Est-ce que tu regrettes d’avoir profité d’être dans les bonnes grâces de Saphirre pour dérober l’objet de la discorde entre Mordred et toi ? Absolument pas. Déjà, parce qu’Aprilynne Beaufort ne croit pas aux regrets. Ensuite, parce que le mot que tu lui as laissé était hilarant et qu’il n’est pas encore venu frapper à ta porte, fumant de rage. Probablement parce qu’il ne sait pas quelle est ta porte. Enfin, parce que c’était bien fait pour lui, il n’avait qu’à te le prêter volontairement.

Est-ce que tu t’en mords les doigts, maintenant que tu as besoin d’aides en anglais ? Probablement. Si tu ne lui avais pas subtilisé l’ouvrage, tu serais volontiers allé lui demander son aide. Parce que de toute évidence, s’il vole un livre entièrement en anglais, il doit être en mesure de le lire et de le comprendre—ce n’est pas ton cas, mais tu es un cas à part. Aussi parce qu’au vu de l’état immaculé de sa chambre, tu es capable de déduire qu’il s’agit d’une personne consciencieuse, pile la personne nécessaire pour un tutorat express en langue étrangère. Et en aucun cas parce que tu espères revoir saon colocataire.

Et il y a un autre point qui chafouines ton orgueil. Aller demander de l’aide. C’est encore difficile, pour toi. Mais c’est un point qui se met rapidement de côté. Il n’y a aucune honte à avoir besoin d’aide dans un domaine dans lequel on débute. Demander de l’aide est le meilleur moyen de progresser. Et tu as l’intention de progresser, ce que tu ne pourras pour l’instant pas faire toute seule, ni en te contentant de suivre les classes d’anglais. Tu as besoin d’aide, tu sais vers qui te tourner. Il suffit de sauter le pas. De se présenter chez lui tout sourire, livre en main et de le convaincre de ne pas te mettre à la porte une fois qu’il aura récupéré son bien. Tu ne sais pas exactement comment tu vas procéder. Mais tu trouveras sur le tard. Pas le choix. Tu glisses délicatement l’ouvrage dans ta sacoche, attrapes un manteau et sors sans bruit de ta propre colocation, direction chez Mordred et Saphirre. Pour voir Mordred. Pas Saphirre.

Tu frappes, trois coups mesurés, et attends qu’on vienne t’ouvrir. La partie de toi qui est venue demander des conseils espères que Mordred répondra. La partie de toi que tu as encore du mal à comprendre compte sur son absence, et sur la présence de saon colocataire. Dans les deux cas, le résultat sera intéressant.

Son déplaisir saute aux yeux. Tu choisis de ne pas le laisser te décontenancer et lui rends son sourire, même si le sien dégouline de fausse amabilité et que le tiens est, étonnement, sincère. Son agacement t’amuse. Tu sors l’ouvrage de ta sacoche pour le poser dans sa main, mais ne retires pas la tienne. Tu sais qu’il est pleinement capable de te fermer la porte au nez, même s’il est sans doute curieux vis-à-vis de ton modus operandi. Tu ne prends pas le risque de te retrouver nez à nez à la porte. Tu élargis ton sourire, dévoile tes dents quelques instants avant de répondre à ses questions et à son presque salut.

- Bonjour, Mordred, je suis enchantée de te voir également. Je viens te rendre notre livre, mais je viens pour plus que ça. Vois-tu, j’accepte de t’en céder mes parts en échange d’un tout petit service. Ne me ferme pas la porte au nez si tu ne veux pas qu’il prenne feu dans tes mains. Je ferai en sorte de ne pas te blesser, mais je ne te le laisserai pas gratuitement pour autant. Comment vas-tu ?

Tu crois vraiment que la situation peut se résoudre de façon positive, sans que votre relation amicale naissante n’ait à en pâtir. Il est typiquement le genre de personne qui pourrait comprendre ton geste, puisqu’il est du genre à se comporter de la même façon. C’est lui qui t’a, après tout, jetée sous la charrette lorsque vous avez conjointement tenté de voler l’ouvrage. Tu lui as servi de mule, il peut bien se fendre de bienveillance et te prêter le livre quelque temps. Surtout dans la mesure où tu en as pris grand soin et que tu es venu de toi-même le lui rendre.

Le subterfuge ne l’a donc pas particulièrement amusé. Tu ne le préviendras pas que tu maîtrises mal ton pouvoir, et que quand tu n’es pas traversée d’émotions négatives, il est plus difficile à sortir de toi. Peu de chances, donc, que tu aies réussi à enflammer l’ouvrage. En plus de ça, ç’aurait été un gâchis considérable. Mais tu ne veux pas qu’il se sache que tu fais des menaces en l’air. Alors tu lui souris et entre à sa suite. Il faudrait que vous échangiez vos numéros de téléphone, cela t’éviterait de le déranger lorsqu’il est occupé. Son ton poli est un leurre et tu n’arrives pas à discerner s’il est agacé de te voir parce que tu lui as volé quelque chose qui lui « appartenait »—dans ses fantaisies en tout cas—ou s’il est chafouin parce qu’en plus de lui avoir dérobé le livre, tu viens l’interrompre dans ses occupations. Probablement les deux. Tant pis.

- Je me porte comme un charme, merci.

Vous pouvez être deux à jouer au jeu des fausses banalités. Tu acceptes la tasse de thé avec plaisir et t’assieds à la table où tu as déjà pris place, lors de votre rencontre. Tu poses le livre près de lui. Maintenant que tu es entrée, tu n’as plus vraiment besoin de garder les mains dessus et tu préfères les poser sur la tasse. L’odeur de thé est forte, et tu le goutes pour confirmer tes craintes. Nez froncé. Trop chargé ou trop infusé, il est imbuvable. Sourire amusé. Visiblement, Mordred n’apprécie vraiment pas que tu viennes l’embêter. Tu remets une mèche rose en place derrière ton oreille et le regarde avec un sourire.

- Je suis venue enterrer la hache de guerre ? Je serais chagrinée de n’être pas en bon terme avec l’une des rares personnes de l’Académie dont je connais le prénom. Ça et j’ai, accessoirement, besoin de l’aide de quelqu’un qui parle suffisamment d’anglais pour lire un ouvrage en langue originale. Tu ne seras pas surpris de comprendre que je pense à toi, ça m’étonnerait que tu « empruntes » des livres que tu serais incapable de lire.

Tu gardes les mains autour de la tasse de thé mais ne fais plus mine d’avoir l’intention d’en boire. Le gout amer t’est resté en bouche et tu n’es pas une adepte des thés trop infusés. En revanche, tu apprécies toujours la chaleur de la tasse contre tes paumes. Et il ne serait pas poli de se lever pour aller vider la tasse dans l’évier. Même s’il a délibérément raté l’infusion de celle-ci. Quel gâchis.

Il sera visiblement plus difficile à convaincre que tu ne l’as espéré. Il n’a pas l’air d’avoir trouvé aussi drôle que toi le pied de nez que tu lui as fait en lui chapardant votre livre. Quel mauvais perdant. Tu arques toutefois un sourcil face à la bêtise de sa réflexion. Comme si tu n’avais pas commencé par des dictionnaires et des livres de grammaire. Tu as rempli les vingt premières pages d’un carnet de mots de vocabulaire avant de baisser les bras. La lecture du début du premier chapitre a été longue et laborieuse. Même avec un dictionnaire sous la main, et un livre de grammaire anglophone, la lecture a été pénible et c’est à peine si tu te souviens de l’intrigue de l’extrait que tu as lu. Non. Tu as largement surestimé ton propre niveau. La chute est brutale. Sa mauvaise humeur n’aide pas.

- Je n'imaginais pas que ma maîtrise de la langue serait si fragile. J’avais un bon niveau, mais visiblement, j’ai oublié la majorité de ce que j’ai appris. Je pensais qu’avec un exercice difficile, j’apprendrais plus de choses, plus vite. Sortir de ma zone de confort. Malheureusement, j’ai brutalement sous-estimé mon retard et ce n’est pas avec les cours d’anglais que je suis actuellement que je vais le rattraper. Evidemment, j’ai emprunté des manuels de grammaire et un dictionnaire à la bibliothèque, mais le niveau est trop avancé pour l’instant, je manque cruellement de vocabulaire et de pratique.

Tu le regardes boire son thé et réfrène l’envie d’en faire augmenter la température. Ce serait un juste retour des choses, puisqu’il boude et t’a servi un breuvage imbuvable, mais une très mauvaise idée pour t’attirer sa bienveillance. Même si l’envie est forte.

- Je ne te pensais pas aussi mauvais perdant. Et je n’ai pas exactement l’intention de te supplier de m’aider. Si tu refuses, je trouverai de l’aide ailleurs.

C’est faux ; s’il refuse, tu retourneras à tes livres de grammaire et tu continueras à t’arracher les cheveux et à maudire Lucas pour un millier de raisons différentes, celle du moment étant qu’il t’a couté ton éducation. Ce serait un gâchis effroyable, si l’on considère que Mordred a tout pour être le compagnon d’étude idéal. Tu poursuis :

- Tu as besoin d’une offrande supplémentaire pour accéder à ma requête ? quelque chose qui favoriserait ta bonne disposition ? quel est ton prix, Mordred ?

Il ne relève pas la pique. Tu es tentée de remonter un peu le curseur pour l’antagoniser un peu plus. Tu as la sensation qu’il existe une limite ténue entre retenir son attention et t’attirer ses foudres. Malheureusement, tu ne l’as pas encore assez fréquenté pour savoir ce que tu peux et ne pas dire afin de ne pas franchir cette limite. Il rappelle à ton bon souvenir l’idée à laquelle tu es parvenue quand, complètement ivre, tu t’es introduite chez lui en passant par la fenêtre de sa chambre. Tu l’avais prévenu, en partant, que tu réussirais à mettre la main sur le livre. C’est sa faute s’il ne t’a pas cru et n’a pas non plus mis en place les dispositions nécessaires. Il aurait pu maudire le livre. Il n’a pas saisi cette occasion. Tu souris. Il est plus malin que toi à ce sujet, puisqu’il décline ta proposition. Tu n’as pas encore eu l’occasion de les prévenir que celle-ci ne tenait plus en raison de la visite de la directrice, mais tu saisis ta chance pour le lui signaler.

- C’est plus judicieux ainsi. Ce n’était pas une très bonne idée, pour commencer. Cela étant, j’ai eu l’occasion de réfléchir à autre chose, mais c’est une discussion pour une autre tea party. Je pense que la meilleure rétribution pour un service reste un autre service, qu’en dis-tu ? j’ai de nombreux talents que je peux mettre à contribution. J’ai même eu une conversation avec Saphirre à ce sujet.

A quoi correspond ton niveau d’anglais ? c’est dur à estimer. Pour la simple et bonne raison que les autres élèves de ton groupe n’ont pas l’air particulièrement plus avancés que toi. Dans la moyenne nationale ? tu ne sais absolument pas à quoi cela pourrait correspondre. Tu ne sais pas comment l’évaluer. Tu portes une main à ton menton, réfléchis, puis désigne l’ouvrage d’un signe de tête.

- Je ne sais pas comment évaluer mon propre niveau. Je dirais « mauvais », parce qu’il ne me satisfait pas, mais ça ne t’avancera pas. Le mieux serait de le tester, tu ne crois pas ? comme ça, tu auras une idée assez précise du chantier que m’aider représente.

Quel que soit ton niveau, tu as conscience qu’il a de forte chances de refuser. Il n’acceptera pas dans l’espoir de passer du temps en ta charmante compagnie, lui dérober le livre a pour l’instant balayé l’aspect charmant de ta compagnie à ses yeux. Mais peut-être que son côté sérieux et bon élève joueront en ta faveur. Tu pourrais, après tout, l’aider dans d’autres matières. Ou s’il a besoin d’une personne de main pour aller intimider quelqu’un. Ou pour l’aider à rafraichir sa garde-robe et celle de saon colocataire. Plein de possibilités qui, s’il y songe, pourraient l’incliner à t’aider. La principale étant : forger une amitié avec quelqu’un qui lui ressemble un peu.

Peut-être que tu n’aurais pas du mentionner Saphirre. Ça va l’inquiéter—à juste titre, puisque vous avez prévu de le transformer en tête à coiffer, mais il n’est pas obligé de savoir ça exactement. Tu essaies d’afficher une moue bienveillante, posée, pour ne pas l’effaroucher, et déposes tes coudes sur la table, joins les mains et y reposes ton menton.

- J’ai croisé Saphirre il y a peu. On a discuté notamment de t’aider à réaliser ton potentiel inexploité. Mais je peux aussi t’aider dans d’autres cours. Ou servir de partenaire d’escrime. D’escrime magique, j’entends. On a tous besoin d’entrainement, pas vrai ?

Tu as grand besoin d’entrainement. Mais ça aussi, tu le gardes pour toi. Tu lui es reconnaissante de revenir au sujet présent : il vaut mieux ne pas vous étaler dans la perspective de son changement de garde-robe. Il n’a pas l’air d’humeur à subir vos bêtises—et Saphirre n’est pas là pour lui faire les yeux doux et le convaincre d’accepter, ou pour prendre ta défense. Tu hoches doucement la tête en réponse à ses instructions et réfléchis brièvement.

- D’accord. Mhmh. My name is Aprilynne and I am twenty one years old. I study literature, and I like going to my classes because I find them interesting. I also like… reading, shopping and learning new things. I hate water, most of the persons outside the Academy and the colour orange. Mmmh… Yesterday I went to my classes and nothing happened so it is not something very interesting to tell you of… I think. Tomorrow I will also go to my classes and I will be bored because the other pupils are even worse than me and the teacher is not really effica…efficient?

Tu grimaces. Cette succession de phrases a été laborieuse à formuler et tu n’as utilisé qu’un vocabulaire limité, qui est relativement fidèle à celui que tu maitrises. Il ne te laisse pas de répit, et te demande de traduire un extrait du livre. Tu fronces à nouveau les sourcils et poursuis :

- D’accord, alors… Le fait infortuné que la nouvelle troisième… la troisième nouvelle femme du millionnaire américain était une mauvaise… vendeuse ? a conduis à la hausse du prix de la maison et de l’île à la vente.

C’est encore pire. C’est précisément parce que tu as autant de mal à lire et comprendre de façon fluide, que tu es venu chercher de l’aide. Ça ne t’empêche pas de rougir de ton mauvais niveau. Puis de rire à sa nouvelle pique, avant de te reprendre et d’essayer de traduire, encore une fois, ce qu’il te dit. Bien. « Je n’ai pas de race » doit vouloir dire… que tu n’as pas d’honneur ? tu ne peux pas en être certaine, mais tu te doutes que traduire « I don’t have a specy » serait un contre sens.

- Introducing myself to your room and stealing your book was not very nice of me. Verdict ? c’est terrible, je sais, tu n’es pas obligé d’édulcorer ta réponse.

Tu sais pertinemment qu’il ne le fera pas.

Tu n’as pas trop le choix. Il n’aime pas ton discours crypté, mais si tu lui annonces de but en blanc que vous avez prévu de le trainer dans les magasins et d’essayer diverses teintes de crayon sous ses yeux pour accentuer son regard, tu es presque sûre qu’il te demandera de rentrer chez toi en passant par la fenêtre. Pas ce que tu as prévu. Tu hausses les épaules et laisses donc cette partie de la conversation s’éteindre pour ne pas faire de bourde et en dire plus qu’il ne peut entendre.

Tu arques un sourcil. Quand tu t’es… présentée à sa chambre ? tu repasses dans ta mémoire les phrases que tu as prononcées, perplexe, avant de comprendre ton erreur. Introduced to. Se présenter, et non s’introduire. Tu as du mal avec les verbes à particule, en plus d’être tombée dans le piège du faux ami. Ton erreur s’apparente donc doublement à un manque de vocabulaire. Jusque là, c’est cohérent. Quand il revient avec de quoi écrire, tu es confortée dans l’idée qu’il sera un parfait camarade de révisions/tuteur, pour la simple et bonne raison qu’il te permet de noter tes erreurs pour ne pas les reproduire. Grincheux et susceptible certes, mais visiblement déterminé à t’aider. Même s’il ne l’a pas encore officialisé. Nouvelle faute de vocabulaire, tu grimaces. Il va falloir que tu trouves un lexique anglais, qui donne des listes thématiques de mots, de préférences des plus courants aux moins employés, en passant par les expressions et les usages. Ça devrait se faire. Tu le notes dans un coin de ta tête, tu n’en as pas trouvé à la bibliothèque, mais c’est sans doute quelque chose que tu pourras commander s’il n’en y a pas à la librairie.

- OK, sailor signifie marin, subsequent est transparent et put up for sale, mettre en vente.Tu fermes les yeux, te concentres quelques instants et corrige : le fait infortuné que la troisième nouvelle femme du millionnaire américain était un mauvais marin a conduis à la vente…subséquente ? c’est laid… a conduis à la vente subséquente de la maison et de l’île. Mieux ?

Break into pour remplacer introduced to. Tu vas aussi devoir apprendre les conjugaisons des verbes et leurs exceptions. Nouvelle note mentale. Tu hoches doucement la tête et manques de porter la tasse à tes lèvres, avant de te rappeler qu’elle aura un gout immonde. Sourire ravi, une fois qu’il accepte de t’aider. Tu savais qu’il y avait un cœur sous cette moue agacée !

- Je ne pouvais pas ne pas te rendre la pareille. Mais je te remercie d’accepter de m’aider et de ne pas trop m’en vouloir. J’étais sincère, en disant que je voulais être en bon termes avec toi.

Et tu lui es reconnaissante de ne pas te rire au nez lorsque tu fais des erreurs de débutante. Même si tu sais que tu vas progresser et que les erreurs sont le seul chemin possible vers la réussite, tu n’aimes pas pour autant les multiplier. Heureusement, tu as une bonne mémoire et tu as l’intention de fournir les efforts nécessaires à la réalisation de ton entreprise. Tu devrais donc t’améliorer décemment et rapidement.

Il est mignon. Comment aurais-tu pu lui subtiliser le livre sans entrer dans sa chambre ? en envoyant Saphirre, mais elle était déjà en retard et tu ne sais pas si l’intrusion de Saph aurait été mieux accueillie. En plus de ça, Mordred n’est pas censé savoir qu’elle a participé au larcin. Qu’est ce qu’elle t’a demandé de dire à Mordred au cas où il poserait la question ? Tu fronces les sourcils avant de te souvenir de la réponse.

- « R » ! c’est… tout ce que je peux te dire de mes méthodes. « R ».

Tu termines la phrase avec aplomb et un hochement de tête, satisfaite d’avoir suivi les instructions de sa colocataire. Tu souris, aussi. Tu n’as pas formulé les choses de la sorte, mais le terme est… seyant. Vous êtes tous les deux des connards (une belle paire de petits batards, mais tu ne formuleras pas les choses de la sorte). C’est vrai. Entre votre chamaillerie au sujet d’un livre que vous avez tous les deux essayé de voler, le fait qu’il t’ait laissé te prendre une porte en pleine figure, la réaction intéressée qu’il a eu par rapport à tes bêtises et l’après midi passé à Marie aux cartes, tu as pu établir que vos caractères, s’ils ne sont pas vraiment identiques, sont complémentaires. Tu aimes bien sa façon de poser des questions les unes à la suite des autres, comme si sa curiosité était trop importante pour être contenue, mesurée et distribuée au compte-goutte. Et tu aimes bien sa partenaire, mais ça, tu n’as pas encore entièrement réussi à le comprendre. Ça joue énormément pour te donner envie de les revoir.

- Ravie de savoir que nous sommes sur la même longueur d’onde. Autant pour l’appréciation mutuelle que pour… la compréhension du fait que nous sommes tous les deux des connards. Au niveau du vocabulaire… peut-être ce qui concerne l’habitation, la famille, les vêtements… la cuisine. Je pense que je vais me trouver un lexique thématique des mots les plus fréquents et quelque chose qui répertorie les verbes irréguliers et les verbes à particule, ils me posent pas mal de problèmes encore.

Tu croises les bras et prends une moue boudeuse. Oui, tu es butée et tu as décidé de commencer par ce livre. Tu as entièrement conscience de la stupidité de ce mode de pensé complètement fermé. Ça ne veut pas dire que tu apprécies qu’on te fasse la remarque. Tu gonfles les joues et poursuis :

- J’ai décidé de commencer par là et seulement par là. Mais, pour ma défense, j’ai décidé ça parce que je ne connais pas beaucoup d’auteurs anglais et que c’était double bénéfice, rapport à mes plans diaboliques. On retrouve pas beaucoup de meurtres sanglants et intelligents chez Jane Austen ou chez les sœurs Brontë. Et leur niveau de langue est encore plus élevé qu’Agatha Christie. Je ne connais pas de podcasts, ni de livre audio… c’est un livre lu par quelqu’un d’autre ? ça pourrait m’intéresser… et je ne regarde pas vraiment de série, j’ai trop de livres en retard pour l’instant, et d’autres matières à rattraper.

Tu as un emploi du temps chargé de révisions personnelles intensives, qui gratte sur ton temps de sommeil et se glisse souvent à la place des repas. Tu es exigeante, et tu détestes avoir perdu tout ce temps dans les usines à ne pas recevoir l’éducation que tu méritais. Maintenant, tu dois caler des séances de révision de philosophie entre deux cours de littérature, et lire un maximum d’œuvres classiques entre deux cours d’histoire littéraire. C’est intense. Lire Agatha Christie pour renouer avec la langue avait pour objectif de paraître moins difficile. Résultat, c’est tout l’inverse. En plus de ça, tu passes du temps avec Mordred au lieu d’étudier et, puisque tu aimes sa compagnie et qu’il te trouve intéressante, tu risques de remettre ça. Etonnement, tu ne culpabilises pas vraiment à ce propos. Après tout, tu ne pourras pas repousser éternellement la sociabilisation, et c’est aussi une partie importante et nécessaire de la vie en communauté.

- Mais si tu penses que ça peut m’aider, je te fais confiance à ce sujet. Je présume que la pratique régulière est le meilleur moyen de progresser correctement, et si les séries et les films peuvent me permettre d’entrainer mon accent et ma compréhension, je ne cracherai pas dessus. Mais je ne sais pas par où commencer. Ils prêtent des films et des séries à la bibliothèque, ou il faudra que j’en « emprunte » en ville ?

Le peu de films que tu as eu l’occasion de regarder était… loin de ce qu’on pourrait attendre pour composer la culture cinématographique d’une enfant. Tu as de vieux souvenirs des films impressionnistes allemands et d’œuvres obscures en couleur mais sans grand sens pour une enfant de ton âge. Quand Mordred te dit que tu trouveras de la matière dans des films et des séries, en revanche, il renouvelle ton intérêt pour cette possibilité. Tu prends note.

- Je n’en ai pas eu l’occasion. Mes parents avaient une idée un peu plus… élitiste… de ce que je devais regarder, lire, apprendre et écouter. Donc je redécouvre un peu le monde réel. Et les opportunités qu’il donne. Je ne connais Agatha Christie que de nom, parce que c’est un classique du genre, mais je n’en ai jamais lu non plus.

Tu parles comme si tu sortais d’une secte ; ce n’est pas vraiment intentionnel, mais tu n’y vois pas de mal. Peut-être qu’il ne posera pas de questions. Tu n’as pas envie de lui mentir, mais tu n’as pas non plus envie de lui raconter ton enfance. Vous ne vous connaissez pas suffisamment pour entrer dans ce genre de détails tragiques.

Est-ce que tu pourrais parler en anglais avec tes colocataires ? en théorie, sans doute. En vérité, tu ne connais même pas leur prénom et tu serais bien en peine d’essayer de faire ami-ami avec eux maintenant ; il est un peu trop tard pour cela. Tu secoues donc la tête et écoutes le reste de ses questions. Tu as bien un portable et un ordinateur mais ta maitrise en est encore…limitée. Tu n’as changé aucun des paramètres, touché à aucun fond d’écran et ajouté aucun contact. Tu pourrais peut-être demander celui de Lucas. Pour l’appeler à deux heure du matin, par exemple, ou lui écrire des haikus haineux. Tu secoues une nouvelle fois la tête.

- Disons que quand je t’ai dis que tu étais une des rares personnes dont je ne connaissais le nom, les autres personnes concernées ne sont pas mes colocataires. Donc les mettre à contribution semble compromis. Autant te dire également que je n’ai pas vraiment eu d’occasions d’utiliser mon téléphone. Je sais virtuellement comment envoyer des messages et passer des appels… mais je ne sais pas vraiment ce que je peux faire d’autre avec. Enfin, je n’ai pas eu de raison de trouver autre chose à faire avec. Mais j’entends l’argument langue vivante – outils vivants. Je me pencherai un peu sur la question, ça ne devrait pas être plus difficile que Marie aux Cartes.