour attendre la fatigue sans un mot, en s’étreignant simplement. Lisianthus avait fermé les yeux et Paulia passait sa main dans ses cheveux blonds avec un léger sourire aux lèvres.

-Cette chanson est belle mais ce qu’elle peut être mélancolique…

Elle fronça les sourcils.

-Quelle chanson ?

Il se redressa, la regardant d’un air surpris.

-Tu ne l’entends pas ?

Elle hocha négativement la tête en fronçant les sourcils alors que Lisianthus s’élevait dans les airs en se tournant dans tous les sens pour chercher l’origine du son qu’il entendait. Paulia le regardait, un peu inquiète. Normalement elle entendait aussi le murmure des morts qui s’accrochait à elle, ça ne devait donc pas être ça. Mais pour que Lisianthus seul l’entende, ça devait être d’origine mortuaire… Ou alors rêvait-il ? Les fantômes pouvaient-ils rêver ? Bonne question…

-Alors ?

-Attends… Ca vient de là-bas ! S’écria-t-il avec une expression victorieuse sur le visage.

Puis, sans attendre de réponse, il partit en volant dans la direction qu’il avait indiqué, laissant Paulia sur son banc.

-Mais attends moi où tu vas être bloqué espèce d’idiot !

Elle sauta à terre et s’élança à sa suite, bondissant par dessus les parterres de fleurs pour le suivre. Le blondin ne ralentissait pas, se retournant de temps à autre pour vérifier que son humaine suivait bien. Elle suivait bien. Ses cheveux noirs en pagaille allait dans ses yeux et elle les chassa d’un geste rageur, regardant son compagnon d’un air mécontent. Il éclata de rire et repartit de plus belle en direction de la source de la chanson. Lorsqu’il s’engagea dans la forêt, elle s’arrêta.

-Attends ! J’y vois rien, je vais finir par me faire une cheville.

-Ah, oui. Effectivement… En tout cas ca vient des bois… Par là !

La progression devint plus difficile et souvent Paulia était à la traîne. Passant à travers les troncs, Lisianthus partait devant puis était arrêté par leurs liens. La vivant quant à elle tentait d’aller vite mais devait enjamber, se baisser, faire des détours pour esquiver les ronces…

-Si on tombe sur un piège avec tes conneries, je t’assassine.

-Mais je suis déjà mort !

-Raison de plus. OH ! Tu crois que si je le cueille ce champignon reste lumineux ? J’ai oublié mon phone, j’ai pas de toooorche…

Il haussa les épaules et elle ramassa le chapeau luminescent. L’espace qu’il éclairait était ridicule mais c’était mieux que rien : si elle tombait, elle pourrait identifier pourquoi. C’est donc l’air satisfait qu’elle se remit en route à la suite de Lisianthus, une petite lueur à la main.

Quand ils passaient ils entendaient la fuite des animaux nocturnes devant eux. Attentif au son, le fantôme ne pipait mot et Paulia l’immitait. Elle se demandait tout de même à quoi ressemblait la musique qu’il entendait. De temps à autre il secouait la tête en rythme ou tapotait sa cuisse du bout des doigts.

-Y’a un chemin par là bas, on peu le rejoindre, la progression sera plus simple.

Elle hocha la tête et se alla dans la direction indiquée, se battant contre quelques buisson réfractaires à son passage. A tel point que c’est en écartant les branches de l’un deux qu’elle tomba nez à nez avec… Un élève. Elle ne savait plus son nom mais savait qu’il était au lycée.

-Ah. La tuile. Viens, on l’ignore, la musique est tout près !

Elle sortit de son buisson, essayant de rester au maximum digne et regarda le jeune homme.

-Qu’est ce que tu fais dans les bois à cette heure ci ?

-Tu crois qu’il entend la musique ?

Elle haussa les épaules pour lui répondre avant d'ajouter à l’intention du mioche:

-T’es lycéen, normalement tu devrait être dans ton dortoir.

Être pionne finit par vous coller à la peau… A tel point que malgré ses cheveux plein de feuilles plus moins mortes, son jogging boueux, son champi lumineux dans la main et son air crevée elle avait presque l’air d’avoir une raison valable de se trouver là.

Une raison valable autre que: mon fantôme domestique entend de la musique et on a convenu lors de notre dernière dispute que pour que notre relation se passe bien je devais faire des effort et l’écouter. Et puis que c’est vachement drôle de courir la forêt de nuit quand c’est un endroit sécure. A peu près sécure. Où les morts jouent de la musique.

L’élève avait eu l’air terrifié pendant un temps avant de simplement paraître méfiant puis de devenir parfaitement impertinent. Mais ce soir là elle s’en moquait, si elle pouvait ne pas avoir à gérer un élève, ça l’arrangeait.

- Alors. Techniquement, je suis en cycle supérieur depuis la soirée du bal de promo. Ensuite, j'ai une autorisation pour me déplacer hors de mon dortoir pour cause de contrecoup magique, j'ai le papier dans mon sac si vous voulez. Et je crois avoir vu une annonce levant le couvre-feu pour les lycéens pendant les vacances ? En tout cas, normalement, les gardes ont été avertis pour mon cas. Vous n'êtes pas garde, n'est-ce pas ?

P a r f a i t. Elle n’avait donc pas à s’occuper de lui, c’était fabuleux.

- Vous cherchiez quelque chose ? Vous avez besoin de lumière, peut-être ?

-La lumière n’est pas de refus, ouep. Dis-moi par hasard, t’entendrais pas de la musique ?

Lisianthus volait autours d’eux, les bras croisés, cherchant du regard un indice concernant le son. Il s’immobilisa en l’air un instant regardant devant lui avec un air sceptique avant d’aller tapoter l’épaule de Paulia. Elle se tourna vers lui pour lui signifier qu’elle écoutait.

-Y’a une sorte de procession de spectres qui avancent vers le son. C’est bizarre, il sont des physiques… Particuliers. C’est des humains mais ils sont dans des tenues étranges… Je sais que ce sont des humains mais ça ne se voit pas… Ils sont tous armés.

-Que… QUOI ?

Paulia eu soudainement l’air inquiète faisant un pas en arrière.

-Ils ont pas l’air agressif pour autant hein… Y’a a un qui me fait coucou, je fais quoi, je lui répond ?

-Mais non ! Mais on se casse ! C’est eux qui font de la musique ?

N'ayant pas l'air décidé à faire se qu'elle voulait, Lisianthus salua le vide, un peu timide.

-Ca a l’air.

-Et bah on se tire ! Et fissa. J’ai pas envie de rester planter là moi.

Elle frissonna et se tourna vers l’élève qui ne devait pas comprendre pourquoi elle parlait seule de la sorte.

-Je me casse, j’ai pas envie de rester là. Y’a une procession de mort en armes par là bas, ajouta-t-elle en pointant vaguement les arbres, et j’ai pas envie de savoir pourquoi. Tu guide ? Comme ça on a de la lumière...

Malgré le fait qu’elle est passé presque une minute à parler seule aux yeux de l’élève, ce dernier avait l’air plutôt conciliant à l’idée de se casser vite de là. Ainsi, elle aurait de la lumière.Parfait. Lisianthus, sans être emballé par l’idée de partir, avait l’air d’accepter que les deux vivants veuillent fuir et ne dit rien. Encore une fois, parfait.

- Okay, j'approuve l'idée de partir. Histoire d'être sûrs de ne croiser aucun zombie armé, j'ai une magie qui pourrait être utile. J'suis pas sûr que ça marche, par contre.

Alors, quoi ? Déjà, personne a parlé de zombie. On a parlé de mort, de fantômes quoi. De spectres… Où se croyait-il ? Dans un film américain ? Et ensuite, pas besoins de sa magie puisque Lisianthus les voya…

C’était trop tard n’est-ce pas ? Vraisemblablement oui parce qu’à peine eut-il proposé de se servir de cette magie qu’il ne maîtrisait pas, il s’était mis à aller droit dans la direction qu’il fallait fuir, pour le plus grand plaisir de Lisianthus qui regardait Paulia avec un air moqueur.

-Mais pas part là espèce d’idiot ! Reviens ! REVIENS C’EST UN ORDRE D’UN MEMBRE DE L’EQUIPE PEDAGOGIQUE !

-Oulala. Attention, il va droit sur une procession de fantôme mais c’est ton statut qui va lui faire peur.

-GAMIN ! Mais revient ! Mais qu’est ce que tu fais ?

Il n’avait pas l’air de l’entendre et continuait à errer droit dans la mauvaise direction. Figée sur place, Paulia le regardait faire, indécise, tandis que son compagnon attendait les bras croisés. Observant la procession, il tentait de savoir ce qu’autant de mort foutaient là. Surtout qu’ils étaient... Étranges. Comme non-humains, de formes variables, assez belle par ailleurs.
A côté de lui, la brésilienne soupira, se pinçant les ailes du nez.

-Ils ont l’air sympa ces fantômes ?

-Ils ont pas l’air agressifs en tout cas. Je crois qu’ils s’en foutent un peu… Ils m’ont salué mais sans plus que ça.

Elle inspira un grand coup, prenant son courage à deux mains alla dans la direction des morts rattraper le jeune homme. L’attrapant par le bras, elle le tourna face à elle.

-Hey, reste avec moi ! Qu’est ce que tu fais, on dois se casser, et précisément dans l’autre sens !

Pitié, faites qu’il comprenne… Et à défaut de comprendre, faites que… Que les morts soient gentils ? Ouais, on va dire ça comme ça...

Le gamin s’était immobilisé et avait l’air… Con. honnêtement il avait l’air tellement éteint que c’en était ridicule. Au moins, il venait de lui tendre son portable pour faire de la lumière, histoire qu’ils ne se ramassent pas. Tant mieux, il fallait se casser ! Elle le tira à elle pour qu’il la suive mais il se ramassa par terre aussitôt.

-Putain mais c’est pas vrai…

Elle passa son bras par dessus ses épaules et commença à tenter de le soulever. Il était lourd, trop pour elle. Elle tomba à genoux, sentant la panique monter très vite. Trop vite.
Lisianthus s’agenouilla à côté d’elle, la prenant dans ses bras.

-Tout vas bien… Tout va bien. Ils n’ont pas l’air agressifs, respire.

Dans le fond de son esprit les voix des morts tentaient de remonter jusqu’à sa conscience, s’accrochant, déchirant sur leur passage le reste de son calme. Le blondin la tenait dans ses bras, décidé à ne pas la lâcher, à la protéger au besoin.

-Ils ne bougent pas. On peut se remettre en route, je vais essayer de t’aider…

Elle se releva tant bien que mal, ramassant Elias et commençant à tenter de le traîner. Elle même était soutenue par Lisianthus qui compensait son manque de force du mieux possible.

-Tu as laissé ta vie la bas…

-Ce n’est qu’une question de temps, mais tu nous rejoindra.

-Bientôt…

-Bientôt…..

-Reste ! Tu es ici parmi les tiens, au milieu des fantômes… Reste.

Elle les ignorait tant bien que mal. Mal surtout… Elles prenaient de l’ampleur, grignotant son espace sonore de manière alarmante. La crise était là, s’installait…

Un bras passa à côté d’elle, un bras décharné, un bras de mort. Elle lâcha Elias en hurlant, se reculant d’un bon alors que l’étrange fantôme qu’elle voyait saisissait doucement l’élève pour le relever et le maintenir droit. A côté d’elle, Lisianthus semblait ne pas comprendre.

-Tu… Tu le vois ?

-Que… C’est… C’est quoi ce bordel ?!

La chose les ignora, lâchant Elias quand il fut en mesure de tenir debout. Puis, d’une voix d’outre tombe extrêmement douce, il s’adressa aux murmures des morts.

-Sur mon territoire, vous vous tairez. Silence.

Et les voix des morts se turent. Paulia se leva, déboussolée.

C’était quoi ce bordel ?

L'inhumaine figure fit un pas vers l'élève, le saisissant pour le maintenir debout. Paulia le regardait en silence, tout bonnement terrifiée. Lisianthus, lui paraissait plus curieux qu'autre chose mais, même s'il avait voulu à tout prix le suivre, Paulia n'aurait pas pu. Au bord du gouffre, elle avait tout simplement l'impression de mourir, d'être aux portes d'un enfer pavé de calme et de silence. Elle regrettait presque les voix... Si cette chose les avait fait fuir ça n'était pas nécessairement un bon signe.

Elle l'écouta parler, hochant la tête doucement, les yeux grand écarquillés par la stupeur et la sidération. Elle ferait comme il disait, oh ça oui. De toute façon elle avait beaucoup trop peur pour partir.
Lorsque la chose repartie elle eu l'impression qu'elle souriait de manière bienveillante. Elle avala de travers. Derrière elle, le fantôme blond avait une expression indéchiffrable. Il se pencha doucement sur elle alors qu'elle s'accrochait a son bras, son regard passant d'Elias à la chose qui partait.

-Ils ont l'air de se remettre en marche et de s'éloigner.

-C'était quoi ?

-Je n'sais pas.

Elle se laissa tomber au sol, assise, vidée de son énergie. De temps à autre elle jetait un regard sur l'élève qui avait l'air passablement paumé. Ses mouvements semblaient difficiles, presque hératiques.

-Faut qu'on le ramène à un dortoir.

Elle ne répondit pas immédiatement, perdue dans ses pensées. Son pouls restait irrégulier malgré ses tentatives pour le calmer et l'angoisse persistait. Dans le silence des bois elle avait l'impression que tout pouvait arriver. N'importe qu'elle feuille pouvait cacher un danger, n'importe quel sensation révélait un péril plus grand encore.
Ainsi restait elle assise, tremblante, indécise, accrochée désespérément au fantôme. Lisianthus la regarda d'un air à la fois désolé et fatigué. Il savais ce qu'elle traversait mais le fait que cela arrive là, maintenant, tout de suite était très franchement embêtant...
Il la serra un peu plus fort contre lui, la berçant.

-Il faut qu'on sorte de la forêt, qu'on emmène le gamin. On est en sécurité, je te le promets... Mais tu sera mieux une fois qu'on sera sortis d'ici.

Elle releva la tête, se redressant. Tapotant ses joues de la paume de ses mains comme pour se réveiller, elle inspira longuement. Elle avait vingt minutes à tenir, vingt minutes le temps de ramener l'élève et elle serait en terrain connu.
Elle pourrait rentrer. Prendre un somnifère et dormir.

Elle se leva s'approchant du détecteur à fantôme sur pattes.

-Heu... Hey ?

Elle lui prit doucement la main.

-Viens. On rentre.