Depuis que l’infirmière est venue essayer le tir à l’arc, tu l’as croisée plusieurs fois au club et vous avez échangé régulièrement. Elle est sympa. Gentille. C’est facile de lui parler sans trop se prendre la tête. Bien sûr, tu fais toujours attention à ce que tu dis et n’affirmes pas souvent ce que tu penses réellement, mais vos échanges restent cordiaux et agréables. C’est aussi plaisant de pouvoir parler à un membre du personnel de l’école sans avoir à penser aux conneries que tu as fait. Y penser, d’ailleurs, ce sera pour plus tard… Bien plus tard. Jamais, si possible. Tu as bien des idées pour t’aider mais elles ne sont pas viables sur le long terme. Et elles sont dangereuses, en plus de ça.

Balzamina t’a convoqué aujourd’hui pour parler de soutien scolaire pour un lycéen. Tu trouves ça curieux, tu te serais attendu à être contacté par un prof, non pas par l’infirmière. Ce détail pouvant s’expliquer facilement, tu n’y réfléchis pas longtemps. Pareil pour accepter. C’est toujours la même logique qui s’applique : ça te permettra d’être bien vu, ou au moins d’améliorer un minimum l’opinion des autres à ton sujet. En plus, mine de rien, tu as apprécié les rares fois où tu as fait du soutien. Même si la personne en face était stupide à tes yeux, ça reste amusant de chercher des solutions et de partager ce que tu sais.

Tu te présentes à son bureau à l’heure exacte, et Balzamina t’accueille avec un grand sourire. Tu le lui rends en la saluant.

« Bonjour. Très bien et vous ? Merci d’avoir pensé à moi pour cette tâche, j’espère pouvoir aider. »

A vrai dire ça ne te fait ni chaud ni froid, tu veux surtout la satisfaction de réussir ce que tu entreprends. Si ça profite à quelqu’un, tant mieux. Si ça te profite à toi, parfait.

« De qui s’agit-il ? Quel niveau ? Quelle(s) matière(s), singulier comme pluriel, surtout ? C’est quelqu’un avec de grosses difficultés ou pas ? Pourquoi le contact passe par vous et pas l’un de ses enseignants ? A moins que ce soit confidentiel ? Une préférence de sa part ?  Quelle est le caractère de cette personne ? Je peux composer avec tout, ne vous en faites, mais je préfère éviter les mauvaises surprises. L’année vient à peine de commencer, les difficultés sont récentes ou anciennes ? Même question pour son arrivée ici, en fait. Vous avez sûrement toutes les réponses, je veux bien tous les détails si possibles. Les détails que vous pouvez donner, bien sûr, ça ne m’intéresse pas de connaître toute sa vie alors que je dois simplement faire du soutien. »

Tu ne t’es même pas assis avant de déblatérer tout ça.

Balzamina dit avoir un document avec toutes les informations nécessaires, puis elle te présente rapidement la personne en question. Son contrecoup est physique donc pas embêtant pour le soutien ? Ça reste une donnée à prendre en compte, c’est difficile de travailler si le corps ne suit pas. Ensuite, des difficultés en science… ça ne te pose pas de problème. Concernant les difficultés pour se mettre au travail, tu verras le moment venu. Si tu peux l’aider à s’y mettre, c’est pas plus mal. Il faut juste que tu réfléchisses à la manière de faire. C’est déjà ce que tu fais, quand Balza détourne ton attention en reprenant la parole.

Tu t’assois, à la fois curieux et occupé à réfléchir à d’autres questions.

« Oui ? C’est à propos du soutien ? Vous pouvez me donner le document, au fait ? On peut sûrement s’arranger entre nos deux emplois du temps. Elle préfère travailler le matin, l’après-midi, le soir ? En intérieur ou extérieur, dans le silence complet ou pas ? Pour savoir comment programmer le rendez-vous. Vous l’avez probablement indiqué sur le document. Il y a les informations de contact dessus ? »

Elle ne risque pas de pouvoir en placer une sur l’autre chose à demander, avec toutes tes questions.

« Pour la suite, je verrai avec l’étudiante en question. Elle sera plus à même de me répondre. »

Sauf si, en lisant le document, tu trouves autres choses à dire et que Balza peut y répondre.

Tu prends la fiche et commences aussitôt à la lire, écoutant d’une oreille ce qu’elle te dit. Elle ne t’apporte rien de plus, dommage. Elle marque ensuite une pause qui te fait lever la tête vers elle, et la suite te fait l’effet d’une douche froide. Aussitôt sur la défensive, tu l’écoutes attentivement pour déterminer quelle réaction adopter. Partir sans répondre n’est pas une option à envisager. Quel intérêt pour elle de fouiller ton dossier autre que pour tes besoins médicaux liés à ta magie ? Avoir un retour d’expérience pour rassurer les autres élèves ou trouver un moyen d’améliorer les classes d’aide ? Elle aurait pu questionner des gens qui y sont actuellement… Tes barrières toujours en place, tu la regardes dans les yeux et lui dis d’un ton neutre au possible :

« ça n’a rien à voir avec le sujet de ce rendez-vous. Simple constatation, ne le prenez pas mal. »

Tu restes silencieux dix secondes, le temps de décider si oui ou non tu vas répondre honnêtement. Le temps de te remettre de la surprise, aussi.

« Il y a des aspects positifs à ce système, ce n’est pas si mal… Je n’irai pas jusqu’à dire que l’expérience était plaisante, cela dit. »

C’était tellement compliqué sur certains points. Tu dois faire un effort pour te dire que ce n’était pas si terrible, en plus de n’avoir duré qu’une semaine.

« J’en ai déjà parlé en séance psy. Puisque vous avez regardé mon dossier, vous auriez pu en profiter pour trouver la réponse toute seule. »

Sourire de façade, froideur dans les yeux. Tu essaies en vain de te calmer pour ne pas lui lancer trop de piques.

« Comment comptez-vous rassurer les élèves qui doivent y aller ? »

« Je ne veux pas te prendre par surprise ». Trop tard, et c’est pas la meilleure surprise qu’on puisse faire. Les précisions qu’elle ajoute ensuite, sur ce qu’elle a regardé de ton dossier, te rassurent un peu même si tu te demandes encore l’intérêt de sa démarche. Tu hoches la tête et écoutes la suite, toujours sur tes gardes. Tu vas avoir du mal à lui répondre. Dans ta tête, les classes d’aide étaient destinées aux mauvais élèves alors forcément ton avis a évolué… En quelque sorte… Ton avis sur les personnes qu’on peut y croiser, oui. Sur l’organisation et les dispositifs mis en place, aussi. Le reste… Tu veux le repousser derrière tes barrières, comme tu as repoussé Balzamina lorsqu’elle a abordé le sujet. Le problème, c’est que c’est fatigant.

Tu ne dis plus rien, partagé par ce que tu pourrais répondre. C’est pénible. Pénible, fatigant. Tu sais que tu peux en parler ici si tu as besoin de quelque chose, tu sais que normalement c’est un espace safe. Tu le sais, elle n’a pas besoin de le rappeler. Ça ne veut pas dire que tu profites pleinement de cette aide à portée de main, mais tu le sais.

« Non, ça va, ça ne m’embête pas. »

Arrête de dire l’inverse de ce que tu penses.

« Les a priori sont par définition des opinions non fondées. Peu importe la mesure, elle reste faussée si on utilise ce terme. »

Tu fais une pause pour réfléchir aux informations utiles que tu peux lui donner sans remuer le fond. Tu y es déjà depuis un moment, au fond, t’efforçant simplement de ne pas bouger et de ne pas ouvrir les yeux pour éviter de voir la réalité.

« Personnellement, je ne savais pas trop comment les classes s’organisaient et je partais du principe que seulement les élèves avec de gros troubles y allaient. »

Nouvelle pause. Très longue cette fois-ci. C’est pas facile de se rendre compte de la stupidité que tu viens de balancer. Comme si piéger ses camarades de classe, les voler, les manipuler avec tes pouvoirs, porter atteinte à l’école, c’était pas « des gros troubles ».

« Hm… Et donc, au final… L’organisation est très correcte. Stimulante. Elle permet de travailler efficacement quand on va bien. »

Donc t’as travaillé efficacement pendant deux jours, et c’était pas fameux. Par contre, en parlant de trouble… Est-ce que tu devrais pas parler de ta réaction à la proposition d’Aprilynne ? Ou simplement reprendre rendez-vous avec les psys de l’école, comme tu es déjà censé le faire depuis un moment.

« Quand vous dites que rien ne sort de ce bureau, c’est que notre conversation reste entre nous ? »

Est-ce que ta santé est en danger imminent ? Non. Est-ce que celle de quelqu’un d’autre l’est ? Non plus. Pas de manière immédiate. Le vol ne met pas en danger la santé, de toute façon. Pas tout le temps. Ça dépend les moyens utilisés. L’intervention de Balzamina n’est donc pas requise et tu devrais pouvoir parler de ton problème sans que cela interfère dans l’explication. Il n’y a plus qu’à se lancer…

« Oui. »

Et si c’était une mauvaise idée ? Si tu t’attirais encore des ennuis ? C’est ce qui arrivera si tu ne demandes pas d’aide et que tu participes au plan de April. Fais le choix intelligent, pour une fois. Tu fermes les yeux le temps d’inspirer et d’expirer, puis tu regardes l’infirmière.

« Je ne sais pas ce que vous avez vu précisément dans mon dossier mais j’ai eu un conseil de discipline avant les classes d’aide, à cause d’une tentative de vol dans les dortoirs. C’était la première fois que je le faisais avec cette ampleur, l’activité en elle-même est… courante. Et je… Je ne pensais pas que c’était un problème avant. »

Tu as toujours du mal à le considérer comme tel, et tu sais que tu n’arrêteras pas les vols solitaires de sitôt.

« Le truc, c’est qu’une fille- »

Tu t’arrêtes, fronces les sourcils.

« Vous n’allez prévenir personne après ça ? Vous risquez de me réorienter vers les classes d’aide si je continue mon explication ou pas ? Je n’ai rien fait, mais à force je ne sais même plus ce qui me vaudra une sanction ou pas. »

Elle te rassure en te disant que ta déclaration ne justifie pas un retour vers les classes d’aide. C’est bien, ça va te permettre de parler plus librement. Même s’il reste une importante réserve que tu peines à contourner. Même si elle est très contente pour toi et que c’est courageux d’en parler, tu dois faire un effort conscient pour trouver ça encourageant. Ça devient compliqué de construire un angle de vue positif, en fait. C’était bien plus facile quand tu ignorais les problèmes. Quand tu ne te demandais pas pourquoi tu agis ainsi. Tu y as déjà réfléchi, concernant le vol. Tu n’as eu que ça à faire après la bourde dans les dortoirs, et l’intervention d’Aprilynne t’a obligé à y revenir.

Tu grimaces quand elle parle de ton psy. Il sera plus qualifié, effectivement, mais encore faut-il que tu te rendes aux séances et que tu arrêtes de chercher des excuses pour les annuler. Quant à April, ça ne te dérange pas de la vendre si ça permet à Balzamina de t’aider.

« Merci. Je dois reprendre rendez-vous avec la personne qui effectue mon suivi car j’ai décroché. A propos du vol, c’est… C’était d’abord parce que je pouvais pas faire autrement. Maintenant, c’est autant une habitude qu’une envie. »

Il y a un monde entre voler et acheter. Acheter ne procure aucune sensation, en plus de mettre à mal tes économies. Ces dernières sont également source de stress, alors tu y touches le moins possibles.

« Je n’ai rien volé à cette fille, c’est plutôt elle qui a essayé de prendre quelque chose dans ma chambre. Elle m’a proposé qu’on s’associe  pour voler à l’extérieur. Compte tenu de ma situation et des problèmes récents, la solution logique et saine aurait été de refuser directement. Sauf que… C’est tentant. Ça demande de réfléchir à quelque chose de concret et excitant. J’avais pas envie d’entrer dans son jeu. Ou plutôt, j’ai vu que c’était une grosse erreur mais j’ai pas réussi à m’en empêcher. Que vous puissiez aider ou pas, je n’en sais rien mais je me disais qu’en parler serait un début. »

ça reste pas facile du tout.

Tu hoches la tête, malgré ta grande réticence à l’idée, quand elle parle de t’aider pour les rendez-vous psy. Est-ce que c’est son boulot ? Même si tu lui parles de tes problèmes, actuellement, c’est surtout à toi de te prendre en main et de gérer tes rendez-vous. Hm… Si tu en étais capable, tu ne serais pas là actuellement. Pour l’instant, tu devrais accepter l’aide pour éviter de te défiler encore une fois.
Est-ce que tu as des soutiens parmi tes camarades ? Ben… Tu as mis Saph dans la même galère, c’est comme un soutien. Quand elle demande pour les moyens de pression, tu laisses échapper un rire. C’est même triste que tu veuilles foncer vers les ennuis de ton plein gré. Tu regardes ailleurs à la question sur tes projets, car mis à part les cours… C’est à réfléchir. Ses questions ne t’aident pas, à vrai dire, et tu commences à te dire que tu n’aurais peut-être pas dû en parler. Ça ne sert à rien dans l’immédiat. Dans l’immédiat. Il fallait cependant que tu commences quelque part et en parler à Balzamina n’était pas une mauvaise idée. D’autant plus qu’elle se montre honnête avec toi.

« Je peux me charger de prendre rendez-vous tout seul. »

Tu mens, c’est sorti comme un réflexe. Après un soupir, tu rectifies.

« Du moins, je devrais pouvoir. Merci de proposer votre aide. La personne dont je parle n’a aucun moyen de pression. Elle l’a juste proposé et ça m’a beaucoup tenté. »

Tu fais l’impasse sur les autres questions (le soutien, les projets), elles te mettent mal à l’aise et tu te sens déjà trop exposé pour approfondir. Beaucoup trop exposé.

« La meilleure réaction est le refus et me faire aider, je n’ai pas besoin de votre avis pour le savoir. »

ça ne rend pas la situation plus simple. Faire et savoir sont deux choses très différentes.

« Il faut juste que je le fasse pour de vrai. Sinon, je sais évaluer ce qui m’attirera des ennuis, la plupart du temps. Ça ne m’empêche pas d’en avoir, mais c’est un autre sujet. »

« Des fois juste énoncer les faits, ça aide. » C’est évident qu’il faut faire un état des lieux complet avant chaque prise de décision et que ça passe par la simple exposition de faits. Tu l’as fait en lui parlant de ta situation. Certes, il manque des détails, mais elle connaît l’essentiel pour pouvoir te répondre. Tu n’iras pas plus loin, car tu considères que c’est risqué.
A sa question, tu fixes tes yeux dans les siens pour déterminer s’il s’agit d’une blague. On ne dirait pas. Sérieusement… Tu te redresses, soupires et finis par regarder ailleurs pour ne pas trahir ton irritation.

« Est-ce qu’on pourrait éviter les questions stupides ? »

C’est sorti de manière plus abrupte que ce que tu voulais.

« Désolé, je ne voulais pas être insultant. C’est difficile d’en parler et vous avez déjà posé plusieurs questions fâcheuses avant celle-là. Si je vous en parle, c’est que refuser la proposition me donne du mal. Je ne suis donc pas en mesure de donner une réponse satisfaisante à cette question inutile. »

Tu lui souris légèrement.

« Mais normalement, j’y arriverai, si ça peut vous rassurer. »

Tu hoches la tête quand elle te répond. Oui, autant s’arrêter ici. Tu es déjà trop mal à l’aise d’avoir autant parlé et l’évolution de la conversation commence à te déplaire. C’est normal, le sujet n’est pas marrant de base. Tu préfères donc prendre congé maintenant, quitte à revenir plus tard. Ou prendre rendez-vous avec le service psy, c’est mieux. Balzamina est très gentil mais elle n’est pas spécialisée en psychologie et elle a sûrement autre chose à faire que de s’occuper de ton cas. Elle reste la meilleure porte d’entrée pour aborder le problème, cela dit.  

« Je le souhaite aussi… Merci de m’avoir écouté, ça devrait me permettre d’y voir un peu plus clair. Je ne vais pas vous ennuyer plus longtemps, j’ai autre chose à faire et vous aussi. »

Tu lui souris et te lèves, rangeant au passage le document pour le soutien. Arrivé à la porte, tu hésites un instant à lui demander de prendre rendez-vous chez le psy pour toi, mais te ravises finalement. Tu peux très bien le faire tout seul. C’est très compliqué mais faisable, d’autant plus que  tu ne peux vraiment pas te permettre de faire l’impasse dessus.

« Bonne journée. »

Puis tu quittes rapidement son bureau. Ensuite, c’est difficile de rationaliser les pensées qui t’accaparent. Tu regrettes d’avoir parlé et minimises l’impact de la conversation sur toi.  Tu minimises également le problème, en te disant qu’il n’est pas si grave et qu’il nécessitait pas forcément d’en parler. C’est faux, tu le sais. Tu essaies de te convaincre du positif et d’ignorer l’angoisse. Pas facile. Tu devrais en profiter pour faire un détour et programmer une séance chez le psy, puisque tu n’es pas en capacité de te dissuader dans l’immédiat. C’est donc ce que tu fais, sans y réfléchir, en auto-pilote, sans t’impliquer mentalement, sans garanti de te présenter au-dit rendez-vous le moment venu. Tu détermineras après si l’effort est faisable ou pas.