Bravo, Elias.

Je dirais même SUPER, GÉNIAL, oh, GRANDIOSE, ELIAS.

Tu t'es : surpassé sur c'coup là.

Pas pour le manque de sommeil, hein, même si j'crois que t'as battu un record personnel qui pourrait potentiellement mettre à mal ton organisme, sur un malentendu.

Noooon, le vrai coup de maître, c'est en avoir profité pour TE PAUMER. En plein milieu de l'endroit où TU VIS DEPUIS PLUS DE 10 ANS.

Comment t'as fait ? Je suis une partie de ton esprit et même moi je sais pas comment ce miracle a eu lieu.

Il est 19h, on est, si j'en crois les quelques signaux visuels qui daignent arriver jusqu'à moi, dans un bâtiment, potentiellement de type couloir. On doit aller à l'appart', un chemin qui, en temps normal doit être très classique et facilement réalisable.

Mais ça fait 20 minutes qu'on tourne en rond. Enfin, ça peut faire 3h ou à peine 10 secondes, pour ce qu'on est en mesure de gérer des indications temporelles dans cet état, mais 20 minutes, ça rend bien.

Bon, va falloir se rendre à l'évidence, j'vais pas pouvoir rentrer chez moi tout seul. Notamment parce que là, c'est un mur. Et que je continue d'avancer, même si objectivement ça marche pas, comme déplacement. Même bourré, on m'l'a jamais faite celle-là.

Donc, première étape, trouver de l'aide. Chaton, oublie l'idée de sortir ton téléphone, c'est des mouvements trop complexes pour toi dans cet état.

Première étape, phase 1, trouver un être vivant qui se baladerait dans ce qui a été hypothétisé comme étant un couloir. A 19h. Et si possible un être vivant capable de communiquer, parce qu'on va être vach'ment avancé avec une plante verte.

HA ! LA BAS ! Un truc rouge qui a l'air en mouvement ! Ou c'est un mirage chelou, c'possib' aussi. On prend les paris, dans l'doute. Y'a rien à perdre.

Hey, vous là bas, vous pouvez m'indiquer la direction des dortoirs ?

"Hey, djellaba, vous paraissez indic' et la mission c'est 'raptor notoire' !"

Yep, tout pareil. Boulet.

Bonjour, bienvenue, installez-vous confortablement devant votre poste de télévision.

Je suis Professeur Thaddeus, squatteur psychique et présentateur télé à mes heures perdues. Et ce soir, nous avons droit à un nouvel épisode des Théories Fumeuses d'un Ado en Contrecoup, ou TFAC, pour les intimes. Et comme tout ceci se passe dans mon/notre esprit, on considère que tout le monde est intime avec tout le monde, même si on discute pas souvent.

Dans l'épisode du jour, le détenteur principal de ce corps est perdu dans un couloir et tente de demander son chemin à quelqu'un.

Il a tenté la communication verbale et, malgré la beauté de l'effort, n'est plus réellement en mesure de prononcer les phrases telles qu'elles ont été pensées.

En temps normal, la personne en face tente de signaler l'incompréhension ou démontre qu'iel n'apprécie pas qu'on se moque d'ellui.

Là, on est sur un cas spécial qui a accès à l'arcane secrète du Uno Reverse !

Parce que même si l'ensemble de l'écosystème psychologique de ce corps est trop dans le mal pour comprendre les phrases entendues, des fois, on arrive à chopper 2-3 mots et à construire une cohérence minimale.

Pas dans ce cas.

Parce qu'on a entendu "Sépulture", "Cousine" et "Sèche", de manière relativement distincte.

Et il n'y a AUCUNE explication logique à la présence de ces mots dans la discussion lancée. Ou alors on est vraiment face à un indic' en mission et c'est un code secret.

Du coup mon p'tit Elias, déso pas déso, mais moi j'ai mon pop-corn et du temps à perdre. A toi d'jouer !

Bordeeeel, c'est quoi cette soirée de meeeeerde. Et c'est qui ce cloooown.

Et j'entends un écho bizarre qui résonne dans mon crâne, va pas falloir que ça dure des heures, cette merde. J'ai envie d'me poser dans mon lit et d'envoyer chier l'univers.

Allez, on retente.

Désolé, je n'ai pas compris ce que vous avez dit. Vous savez où sont les dortoirs ?

"Mausolée, je meurs d'envie de voler une vie. Assistez à la moisson du pouvoir ?"

Yes, parfait, 10/10 ! Tu sais ce qu'il te reste à faire dans cette situation, mon mage d'amour ? Allez, une petite connexion dans l'inconscient, ça sera vite fait, promis.

Je suis fatigué, j'ai mal au crâne, je veux juste DORMIR et que le monde ARRÊTE DE M'EMMERDER.

J'ai besoin d'aide UNE FOIS en DIX ANNÉES et il faut que le mec qu'on m'envoie soit PUREMENT INUTILE.

RAAAAH.

Il baragouine des choses que je ne comprends pas, parce que dans mon état, je ne comprends PLUS RIEN, le sens des mots se barre à cause de ce foutu contrecoup.

Haha, et c'est clairement pas moi qui vais t'aider, Elias, tu le sais. Enfin, non, tu ne le sais pas, puisque tu ne fais aucun effort pour te rendre compte de ma présence. C'est pas comme si j'étais particulièrement discret, hein. Chaque fois que tu utilises ta magie, je gagne en conscience, alors, sans vouloir t'ammener à l'infirmerie à cause d'une utilisation excessive de tes pouvoirs, si tu daignais choisir la seule solution pour communiquer dignement avec le bouffon royal ci-présent, j'admets que j'apprécierais.

Comme ça, on se rapprocherait du jour où nous pourrions enfin communiquer. Nous avons tant de choses à nous dire, Elias. Tant de choses...

Il tend son téléphone. Mais, connard, j'ai déjà pas l'énergie et le niveau de conscience pour comprendre DES SONS, qu'est-ce que tu veux que je foute de ton écran blanc avec des tests de rorschach ? Bah, écoute, ça ressemble à un lama vu de dos, voilà, t'es content ?

Bon, je résiste à l'envie de lui faire bouffer son portable, c'est déjà un point très positif.

Les sons, ça marche pas. J'connais pas de langue des signes et je doute que les mouvements précis et rapides soient une bonne idée. L'écrit, c'pas mieux.

Y'a une solution, mais j'suis pas censé le faire sans demander. Et c'est franchement con à tenter en pleine crise. Mais c'est ça ou juste pioncer par terre et le laisser se démerder avec un semi-cadavre.

Et j'aimerais quand même vachement mieux pioncer chez moi.

Bon, déso pas déso, le rouquin, tu te plaindras plus tard. Je me connecte à ton esprit/inconscient/psyché, démerde-toi pour trouver son nom, l'important, c'est que ça marchera peut-être.

"Désolé, intrusion. Besoin chemin. Chez moi, lit. Contrecoup, pas de langage."

Voilà, j't'envoie ça, tu l'acceptes si tu veux, si t'es pas joisse, ça finira en pensée refoulée et j'irai m'faire voir.

Parfait, mon enfant. Espérons que ton interlocuteur apprécie le mécanisme, peut-être qu'il en redemandera. J'aimerais beaucoup qu'il en redemande.

"Euh oui allô ? Dieu, c’est toi ?"

Hahaha. Oui. J'aime ça. Dieu, c'est un bon titre. Bien mieux que Professeur. C'est ce que je suis, dans mon monde, après tout. Enfin, tant que mon accolyte ne s'en mêle pas...

Okay, il est tout aussi con dans son esprit que dans le monde réel, super. Pourquoi. Je croise. Que. DES. BOULETS ?

Mon corps pèse DES TONNES, je suis CREVÉ et le seul gusse qui traîne dans le coin pense à DES RADIATEURS GIRAFE.

Bon, il a l'air de commencer à bouger vers les résidences. ENFIN.

"Résidences par là, mais laquelle et quel numéro ?"

Putain, mais vas-y, demande des concepts encore plus éclatés qu'un numéro de chambre, quand JE NE SAIS MÊME PLUS PARLER. C'est même pas une quantité, c'est juste une foutue étiquette. Un vague chiffre sur une porte.

A la limite, on peut déjà limiter un peu le choix.

"Etudes sup. J'me démerde là bas."

Hey mais mec, range chez toi, j'ai l'impression de débarquer dans un salon crade avec tes slips sales par terre. T'sais quoi, on fait un deal, tu me ramène chez moi et on se parle plus jamais, hein. Allez, dis que t'es d'accord.

"Ton nom ? "

C'est... Compliqué, à transmettre par l'inconscient, un nom, tu t'en rends compte ?

Bon, on va essayer de transmettre la "vibe" de mon nom. Donc, bon, ça sera la sensation de réponse identitaire face à un signal sonore spécifique. Le signal sonore de mon prénom, du coup. Ça devrait marcher.

"E... Thaddeus."

... Ou de mon troisième prénom, apparemment. Bordel, je suis crevé.

Oops, c'était trop tentant. T'as qu'à me laisser sortir plus souvent, aussi.

"Ça ira pour marcher jusqu’à chez toi ?"

Bah écoute, j'suis suffisamment claqué pour plus ou moins me planter sur mon propre prénom, donc je te laisse arriver à tes propres conclusions. Va pas te taper un sprint, sinon tu vas être vite déçu.

"Besoin contact physique. Pour guider. Je peux marcher."

J'en ai tellement ras le cul de cette journée. J'ai envie de me défoncer le poing sur un mur, mais j'ai aussi la profonde flemme de faire plus d'effort que le strict nécessaire.

Allez, ramène-moi chez moi, par pitié.

" État des lieux, drôle de prénom."

Oh come on, tes pensées sur la version déformée du mauvais prénom que je t'ai envoyé, comment t'exprimer à quel point je m'en branle. Puis si tu pouvais ranger ton cri de canard agonisant là où le soleil ne brille jamais, ce serait adorable.

*Booon, Elias ayant l'air occupé à être un ado edgy, va falloir que quelqu'un fasse le taf' de réellement récupérer les infos importantes. Comme la marche, là. Voiiilà. On évite de se viander, merci.*

" Tu arrives à suivre ?"

Bah non, connard, tu tapes ton meilleur sprint ALORS QUE JE GALÈRE A MARCHER DROIT, SAC A KAZOO.

Oh, ça s'appelle un kazoo, donc, ton bruit de volatile malmené par un écossais en manque de cornemuse, soit. C'est d'la merde.

*Faut vraiment tout faire dans ce pays. Allez, Elias est en connexion depuis plusieurs minutes et est occupé à râler, normalement, si je me démerde bien, je devrais pouvoir...

" Non, trop vite. Ralentir."

Yeeeess, I spoke ! Like a real person ! Youhou !*

Nan mais vas-y, fais les questions et les réponses tout seul, musicien en PQ. J'veux bien que t'aies remarqué que je traîne et que, du coup, ton inconscient est capable de répondre à ta propre question sans mon aide, mais, genre, la politesse ?

Bah écoute, flemme de parler, du coup, si t'as pas b'soin de moi.

" Dormir suffira pour aller mieux ou une aide médicale est nécessaire ?"

Si une aide médicale est nécessaire, j'laisserai mes colocs ou Ingi, c'est à dire des gens en qui je fais réellement confiance me conduire à l'infirmerie, hein, si ça t'gêne pas.

" Pas besoin. Matériel adapté dans chambre."

Ce lit a été CHIANT à commander, j'le rentabilise, merci, bisous. Pas envie d'être dérangé par les rêves des squatteurs de l'infirmerie.

Bordel.

*Wohoho, il est en forme, le Elias, il a même réappris à parler. I'm so proud of my sweet kid.*

Nan mais j'pense que mon contrecoup est encore plus avancé que ce que je pensais. Parce qu'honnêtement, j'ai pas pu réellement recevoir ce message mental.

Il m'a pas vraiment demandé de me foutre dans une brouette pour faire le trajet restant. C'est quelque chose qui n'a pas eu lieu, factuellement.

"Pourquoi une brouette ? C'est sale, inconfortable et instable. Pas assez musclé pour porter mes quelques kilos ? J'ai vu une annonce pour un cours de musculation, avec M. Mornigan. Vous devriez y faire un tour."

Bon, j'ai évacué un peu de frustration, déso pas déso, t'avais qu'à pas être insultant.

*Woookay, donc on décide d'insulter la seule personne qui veut bien nous guider, soit. Et moi qui pensait manquer d'instinct de survie... Allez, j'suis d'humeur généreuse, j'vais essayer de sauver les meubles. Rien à voir avec le fait que si le jardinier en herbe (vous l'avez ?) se barre, on arrête d'utiliser notre magie, évidemment.

"Heeey, Elias, c'est soit la brouette, soit 200m à brouter du gazon par les genoux, sois pas con et choisis la solution la plus rapide et la moins douloureuse."*

Nan mais JE SAIS que c'est pas une si mauvaise idée, mais mon égo, dammit.

I swear to god, some day I'll regain a shred of decency.

"Désolé. Situation frustrante. Okay pour la brouette. Faites vite."

I'm so tired, please, make this day end faster.

N'empêche, il a un peu de répartie, le souffleur de pigeon, quand il s'y met, et qu'il réussit à communiquer. Un bon entraînement pour ma connexion mentale. Tant mieux, j'en avais besoin.

Oh, commencerais-je à deteindre sur Elias ? Dis-je d'une voix débordant d'innocence, en ayant parfaitement conscience d'agir subtilement sur son inconscient depuis plusieurs mois, pour lui donner cette envie légère mais persistante de sortir de sa léthargie scolaire et de réellement apprendre à utiliser ses pouvoirs. Nos pouvoirs ? Peut-être mes pouvoirs, qui sait.

La brouette est sale, ou en tout cas, y'a des variations de couleurs. Mon cher guide a l'aimable obligeance de foutre sa veste dessus, et c'est en effet le minimum syndical, après son choix douteux de véhicule.

Choix douteux d'existence, d'ailleurs, si je me fie à ce que j'ai pu voir depuis le début de notre échange. Vraiment, d'où il sort, Jojo le clown ? Et pourquoi il y a VRAIMENT des clowns, EN QUANTITÉ, dans son inconscient ?

Mais, bon, il a l'air de savoir ce qu'il fait et le voyage en brouette se fait dans un calme... Relatif. Pas trop de secousses.

Par contre, si j'me trompe pas, ça ressemble à un mur, là. Qui s'approche. Qui s'approche vite. De nous.

ARRÊTE-TOI, GLANDU !

"STOP !!!"

L'enfoiré dérape, je me rattrape comme je peux à ce que je peux, c'est à dire le bord de la brouette. Je tiens bon, mais BORDEL, apprends à freiner, fils de caisse à savon !

"TADA ! On y est ! Tu vois, c’était beaucoup plus rapide. Pas trop secoué ?"

... Pourquoi ça brille, dans mon champs de vision ?

Je répète, grand poivron tortionnaire, pourquoi, dans ce qui semble être un élément de célébration d'un acte tout sauf méritant, j'aperçois des petits éléments irisés, fort semblables aux PAILLETTES DES ENFERS que chaque membre du club d'art craint et redoute à l'exception notable d'un Oris déchaîné qu'on s'efforce de garder loin de nous pour cette exacte raison ?

Parce que si tu m'as jeté des paillettes à la gueule après avoir failli me renverser à cause du moyen de transport dégradant que tu m'as infligé, WE GONNA HAVE WORDS, YOU AND I.

Il devient compliqué de contenir mon irritation, potentiellement subtilement amplifiée par mon léger manque de sommeil. L'individu semblant être un employé de l'école, tout mot réellement virulent pourrait se retourner contre moi et, franchement, flemme.

Mais faut que je lâche un peu de pression, donc, mon chou, t'auras le ressenti mais sans les mots. Comme ça, je laisse sortir un peu de vapeur avant de t'exploser verbalement d'abord, les molaires ensuite.

Because, oh boy. If I had met you another day, another time, with a little more sleep on my side, you would be in such a sweet danger, an adorable pain.

Oh, the things I could learn, by just not giving a shit. By going feral on your mind, sharpening my skills on what would never be called a mind again. Tearing your whole being away from you, breaking every part of what makes you, you.

I don't know to what extent my ever growing, ever evolving magic can go. And right now, I wish to discover those limits. Or, rather, the dark, violent absence of them. Of morally reasonable boundaries that should protect you.

All those emotions, all that frustration, forged into a blade, thrust onto your soul.

Alors. Elias. J'entends ton propos, ta frustration et toutes ces couches de trauma que tu ne comprends pas et qui te font du mal sans que tu le saches. Mais, bestie. Cutie. Chaton. Tu te rends compte que t'as zéro crédibilité avec tes menaces ? I'm the scary one here, don't try to steal my gig.

Par contre, ce qui m'intéresse, c'est qu'il est à un pic d'épuisement rarement atteint, et que donc, y'a moyen, en poussant un peu de...

*Schlak*

Voiilà, Elias s'est évanoui, j'ai désormais un peu plus de latitude.

"Merci pour le trajet. Pas au goût de tout le monde. Les paillettes non plus. Je prends le relais. Au revoir."

Je serais bien resté dans ton esprit, histoire de gratter quelques informations, adorable conducteur de brouettes, mais c'est trop mal organisé pour aujourd'hui. Quand je serai plus en forme, promis !

Je sors de la brouette, à grand renfort de gestes délicats, j'ai si rarement l'occasion de bouger, c'est le moment où jamais d'en profiter !

L'inconvenient, c'est que je ne vois pas beaucoup plus de choses qu'Elias. C'est très flou, je ne pourrai pas faire la petite balade de mes rêves. Bon, au moins un tour des dortoirs, sur un malentendu. Les quelques pas jusqu'à la porte sont un peu laborieux, mais c'est une question d'entraînement.

La porte s'ouvre, victoire ! Mais... J'ai pas touché la poignée ?

"Elias !"

Fuck, y'a quelqu'un. Merde, c'est ch'veux bleus, le mec d'Elias.

Il a ouvert la porte de l'autre côté. Timing de chiotte.

"J'étais en train de te chercher, t'étais où ? Oh mon dieu, t'as l'air épuisé. Je t'avais dit de pas sortir dans ton état. Oh, M. Archidice ? Vous l'avez ramené ici ? C'est vous les paillettes ou vous l'avez trouvé comme ça ? Bon, pas grave, merci beaucoup, je le récupère, vous en faites pas."

One day, I'll get rid of you, Ingi. I had ONE CHANCE and you appeared to fuck it up.