Naaaaaan ! C’est DRAMATIQUE !! Y’a du Chaï Latte PARTOUT ! Et personne en vue, c’est un détail très important. Je suis pas là depuis longtemps, j’ai une street cred à construire et à garder étincelante par la suite. A mon image, quoi. Pas comme le sol devant moi, sur lequel les vestiges de ma précieuse boisson forment une flaque brune. J’suis deg. Vraiment. J’étais hyper déter à me poser dehors pour bronzer avec un chaï divin et mon tel pour frimer auprès de mes potes. Me restait juste à trouver un coin assez beau dans cette école. Beau et désert, c’est mon moment self-care. On a pas de balcon à la coloc donc j’improvise. Ça, d’ailleurs, c’est une honte. Genre, comment je chill au soleil à proximité de mon confort moderne si j’ai pas de balcon ?

Bon, là, mon problème c’est ce que j’ai renversé en voulant fermer mon sac. Une erreur de coordination, j’avais les mains pleines. Ce serait pas arrivé si j’avais un balcon ! J’ai mis tout mon coeur dans ce mug, tout ça pour le voir étaler par terre. J’en pleurerai si ça risquait pas de niquer mon maquillage. A la place, je sors des mouchoirs – en tissu, joliment ouvragés, trop beaux pour le sol – pour éponger la catastrophe. Ensuite, je me concentre pour faire disparaître les taches. Les précieux mouchoirs iront à laver, faut juste que je trouve des sanitaires pour les rincer en attendant.

Le sol est à présent brillant comme jamais, et je prends un instant pour admirer mon magnifique travail. C’est beau, j’suis génial.e, ça m’aide à faire le deuil de ma précieuse boisson. Repose en paix petit ange parti trop tôt. Maintenant, faut aussi que personne passe ici, c’est glissant et y’a des escaliers à proximité.
Ouaiiis, j’vais mettre des post-it sur le mur et la rembarde pour prévenir. Je m’écarte et tourne le dos à la scène, le temps d’écrire. De toute façon j’entendrai très bien si quelqu’un arrive.

J’ai dit que j’entendrai si quelqu’un arrive pendant que j’écris de ma superbe écriture ronde et liée, et j’ai entendu ! J’ai même réagi pour prévenir la personne qui arrivait ! Sauf qu’elle m’a pas entendu, ou trop tard, et j’ai eu le temps de me tourner pour la voir crier, déraper, et dévaler les escaliers. Premier réflexe, j’ai ramené mes mains devant mon visage pour ne pas voir la chute. Ben ouais j’ai pas aidé, mais faut dire qu’une intervention de ma part ça aurait donné deux blessé.es plutôt qu’um, le truc qui sert vraiment à rien. En plus, les chutes dans les escaliers ça pardonne pas. Là au moins je peux aller l’aider !

Mais pas tout de suite. Ou plutôt, pas n’importe comment. Quand c’est certain que la gamine est stabilisée et qu’elle glissera pas plus loin, je la rejoins précipitamment et m’écris d’abord sur le bordel monstre autour de nous :

« Ma sac’h ! C’est quoi tout ça ?? Ouah mais t’as de la tomate plein la figure ! Et des épluchures de partout, c’est giga dégueu. »

Je m’interromps pour regarder le sol sali, poussant un soupir à fendre le cœur. C’est terrible, absolument terrible. Pour elle, pour moi, pour la propreté des lieux. Pour elle parce qu’elle ressemble à un détritus vivant et elle a dû se faire mal, pour moi parce que j’ai nettoyé le sol pour rien et je me vois pas partir sans l’aider, pour la propreté des lieux parce que ben… Y’a pas besoin d’explication. Il me reste un mouchoir, que je lui donne sans attendre.

« Tiens, en attendant de pouvoir passer ta tête sous l’eau. Ça va ?? T’as pas eu trop mal ? Tu m’as fait peur ! Même si j’ai rien vu, en fait, je voulais pas. Mais c’était flippant quand même. Tu t’appelles comment ? Moi c’est Aelig. C’est vraiment triste, j’avais nettoyé le sol nickel… Ah… Mon beau travail saccagé en si peu de temps. »

Une main sur le cœur comme si ça me déchirait réellement, je fixe une épluchure qui glisse lentement le long de la rambarde. Berk. J’vais plutôt ramasser le bac pour la tej dedans et plus la voir. Tout en m’activant, je continue de parler.

« Bon après c’est pas grave, j’avais moi-même renversé un truc par terre.  Un chaï latte. Il aurait pu être trooop bon si je l’avais pas fait tomber. En plus j’ai un mélange d’épices pour les faire, c’est une tuerie j’te raconte pas. Ça va, tu peux te déplacer ? La bassine est énorme par rapport à toi n’empêche, pas étonnant que tu sois tombée ! Tu travailles en cuisine ? Je suis dans le club mais je t’ai pas encore vu. Normal, je viens d’arriver, mais ça va je connais déjà les têtes et les noms. Ceux que j’ai vu en tout cas. »

Elle est hyper timide la choupette ! En trois phrases y’a autant d’hésitations et elle a l’air si peu assurée que même les épluchures ont plus de prestance. Bon après elle vient de se ramasser dans les escaliers, ça secoue et je comprends qu’elle ait besoin de temps pour s’en remettre. Perso j’aurais fait un drame, ne serait-ce que pour faire honneur au tumulte de la scène. Et à la douleur. Et aux vêtements tachés. Plein de raison de s’effondrer en maudissant le ciel, quoi.

Et le pire dans tout ça. LE PIRE. C’est qu’elle ne sait pas ce qu’est un Chaï Latte. Il existe beaucoup de boissons très bonnes mais celle-là fait partie de mes favorites. Elle est plutôt populaire, c’est une tuerie. Y’a du thé, des épices, du lait (ou autre boisson lacté). Que demander de plus, si ce n’est la version frappée pour l’été !

« Pas grave, pas grave ! Je t’accompagne, j’ai des mouchoirs à rincer.  »

Sauf que je sais pas où sont les sanitaires les plus proches et s’il y a des produits d’entretien dans le coin.

« Tu sais par où aller ? En fait le ChaÏ Latte, pas chat latte ou je sais pas quoi là, c’est des épices, du thé noir et un peu de lait. Faut faire infuser les épices dans l’eau avant, puis tu ajoutes le thé et enfin le lait. Tu connais pas du tout ? C’est super bon ! …JE SAIS. Ça te dirait d’aller voir en cuisine si y’a de quoi en faire ? J’en ai plus, tu sais pas ce que c’est, ce sera une chouette découverte et je serai plus dévasté.e par le terrible accident qui a ravagé l’ingrédient essentiel de mon moment détente. »

Cette phrase était beaucoup trop longue !! Je reprends aussitôt mon souffle récupéré, sans la regarder car je cherche ce qui nous aidera à nettoyer nos catastrophes respectives.

« T’es partante ? ...Partant, les deux ? C’est quoi tes pronoms en fait ? Si jamais ils sont pas d’accord pour qu’on utilise le matos du club, on pourra aller chez moi. Mais comme c’est à côté ce sera plus pratique. »

Elle sait pas ? Bah, elle a le temps de se chercher et de se trouver, au pire si elle a besoin d’aide je pourrais l’aider. Ou elle a des ami.es. J’espère pour elle, ça doit être vachement long de rester enfermé ici sans se constituer un groupe.

« Iel, accord neutre, pour moi ! Si c’est galère pour former ta phrase tu peux alterner féminin et masculin, je suis pas dérangé.e par l’un ou l’autre aujourd’hui. C’est pas grave si tu sais pas, mais est-ce que t’as une préférence pour le moment, pour éviter que je me goure en te parlant ? »

Elle pourra m’avertir du changement quand elle voudra, c’est pas graver dans le marbre de toute façon. Quand elle s’arrête, je fais de même en effectuant un demi-tour pour me retrouver face à elle. What ?? C’est quoi cette question ?! Elle a rencontré des gens comme ça ? La pauvre !! La mine choquée, je réponds immédiatement :

« Jamais de la vie ! Y’en a qui ont de drôle d’idées, dis donc. Il t’est arrivé un truc comme ça à Leoska ? Je croyais que c’était un machin sympa avec des papillons et des mages qui vivent en harmonie avec la magie ou une connerie du genre. Bah après on trouve des cons partout tu me diras. »

Je hausse les épaules et secoue la tête dans un soupir incrédule. J’allais reprendre, mais on est interrompu.es par l’entrée en scène d’un jeune homme qui se vautre sur une épluchure. Ce serait mentir de dire que j’ai pas pouffé, sur le coup. Il a glissé drôlement loin. Je lui tends la main pour l'aider à se relever.

« Oulaaaah ça va ? J’ai jamais vu quelqu’un glisser aussi loin ! Quoique si, quand Marthe, une pote, a glissé dans la pente derrière chez moi. Mais c’était une pente et c’est parce qu’elle avait marché sur sa claquette. »

Avant d’aller en cuisine, faut vraiment qu’on mette un mot pour prévenir que le sol est glissant et accidenté. Je sors donc mon crayon et mes post it à nouveau, finissant de griffonner l’avertissement en deux secondes. Maintenant, suffit de les disposer à des endroits assez visibles.

« Voilà ! Ça fera l’affaire le temps qu’on revienne ! »

Oh non il est trop mignon, j’ai grave envie de lui pouic les joues en voyant son sourire niais !! Bon et en même temps, je suis pas trop étonné.e, si je passe autant de temps sur mon physique c’est bien pour avoir des réactions de la part des autres. Et me plaire à moi-même, aussi, parce que c’est super important pour aller bien. Donc merci petit inconnu qui crush visiblement sur tout ce qui bouge, tu fais plaisir à mon égo !

« Je suis poisson ascendant poisson ! Ma planète dominante c’est Mercure, et toi ?  J’ai connu plusieurs sagittaires c’était tellement des clichés olala. Je sais pas pourquoi, y’en a un qui aimait pas du tout se faire traiter de capricorne. Bon ça se comprend, iels sont particuliers un peu des fois. Et toi Colette, c’est quoi ton signe ? »

Je me baisse pour ramasser une partie des épluchures et les remettre dans la bassine, afin que Colette ne soit pas la seule à s’en occuper et qu’on puisse rapidement bouger. Ça fait quand même deux fois que tout s’éparpille dans le couloir, et moi j’ai envie de refaire mon chaï latte, pas de ramasser des déchets tous les deux mètres. Tout sourire, je m’adresse au nouvel arrivant.

« On allait en cuisine pour prendre de quoi nettoyer tout ça, et j’ai proposé à Colette de lui montrer ce qu’est un chaï latte ! Ouah mais attends j’ai même pas entendu ta réponse tout à l’heure ! T’as envie de goûter ou pas ? »

Elle avait juste peur que je l’enferme dans la chambre froide, un truc comme ça ?

« Tu veux participer aussi, Oris ? Ça prend pas très longtemps à faire. En plus, ça permettra de parler et j’vous avoue que là j’ai graaave envie de papoter ! Faire connaissance, quoi. »

Ouaah, donc je suis entouré.e de sagittaires. Drôle de hasard. Je me tourne vers Oris quand il demande une pause, parle de pronoms et- IL EST ADORABLE C’EST QUOI CE SOURIRE OMG. Comment tu veux que je me rappelle de mon prénom si tu m’achèves avec ta choupitude ?? Heureusement que j’ai un peu de tenue hein. C’est grâce à ça que je réponds tout naturellement par un sourire énigmatique, du type « devine ». Ça dure deux secondes, après lesquelles je réponds plus sérieusement. Ben ouais, j’ai pas envie qu’il m’appelle Cunégonde ou j’sais pas quoi.

« Je m’appelle Aelig et mes pronoms sont iel, accords neutres. Et toi ? »

Quand Colette répond qu’elle veut bien goûter le chaï latte, mon sourire s’agrandit. C’est super ! Même si elle a pas l’air très sûre d’elle et que j’ai très envie qu’elle se lâche un peu plus. Pour elle, hein, parce que ça doit pas être des masses agréable d’être gênée h24 dans sa vie. Ça viendra pt-être plus tard, quand elle occupera un peu plus la discussion. Est-ce que je remets en question mon flot de paroles important et incessant ? Naaan. C’est parce qu’on se connaît pas bien qu’elle est timide et pas bavarde, c’est tout ! On va faire connaissance et paf, on pourra discuter ! Oris est aussi d’accord pour nous accompagner !

« Génial !! On est d’accord c’est une tuerie. Quand y’a des épices de toute façon ça peut qu’être giga bon. Alors des épices ET du thé, c’est un aperçu du paradis sur terre. »

Paradis qui nous attend, donc go rejoindre les cuisines sur le champ. Oris a dit qu’il y avait pas de blessés, sauf qu’il a une bosse énorme sur le front et que j’arrive pas trop à la lâcher des yeux.

« T’as pas mal à la tête ? J’ai des dolipranes si tu veux, si t’es du genre à avoir facilement mal à la tête ! Par contre j’ai pas de crème pour soulager la bosse, désolé.e. Mais comme on va en cuisine t’auras de quoi mettre du froid dessus. Tu marques hyper facilement en fait, c’est ouf. »

Je me tourne vers Colette.

« C’est quoi ton thé préféré, au fait ? Y’a sûrement moyen de faire un chaï au thé vert ou autre mais c’est pas dans la recette originale et l’intérêt du truc c’est quand même de rehausser le goût du thé, souvent noir. Ben en fait j’aurais dû te demander ton thé préféré selon les catégories de thé. Ou non attends, tu préfères les thés natures, aux fruits ou aux fleurs ? Ça ça en dit grave sur une personne en vrai. Et toi Oris ? »

Ah ouais ok, le thé en sachet avec du sucre et du miel ! Des puristes auraient sauté au plafond en l’entendant, parce que y’a genre « rien qui va ». Trucs de puriste quoi, même si j’suis d’accord le sucre dans le thé ça donne envie de beuj un peu. Colette s’active pour aller nettoyer le couloir, et Oris également. C’est beau le travail d’équipe ! Quand ils reviennent (pas besoin d’aller à quinze dans un placard, donc j’ai pas bougé), je souris et indique les saletés d’un grand geste.

« Hey, vous savez quoi ? En gros on peut régler c’t’affaire en deux deux. Vous passez un petit coup de balai, je passe un petit coup de magie, et tadaaa c’est tout beau tout propre ! Ça prendra genre deux secondes et le sol sera pas mouillé après. Ce sera vachement plus pratique pour éviter d’autres accidents, même si mon pouvoir rend le sol un peu glissant quand même. »

En attendant, je prends un balai pour balayer dans un coin.

« Mais après la serpillière ça passe aussi. Juste pas tout seul. Ce qui est trop dommage d’ailleurs parce que c’est super cool de pouvoir animer les objets pour leur faire faire ce qu’on veut. Je parle pas de la télékinésie, même si en vrai c’est peut-être un dérivé. Mais vous voyez dans le Disney de La Belle au bois dormant, quand l’une des fées anime tous les objets ?  Faut des sorts et tout quoi. Olala en parlant de sort, le dernier que j’ai testé chez moi j’vous raconte pas. C’était pour modifier des cosmétiques périmés et ma doué la mauvaise idée. Bon j’étais pas très concentré.e parce que j’y tenais pas, en vrai, mais c’est dommage quoi. Du coup j’ai retenté après évidemment. Sauf que cette fois j’étais pas en train de lire et d’envoyer des vocaux à des potes. »

Je ponctue ma phrase d’un geste de balai qui illustre le « évidemment », manquant de jeter une épluchure sur Colette. Oui parce que j’ai pas mal bougé en parlant, j’ai pas trop fait gaffe. Mais au moins, toute la zone où je suis passée est maintenant débarrassée des plus gros déchets.

« Oups !! Excuse ! Ça avance par chez vous ? Moi j’ai fini, c’était rapide. »

Mes mains au sommet du manche, j’appuie mon menton dessus en attendant que les autres terminent. Et après, on pourra aller boire !

Ouais je sais, c’est génial, hyper pratique, les agents d’entretien me jalousent, ce genre de trucs. Mais le contrecoup est aussi nul que le pouvoir est efficace (normal), donc j’l’utilise pas trop. Après ça, j’y touche pas pendant plusieurs semaines, pas trop envie de défoncer ma peau alors que je passe des heures à l’entretenir avec des produits qui coûtent une blinde. Je hoche la tête pour confirmer que c’est de la magie blanche, prêt.e à détailler un max, mais Oris a la réaction appropriée face à mon efficacité. Ça, ça fait chaud au cœur et ça me permet de prendre une petite pause de fierté en confirmant que oui oui, j’ai fini.

Quand les deux finissent de s’activer et que Oris me donne le feu vert pour utiliser mon pouvoir, jme mets dans le même mood de grande concentration propice à la maîtrise du kung-fu de la propreté. En soit, faut juste que je me concentre et c’est plié, mais là je le fais avec l’air solennel que tout Maître Javel doit aborder. Ça dure trois minutes, le temps que la surface soit purifiée, puis je me tourne vers les deux.

« Voilà, c’est fait !! C’est top hein, on pourrait manger par terre ! Marchez pas là par contre. Vous parliez de quoi ? Ah ouais Colette ton pouvoir, j’suis trop curieuxe de savoir ce que c’est ! C’est trop difficile de deviner la magie des gens à leur tête, parfois. En plus ouais, la théorie des couleurs c’est compliquééé. »

Tout en parlant, je ramasse les affaires qui traînent ainsi que les produits, pour qu’on les range en passant.

« On y va ? »

J’attends pas trop pour aller déposer ce que j’ai dans les mains. Ça prend pas longtemps et je reviens aussi rapidement que je suis parti.e. Ensuite, direction la cuisine pour qu'on papote ENCORE PLUS. En buvant un thé, j'ai pas oublié, mais l'intérêt de l'activité c'est bien de discuter et la boisson sert à pas se dessécher.