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Ça fait, quoi, 5 mois qu'on se prépare ? C'était en Décembre que l'idée a été lancée.

Doucement mais sûrement, il a fallu qu'Elias progresse dans l'utilisation de son pouvoir pour que ce projet soit réalisable.

Je suis toujours pas entièrement convaincu que ça soit une si bonne idée, mais faut bien que je règle ce problème, un jour ou l'autre. Et je peux pas le faire tout seul.

Et Elias est l'une des rares personnes que je peux laisser approcher suffisamment, à qui j'ai envie de confier cette mission, ces informations...

Mon passé.

C'est comme ça que ça a commencé, d'ailleurs. Je me souviens de sa main, caressant mon visage. On était allongés dans son lit. Je lisais un livre, sur les systèmes d'exploitation, je crois. Une des lectures demandées par mon cursus préparatoire en informatique.

"Dis, on en a jamais parlé et je veux pas te mettre mal à l'aise, hein. Mais... Est-ce qu'un jour tu me raconteras ce qui s'est passé ?"

Ses doigts longeaient mes cicatrices, forcément. Il avait raison, on n'avait jamais abordé ce sujet. Lui, par peur de me blesser, probablement. Moi, parce que je n'aime pas qu'on me limite à ces marques.

Et pour une autre raison.

"Tu ne me mets pas mal à l'aise, mon amour. T'en fais pas. C'est parfaitement légitime de me poser cette question."

J'ai fermé mon livre et ai embrassé son front. Je me souviens encore de son regard adorable. Il avait si peur de faire une connerie. C'est ce genre de regard qui fait que je l'aime. C'est ce que je me suis dit ce jour-là et c'est encore ce que je me dis maintenant.

"J'aimerais beaucoup t'en parler, partager ce moment de ma vie avec toi. J'ai envie que tu me connaisses, que tu saches ce que j'ai vécu, mais, le problème, c'est que... Je ne sais pas. Je n'ai aucun souvenir de ce qui s'est passé. Tout ce dont je me rappelle, c'est que j'étais avec Ros, dans son atelier et... Qu'il y a eu un accident. Je me suis réveillé dans un lit et j'avais ces blessures."

"Et personne ne t'a expliqué ? Tes parents ? Ros ?"

"Non, ça a été une période compliquée, pour nous tous. Tout le monde s'engueulait, se rejetait la faute... C'est à ce moment que Numi a décidé de s'éloigner. Du coup, j'ai évité de poser des questions. Et plus le temps passe, moins je me sens capable de leur demander."

La tristesse dans ses yeux... C'est ça. C'est ce qui m'a fait accepter...

"Est-ce que tu voudrais te souvenir ? Parce qu'il y a quelques semaines, en faisant des recherches, j'ai vu que les rêves et l'inconscient avaient un lien avec les souvenirs bloqués. Est-ce que... Est-ce que tu voudrais que je t'aide ? A te rappeler de ce qui s'est passé ?"

On a passé les mois suivants à développer un process pour cette... Expérience ? Séance ? Pour qu'il m'aide à libérer ces souvenirs.

Je ne lui ai pas dit que ce blocage mental fait partie des raisons pour laquelle on n'a jamais essayé de retirer les cicatrices avec de la magie rouge. Ma mère a fait pousser des ailes à ma soeur, elle serait capable de faire disparaître quelques marques. Mais avec mon esprit sur le chemin, le résultat serait au mieux incertain.

Il était déjà tellement motivé, si je lui avais dit, il aurait voulu brûler les étapes.

Et... Ouais, j'ai eu peur. Peur qu'il montre que mes cicatrices le dégoûtent. Que JE le dégoûte. Donc je lui ai caché ce détail.

"Alors... T'es prêt ?"

5 mois de travail.

5 mois, pour qu'Elias apprenne à manipuler l'inconscient suffisamment précisément. Pour qu'il découvre comment faire remonter un souvenir, grâce à Mordred.

Pour que, de mon côté, je perfectionne ma magie de soutien.

Et, enfin, on est là, dans son lit, où l'idée a été lancée.

On a choisi cet endroit pour que la barrière protectrice puisse bloquer les potentielles interférences extérieures. Si jamais il y a un problème, Saph et Mordred sont à côté, il suffira de les appeler. On leur a pas parlé de ce projet, iels avaient suffisamment à gérer avec leurs propres soucis.

"Ouais, allons-y."

Je ferme les yeux. Je le sens prendre mes mains. Je sens son esprit glisser dans le mien.

Je le sens chercher le souvenir. Je le guide, avec ma magie. Il prend les bons choix. Il reconstruit le décor, à la perfection.

D'abord les murs. Les meubles. La silhouette de Ros. Puis chaque détail. Chaque petit objet, chaque vis, chaque fil. Ros prend forme, elle aussi. Elle était jeune. Déjà les cheveux longs, attachés, comme toujours quand elle travaille. Et elle n'avait pas de cicatrices, évidemment. Pour la dernière fois.

Et quand la scène est enfin parfaite... Tout se met en mouvement.

Je m'avance vers une machine, un des projets de ma soeur, pas encore terminé. Elle me tourne le dos pendant que j'explore. J'étais si jeune, si curieux...

Je *suis* jeune et curieux. Je suis dans la scène. Je ressens tout ce que j'ai ressenti. Ça marche. Le présent disparaît de mon esprit...

J'aime passer du temps dans l'atelier de Ros. Ça fait pas si longtemps que j'ai le droit d'y aller, et faut pas que je fasse trop de bruit, pour pas la déranger quand elle travaille. Puis j'reste pas trop longtemps parce que j'ai mes cours bientôt.

J'comprends pas toujours ce qu'elle fait. Du coup des fois je lui pose des questions. Pas trop, parce qu'elle aime pas qu'on la dérange. Puis que des fois, ça la met en colère, je sais pas pourquoi. Généralement, c'est quand je formule la question en "pourquoi t'as pas fait comme ça ?" ou "pourquoi cette pièce est là et pas ici ?".

Elle m'a déjà dégagé de son atelier quand je posais trop de questions. Du coup maintenant, je regarde les trucs déjà finis, c'est plus safe.

Mais là, la machine... Le projet pas fini... Il est bizarre. Ça grésille dans ma tête... Il devrait pas..

Je m'approche, pour voir ce qui va pas... Là, le courant d'alimentation, il est mal... Et la batterie, elle..

Ça grésille de plus en plus fort...

"Hey, Ros, je crois que..."

Le grésillement diminue. Pourquoi ? C'est pas logique, c'est pas comme ça que ça doit se pass...

C'est pas le grésillement qui diminue, c'est moi qui m'éloigne. Le vrai moi, à 17 ans. Elias doit fatiguer, sa magie baisse.

On y était presque.

Si proche.

Si. Proche.

Rapproche-moi.

RAPPROCHE-MOI !

Le grésillement revient, remonte ! La scène repart !

"Hey, Ros, je crois que ta machine a un problème !"

Ma main s'approche de la batterie.

Le grésillement, si fort... Ma jambe lâche. Quelque chose... Quelque chose explose. Et plus rien.

Ma main, elle s'approchait de la machine. J'avais trouvé un problème, avec ma magie. C'était les débuts, je savais pas ce que je faisais, je savais même pas que c'était ma magie. J'ai touché un truc, j'ai déréglé... C'est moi, c'est ma faute.

Ros... C'est ma faute.

Ma respiration saccade. Qu'est-ce que j'ai fait. Ros...

Mon corps est si lourd, il s'enfonce dans le lit, je cherche quelque chose à agripper, les draps... L'oreiller.

La douleur va arriver, je le sais, j'ai trop forcé avec mon pouvoir, pour aider Elias.

Pour... Elias ?

Il me tenait les mains, il était dans mon esprit.

Elias !

J'ouvre les yeux. Il est là, il a lâché mes mains, il... Il s'est évanoui ? Ses yeux sont ouverts.

"Elias ? Elias réponds-moi !"

Je bouge, aussi vite que je peux, je prends sa tête entre mes mains. Il ne réagit pas.

Oh non. Qu'est-ce que j'ai fait. Non, Elias. Non.

"Non. Non Elias. NON. Pas toi. ELIAS."

Elias réagit, bouge, dis quelque chose. Non.

Je sens que la douleur du contrecoup arrive. Il faut faire quelque chose. J'aurai pas le temps.

"SAPH ! MORDRED ! QUELQU'UN, PITIÉ. Pitié, quelqu'un.. Je vous en supplie... Venez... Aidez-le..."

Mes derniers mots s'étouffent dans mes sanglots. La douleur explose. Je ne respire plus, j'ai trop mal.

J'ai si mal.

Ma conscience s'efface sous la douleur, je ne comprends plus ce qui se passe. Tout ce que je vois, la dernière image avant que je parte, c'est Elias, immobile. Sans vie.