Vous êtes curieux de savoir comment j’en suis arrivé là, à être « super bizarre dans une école de mage » ? « Super bizarre » n’est pas mon métier, je vous ai dit pendant le spectacle que j’étais médiateur. Je veux bien croire que vous n’ayez retenu que le tour avec l’encrier, mais s’il vous plaît faites un effort. Notamment pour écouter cette magnifique histoire qu’est ma vie. J’exagère ? Absolument ! Mais il faut bien vous donner envie de rester pour ça, car ce n’est pas ce que j’ai de plus passionnant à raconter. Surtout s’il faut seulement donner un aperçu global de ma vie.

Sachez déjà que ma famille n’a jamais eu de problème avec les mages. Ma tante en était une, ma grand-mère aussi, un oncle également. Mes parents ne l’étaient pas mais ils connaissaient bien le milieu. On a plein d’histoires à raconter à ce sujet, l’arbre familial est grand. Un peu éclaté, aussi, entre ceux qui ont survécu, ceux qui se sont faits emportés et ceux qui se sont faits abattre. Je fais partie des chanceux qui n’ont jamais attirés l’attention sur leur magie, car elle est discrète et peut passer pour un simple talent à faire la conversation. Et j’en avais besoin, vous n’imaginez pas à quel point ! Mon enfance était tranquille, mais il y avait un décalage permanent qui ne s’est arrangé que lorsque j’ai commencé à avoir des intuitions sur les réponses adéquates à fournir aux autres. Au départ je me disais que c’était un effet du vieillissement. Genre on vieillit et on apprend de mieux en mieux à communiquer. Ça donnait envie d’être adulte. J’ai découvert avec les années que c’était de la magie, quand sa forme a évolué pour affiner les résultats et montrer plus clairement le chemin à suivre.

Mon pouvoir avait beau être très discret, ma tante a proposé que j’effectue ma scolarité à Leoska. Elle y était passée également et ça lui avait plu. C’est un endroit sécure, avec un bon niveau d’étude blablabla. Évidemment maintenant je connais les spécificités de l’académie et je peux servir de brochure de présentation, mais sur le coup je n’ai absolument rien retenu de ce que m’a dit ma tante.  En revanche, j’ai appris à mélanger les cartes comme un pro pendant qu’elle parlait. C’était long, elle tenait à me convaincre. Même si je l’étais déjà. Je suppose qu’on aime juste beaucoup parler, dans la famille, et qu’elle a saisi l’occasion pour raconter en détail « les meilleures années de sa vie sauf quand elle a glissé dans l’eau et qu’elle a niqué sa salopette préférée devant Goustan son crush de l’époque ». Me concernant, je n’ai pas grand-chose à raconter sur cette période, c’était très calme ! Mon contre-coup a cependant gagné en lourdeur, dégradant sensiblement mon langage… Je ne considère pas que ce soit préoccupant, j’ai toujours moyen de me corriger si je suis trop incompréhensible.

J’ai quitté Leoska à la fin du cursus supérieur. L’école a beaucoup de choses à apporter à ses élèves pour les préparer à vivre dehors, je ne pouvais pas trop faire l’impasse là-dessus. Par contre, je ne nie pas que j’avais hâte de sortir. Sortir pas seulement pour les vacances scolaires, j'entends. C’est un bel endroit hors du monde, mais il est justement trop coupé du reste pour que je ne m’ennuie pas au bout d’un moment ! Puis comment j’étais censé montrer mes talents de prestidigitateur au reste de la France en restant dans l’académie ? Je suis donc parti, en toute logique, pour préparer un diplôme d’état d’assistant de service social. Aucun rapport avec la prestidigitation je sais. Il n’empêche que devenir un acteur de la protection de l’enfance me semblait être un bon angle d’approche pour repérer les jeunes mages. Ce que j’ai fait, donc, en les signalant à l’école dès que j’en voyais. J’ai continué comme ça tout en passant un diplôme de médiateur familial, puis un master de psychologie de l’enfant, de l’adolescent et de la famille… C’est écrit ici sur mon CV regardez. Là. Non là. Mettez vos lunettes. Bref, l’objectif de ce bagage c’était de pouvoir agir dans le domaine de l’enfance et de ne pas trop être une tarte tatin quand mon pouvoir n’est pas exploitable.

Ensuite, j’ai bougé un peu partout en France, changé de postes parfois. Ça me plaisait beaucoup, mais c’était dangereux ! A force d’héberger des mages en attendant qu’ils aillent à Leoska, changer de ville régulièrement a fini par ne plus suffire. Je suis pas l’homme le plus discret du monde, peut-être l’avez-vous remarqué. Donc j’ai préféré prendre un poste permanent à Leoska, et ça doit faire à peu près un an que je l’exerce.