Il trainait des pieds dans les couloirs, ses baskets abimées raclant contre le carrelage. Bientôt, il aurait économisé assez de thunes pour se payer la paire de chaussures en cuir – assorties à son blouson – qui lui faisait de l’œil. Comme à son habitude, il avait mis sa veste par dessus la chemise de son uniforme, ce qui était déjà un bel effort en soi. Quand Sid était arrivé à Leoska, il se prenait heure de colle sur heure de colle à cause de l'uniforme seulement : Il s'était pointé le premier jour en jeans et t-shirt, et avait décrété depuis qu'il ne mettrait pas quoi que ce soit qui lui soit imposé.

Aujourd'hui, il portait le pantalon noir d'uniforme, et avait boutonné la chemise grise à la hâte. Il manquait bien la moitié des éléments pour former l'ensemble complet, mais c'était déjà un bon début. Même s'il s'entêtait à porter sa veste en cuir et ses vielles chaussures trouées, au moins il avait presque l'air d'un élève.

On pouvait jauger si Sid Fox voulait demander une faveur à sa tenue ; Plus il portait d'éléments de l'uniforme, plus il stressait de se faire sanctionner. Aujourd'hui - à en juger par le choix de vêtements -  était une journée plutôt standard.

Le jeune adulte soupira, et écrasa son mégot de cigarette dans un petit pot en verre juste avant de tourner à l'angle d'un couloir. Si le psy sentait l'odeur de tabac en dehors de son bureau, il n'y aurait aucun doute sur l'identité du coupable. Ce serait con d'avoir fait tout le chemin sans se faire prendre juste pour être grillé à la dernière seconde. Avec le temps, il avait appris à être plus discret et plus malin, histoire de se faire gauler moins souvent... Et du coup, de se faire sanctionner moins souvent.

Et puis, bon. Il aimait bien son psychologue. Une fois que sa méfiance habituelle s'était atténuée, il avait réussi à faire des progrès. Au delà de son apriori sur la profession, il devait admettre que ce mec le cernait assez bien, même s'il lui disait plein de choses fâcheuses qui le mettaient toujours dans tout ses états et qui le faisaient ruminer pendant des jours. Sid n'aimait pas qu'on creuse trop profonds dans son cerveau. Ça lui foutait les boules.

Remettant le petit pot en verre dans sa poche, il s'engagea dans le couloir tout en jetant un coup d’œil derrière lui pour s'assurer que personne ne l'avait vu. C'était, en soi, une bonne idée... Si ça n'avait été pour le jeune homme pressé qui, lui aussi, tournait à cet angle précis.

Le choc menaça de faire tomber Sid vers l'arrière, mais il réussit à se retenir contre le mur, posant une main contre son thorax.

“Rah, putain! Fais chier, tu pourrais faire gaffe... Quelle idée de tourner aussi près du mur aussi?!” Il regarda quand même vis-à-vis, histoire de s'assurer que celui-ci ne se soit pas blessé en tombant.

Il y a un temps d'arrêt de la part de Sid, alors que ses yeux bruns survolent la silhouette de Mordred. C'est qui celui-là? A quel moment il se permets de lui parler sur ce ton là?

En vrai, il n'a pas entièrement tort. Quand Sid s'est mis à râler, il s'adressait autant à lui-même qu'à l'autre, mais c'était pas vraiment évident à deviner vu son ton. Bordel. On dirait qu'avec le temps, il ne s'est toujours pas amélioré en communication.

Cependant, il y a quelque chose dans le regard de l'autre qui ne l'encourage aucunement à avouer ses fautes. Au contraire même, il aurait presque envie de ne pas être en tort, juste pour pouvoir lui faire fermer sa gueule. Et puis, merde, il pourrait au moins le laisser en caser une, si il veut tellement qu'il s'excuse!

“Alors déjà tu va commencer par me laisser répondre, sinon ça va être lourd. Puis tu va partir du principe de rien du tout, surtout pas si tu veux que j'm'excuse. Et troisièmement, me prends pas pour un con et range ton sourire de fouine, là.”

Fais chier, ça le fout sur les nerfs ces histoires. Il aurait limite envie de se griller une deuxième clope, mais c'est mauvais bail. A tout les coups le psy va débarquer d'ici cinq minutes et il sera dans la merde. D'un geste machinal, Sid va pour triturer le pot dans sa poche contenant les mégots... Mais n'y trouve rien. Attends, quoi?

Ses yeux passent du jeune homme à sa poche, puis au sol, ou est allé s'éclater le petit bocal, éparpillant mégots et cendres partout sur l'élégant tapis pourpre du couloir.

Adrénaline, bouffée de chaleur. Montée de pression et tic nerveux au dessus de la lèvre.

Calme toi Sid, c'est pas grave. C'est rien d'important, tu va juste ramasser les mégots et c'est tout. Rien de dramatique, personne n'est mort, et au final l'autre type est peut-être un sale con mais c'est pas sa faute non plus. Il pouvait pas prévoir.  C'est pas un génie du mal qui a prévu de te rentrer dedans pour faire tomber ton cendar et ruiner un peu plus ta journée. Arrête de t'obstiner juste parce que t'aime pas le clampin d'en face. Respire par le nez, détends ton slip.

Répétant sa litanie, le jeune soupire longuement, les yeux rivés sur la tache de cendres par terre. Il s'en occupera quand le mec sera parti. Sans aucune raison rationnelle, il n'a aucune envie de se mettre à genoux pour ramasser ses mégots devant lui et son sourire hypocrite. Juste un feeling.

“... Okay, du coup, tu veux bien t'en aller s'teuplait?” Ouch, okay, c'est pas sorti sur le bon ton. D'ailleurs c'est pas les bons mots non plus. En vrai, y'a rien qui va dans cette phrase, c'est fou.

A ce stade, c'est plus d'un psy dont t'as besoin Sid, c'est d'un foutu diagnostic de débile total.

Un de ses sourcils se lève, et pendant quelques fractions de secondes son ascension semble continuer indéfiniment. Sa bouche se crispe, et finalement, Sid fronce les sourcils.

“Ah ouais, donc du coup c'est ma faute? Parce que j'ai mal interprété ton sourire? Ouais nan, essaie pas de m'la mettre.  Si t'avais aucune intention de me prendre pour un con, c'est autant ta faute que la mienne. Selon ta propre logique, nan?”

C'est terrible, il voulait juste passer une journée standard. Mais du coup c'est trop tard, son cerveau fourmille de mille et unes raisons d'être énervé. Quand il se retrouve dans cet état, c'est quasiment impossible pour lui de se calmer à moins d'être isolé pendant un moment, tout l'agace. Rien que le ton de son interlocuteur le fait grincer des dents, alors qu'il reste planté là comme un idiot.

“'Tain c'est fou même quand t'essaie d'être sympa j'ai l'impression que tu m'regarde de haut. Vas y tu sais quoi, trace ta route et je me démerde avec les mégots, ça m'a trop saoulé.”

Sid lâche un “Bonne journée.” abrupt, qui est beaucoup moins aimable que prévu. D'ailleurs, son ton ne semble pas sympathique du tout alors qu'il s’accroupit pour ramasser les débris par terre, contraint de stocker les mégots froids dans sa poche. Ça aussi, ça l'emmerde, l'idée que son fute sente la clope froide toute la journée. Déjà qu'il se fait assez emmerder comme ça par le personnel quand il sent vaguement le tabac, alors là ça va être encore pire.

Alors qu'il s'occupe à ramasser ses conneries, essayant tant bien que mal d'ignorer Mordred, une vive douleur se fait ressentir au niveau de ses doigts, et il rétracte subitement sa main.

“Putain! Mais j'en ai marre!” L'exclamation fuse dans le couloir, résonant contre les murs. Sid inspire entre ses dents, tenant une de ses mains avec l'autre. Un long éclat de verre dépasse de son majeur gauche, alors qu'il grogne.

“Putain de putain de putain de-” Le jeune homme se saisit délicatement de l'éclat, et avec une grimace, le retire doucement du bout de son doigt. C'est loin d'être la première fois qu'il retire du verre de sa main – souvenir désagréable de la fois ou il a fait passer son poing au travers d'une vitre – mais le processus reste toujours aussi désagréable.

Un filet de sang coule le long de sa main, avant d'aller se perdre dans les fibres du tapis. Sid porte le doigt à sa bouche, léchant la plaie.

“Fais chier. Cha me pète les couilles. Journée de merde.” Levant les yeux vers l'autre jeune homme, il fronce les sourcils. “Qu'eche que tu fais encore là?”

Le tout n'a pourtant pris que quelques secondes, ne laissant pas vraiment le temps à Mordred de s'éloigner, mais il n'est pas vraiment assez concentré pour y réfléchir.