Techniquement, tu as déjà vécu avec quelqu’un d’autre. Avec plusieurs quelqu’un d’autre, même, si on s’en réfère à ton passé dans les usines à mages. On ne s’en réfèrera pas à ton passé dans les usines à mages, pour la bonne et simple raison que ton cerveau fait ce qu’il peut pour entasser ces images traumatisantes au fond de ton cerveau. De ta naissance à ton entrée dans les camps, tu n’as jamais cohabité avec personne d’autre que tes parents et les domestiques qui travaillaient à leur service, le tout dans une propriété immense. Là, tu vas partager un espace de vie commun avec une nouvelle personne, complètement inconnue, alors que tu as amplement pris tes aises dans le salon et la cuisine pour les organiser à ta guise. Tu n’as pas envie de faire de concessions sur tes prises de partie en matière de décoration ou de rangement. Tu seras intransigeante sur le respect de ton organisation, si le nouvel arrivant a un problème avec ça, qu’il aille se plaindre ailleurs, ce ne sera pas ton problème.

Tu sais que ce serait mieux si acceptais de faire des concessions et que tu devrais plutôt avoir hâte que la nouvelle personne arrive. Mais dans les faits, tu n’as pas exactement envie de partager ton espace personnel, ta bulle de calme et de sérénité, ta zone de confort, avec um étranger.ère. Evidemment, tu gardes ces ressentis pour toi. Tu n’as de toute façon pas le choix. Tu ne sais pas quand taon nouvelleau colocataire va s’installer, iel aurait déjà dû être là depuis une bonne heure. Tu as préparé du thé pour son arrivée, que tu pourras réchauffer assez rapidement. Il en aura besoin, parce que l’eau est froide depuis longtemps. Tu as actuellement pris du temps dans ta journée pour accueillir la nouvelle addition à ton chez toi. La moindre des choses serait que ladite personne arrive à l’heure, ne te fasse pas perdre ton temps—précieux. Et quand l’heure a tourné et que la porte s’est ouverte, tu regrettes cette période d’attente pendant laquelle tu ne savais rien de ce.tte nouvelleau arrivant.e. Parce que c’est elle, la fille de la casse. C’est cohérent, tu te doutais que tu allais la recroiser dans les couloirs de l’Académie ; « Margaux » avait l’air de vouloir rencontrer ses parents, sans doute pour organiser son transfert à Leoska. Mais tu n’as pas fait le lien entre ce petit bourrin mal dégrossi et le message t’indiquant l’heure d’arrivée de ta nouvelle colocataire. Elle t’a reconnu, et s’est mise à courir dans ta direction. Assise sur ta chaise, tu peux difficilement faire un mouvement de recul, mais tu n'en as pas besoin : elle se prend les pieds dans ses affaires et tombe à la renverse sous le poids de son sac à dos. Soulagement. De courte durée : qu’est-ce qu’il y a dans son sac à dos qui pèse si lourd, et est-ce que ça ne viendrait pas de la casse ? est-ce que ça a été nettoyé ? un enfer de probabilités s’offre à toi, toutes moins plaisantes les unes que les autres. Et ce sobriquet ridicule. Tu arques un sourcil, la regardes de haut, ce qui n’aurait pas été possible sans sa chute, soupires.

- J’ai fait du thé. Et je m’appelle Aprilynne.

Tu aurais pu lui tendre la main pour l’aider à se relever mais tu la laisses se débrouiller toute seule. Tu ne sais pas où elle a trainé. Tu poses tes paumes contre la théière et réchauffe progressivement l’eau dudit thé, avant de lui faire signe d’un geste du menton de venir s’asseoir en face de toi.

- Tu n’es pas blessée ? tu ne devrais pas courir à l’intérieur, surtout avec ce sac sur le dos. Il déborde presque, tu y as mis l’intégralité de ce que tu as trouvé à la casse ? je préférerais qu’on évite de mettre des déchets dans le salon, si possible.

Et possible, ce sera. Parce que sinon, il y a des choses qui vont connaître le concept de combustion spontanée, même si ce sera pas exactement spontané.

Tu sers le thé tandis qu’elle s’assied. Sa remarque sur le « bonus » ne te dis rien qui vaille ; tu ne considères pas ça comme un bonus, plutôt comme le minimum de respect syndical quand on vit en communauté. Sa remarque sur sa voiture te fait hausser un sourcil. Tu imagines difficilement les conditions qu’il aurait fallu réunir pour qu’elle puisse transporter une voiture à Leoska et ce n’était, de toute façon, pas une question que tu pensais te poser un jour. Puisque tu ne sais pas quoi lui répondre de gentil, tu te contentes de garder le silence. Tu as toujours en tête votre rencontre et son comportement désagréable à la casse, et la présence du taser qu’elle était prête à utiliser. Tu essaies de te dire qu’il s’agit d’un comportement normal pour quiconque découvre ses pouvoirs de la sorte, mais tu ne peux faire preuve que d’un certain niveau de bienveillance. Elle a failli vous mettre dans une situation vraiment compliquée, et à cause de sa réaction brutale, Saph a dû utiliser ses pouvoirs sur elle et en a subi le contrecoup assez violent. Pas de quoi te donner de raison d’être bienveillante à son égard.

Tu sembles la rendre nerveuse. Bien. Si elle a peur de toi, elle évitera sans doute les comportements nuisibles. Qu’elle continue comme ça. Enfin, ça ne l’empêche pas de mettre les deux pieds dans le plat en mentionnant son retard. Tu poses les mains sur ta tasse et plantes tes yeux dans les siens, le regard assez peu conciliant.

- On m’a prévenue que tu devais arriver il y a une heure. J’ai attendu pour pouvoir te souhaiter la bienvenue. Je présume que ton retard peut s’expliquer puisque tu es nouvelle ici… même si les couloirs sont loin d’être des labyrinthes. Contente que ça ait été instructif.

Elle achève sa phrase en faisant des bulles dans son thé et tu te demandes où elle a été élevée pour avoir des manières aussi désastreuses. Tu essaies de toutes tes forces de ne pas la regarder comme si elle venait d’un autre monde, ne réussis probablement que très sommairement. Enfin, elle décide de se présenter. Pour la troisième fois depuis que vous vous êtes rencontrées, mais tu présumes qu’il vaut mieux trop que pas assez. Tu l’écoutes en silence, étonnée que son premier embrayage pour la conversation se situe autour des surnoms qu’on lui donne. Tu te contenteras de son prénom, éventuellement de « Eh, toi », si vraiment elle te tape sur les nerfs, et espères qu’elle en fera de même. Même si tu as conscience qu’il y ait peu de chance pour que ce soit le cas. Tu prends quelques gorgées de thé, reposes ta tasse et hausses les épaules.

- Kira fera l’affaire. Les gens m’appellent par mon prénom. Ou « April », pour faire court. Je ne suis pas particulièrement sensible aux surnoms qu’on pourrait me donner. J’utilise le pronom elle, et toi ?

Une façon polie s’il en est de dire à ta nouvelle colocataire que les sobriquets ridicules ne sont pas à ton gout. Tu n’as pas particulièrement envie de répondre à « Cupcake », ça ne te correspond absolument pas. Tu as les cheveux roses, mais la ressemblance s’arrête ici. Et tu trouves ironique au vu de ta relation avec la nourriture, de porter le nom d’une pâtisserie. Tu réfléchis à des questions que tu pourrais lui poser, qui te permettraient d’en savoir plus sur elle pour mieux te préparer à votre vie commune. Celle qui fait le plus de sens est celle de ses capacités magiques. Lors de votre rencontre elle était perchée à plusieurs mètres du sol, accrochée à un aimant et elle a également repoussé le métal dans la boucle d’oreille que t’a offert la directrice.

- En quoi consiste ton pouvoir ? Et ton contrecoup ? ça peut être une bonne chose à savoir, si je dois contacter l’infirmière pour la prévenir que tu ne vas pas bien, si tu tires trop sur la corde.

Elle semble déçue par le manque d’originalité de tes proches en terme de surnom. Ça ne te fait ni chaud ni froid. Elle est tout à fait capable de se faire des amis qu’elle pourra surnommer comme bon lui semblera. Ce n’est pas le genre de relation que tu imagines entretenir avec elle : la personne que tu as rencontré à la casse ne t’a absolument pas donné envie d’en savoir plus sur elle et même si elle semble s’être calmée depuis, elle a toujours des élans d’énergie dans la voix et dans les gestes qui te font penser que la colocation sera explosive. Et pas dans le bon sens du terme. Tu aimes le calme quand tu rentres d’une journée de cours et tu aimes que ton espace soit apaisant. Et puis, avec elle dans les parages tu te vois difficilement inviter Mordred et Saphirre à prendre le thé. Si elle devient vraiment trop insupportable tu pourras toujours aller dormir chez Lucas. Seul bémol à ce plan, il a une chambre d’amis et tu ne pourras pas le reléguer au canapé. A moins de cramer d’abord le lit de la chambre d’hôte. Projet à réfléchir, ce sera peut-être une solution à long terme pour éviter d’avoir un meurtre sur la conscience. Il s’agit d’une mage, aussi agaçante soit-elle. On ne s’en prend pas aux siens. Même si ce serait un bon exercice pour plus tard.

Le regard dans le vague, tu te reconcentres sur Kira. Si tu cherches déjà des solutions pour éviter de l’encastrer dans un mur, c’est que votre colocation ne semble pas bien partie. Heureusement elle se lance dans des explications détaillées qui sont, et c’est tout à son honneur, plutôt intéressantes. Tu n’es pas particulièrement brillante en physique, puisque ton éducation dans ce domaine s’est arrêtée à tes dix ans et n’a jamais repris, mais tu comprends le concept d’aimant pour avoir eu des professeurs qui t’ont fait jouer avec des magnets lorsque tu étais plus jeune.

Tu en déduis que son pouvoir est relativement inoffensif, si on omet la légère déchirure à ton lobe droit. Au grand pire elle se retrouvera recouverte des couverts qui sont dans vos tiroirs, mais ce ne sera pas ton problème. Tu présumes qu’elle pourrait se blesser avec les couteaux.

- Bien, c’est bon à savoir. On sécurisera les placards pour que tu n’attires pas les couteaux de cuisine à toi. Je n’ai pas très envie de nettoyer du sang après une journée de cours. Il faudra sans doute que tu apprennes à canaliser tes émotions pour éviter que ton pouvoir s’emballe. Comme nous tous, en somme.

Tu es très mal placée pour dire ça. Tu n’as pas réclamé de séances de thérapie et tu ne parviens pas à gérer tes propres démons. Tu te canalises principalement en trouvant des moyens de pourrir la vie à Lucas pour te venger. Rien qui amorce une quelconque guérison.

Pour ce qui est du contrecoup éventuel, tu as retenu en priorité un élément : si elle utilise trop son pouvoir, il est possible qu’elle devienne encore plus conne. Splendide. Tu n’as pas envie d’avoir à gérer ça, et tu espères qu’elle évitera les parties communes. Tu présumes que tu en feras autant, pour minimiser les risques de la croiser. Sa dernière remarque sonne plutôt juste. Effectivement, utiliser vos pouvoirs a un cout que tous ne sont pas prêts à payer. Tu n’as par exemple pas particulièrement envie de te retrouver recouverte de cloques et tu n’utilises ton pouvoir que de façon ponctuelle : faire bouillir l’eau du thé ne te coute rien, et t’aide à percevoir tes dons avec plus de bienveillance. Ce que tu as considéré comme monstrueux pendant des années, tu apprends à le voir comme quelque chose d’utile et d’agréable. Un petit moment méditatif lorsque tu prépares du thé.

- Non, c’était très bien comme ça. Je préfère en savoir trop que pas assez, puisqu’on va devoir vivre ensemble, c’est quelque chose qu’il faut que je sache.

Pour ce qui est de l’identité secrète, tu arques un sourcil et la regarde avec stupeur. De quoi est-ce qu’elle parle au juste ? Tu secoues la tête. Elle semble comprendre quelque chose dans ton regard et n’a pas l’air d’apprécier ce qu’elle voit. Tu n’apprécies pas particulièrement ce qu’elle dit donc vous êtes sans doute quittes.

- Être un mage est loin d’être une partie de plaisir. Ou un jeu. Il n’y a pas d’identité secrète qui tienne. Ton existence est une menace pour les non mages et à plus forte raison pour les gouvernants. Ton objectif doit être la survie, pas l’amusement. Avoir ce genre de capacités est un cadeau empoisonné : sois fière de qui tu es, mais n’essaie pas d’afficher cette fierté en dehors de l’école et des espaces créés par les mages pour les mages. Tu te ferais tuer, ou pire, enfermer dans les camps. Il y a des artefacts qui te permettront d’optimiser tes pouvoirs mais commence déjà par te familiariser avec ceux-ci. Et tu devrais sans doute revoir tes objectifs à la baisse. Cette école est faite pour te protéger et t’apprendre à te protéger, pas pour faire de toi… ce que tu as l’air d’avoir l’impression qu’on va faire de toi.


Elle est naïve. Elle n’a pas l’air de comprendre dans quelle situation la découverte de ses pouvoirs l’a mise. Pas complètement, en tout cas, et il va falloir changer ça si elle veut rester en vie. Si elle se comporte comme une idiote, l’école ne pourra pas toujours la protéger.

D’un autre côté, c’est son problème, pas le tien. Tu n’es pas là pour lui apprendre à se comporter en société, ni pour lui expliquer les tenants et les aboutissants des politiques anti mages. Mais sa naïveté et sa bêtise t’insupportent et tu retiens difficilement les tirades réprobatrices.

Tu ne peines pas à cacher ton dédain : tu n’essaies même pas de le dissimuler. Ce qu’elle dit n’est pas cohérent, ou alors très peu en phase avec la réalité. Si les mages se promenaient avec des tenues de super héros, ils seraient immédiatement repérés et envoyés en camp. Votre identité est déjà votre identité secrète. Vous n’êtes pas censés parader en tenues colorées, mais bien vous fondre dans la masse pour ne pas risquer de vous faire repérer. Si la casse avait été un piège, elle l’aurait su immédiatement en vous voyant débarquer dans des attirails ridicules. Pas la peine de vous « retrouver », elle aurait tout de suite été prévenue de votre différence. Porter des costumes cachant votre identité révélerait d’emblée ce que vous avez tout intérêt à garder secret. En définitive : elle a tout compris de travers. Elle vient seulement de découvrir une part importante et dangereuse d’elle-même alors tu pourrais sans doute être plus conciliante mais l’idée ne te traverse pas l’esprit. La vie ne sera pas conciliante avec elle, plus maintenant.

Elle aime les surnoms. Vraiment ? tu n’avais pas remarqué. C’est littéralement l’une des premières choses dont elle a parlé mais il vaut sans doute mieux le préciser, au cas où tu sois inattentive ou trop stupide pour l’avoir compris.

Elle ne veut pas être une justicière mais elle semble penser que c’est le cas d’autres mages ici. C’est suffisant pour s’attirer ton dédain et un monologue pas particulièrement didactique. Tu es plus agacée que dans la volonté de lui apprendre ou lui faire comprendre quelque chose. Elle le comprend, parce qu’elle répond sur la défensive. Tu ne t’énerves pas, es un peu au-delà de ça. Ce n’est pas parce que tu as une colocataire que tu es censée la jouer fille sympa, mais ce n’est pas pour autant que tu vas hausser le ton. Tu n’as pas que ça à faire de ta journée. Tu ne vas pas lui faire comprendre les tenants et les aboutissants de sa situation, ce n’est pas ton rôle et tu n’as certainement pas envie de passer plus de temps que nécessaire en sa compagnie. Tu poses tes paumes sur ta tasse pour augmenter un peu la température, tout en la regardant avec condescendance. L’objectif étant de répondre à son accusation par les yeux plus que par la bouche, qu’elle décide si elle veut comprendre ou non ce que tu essaies de lui transmettre. Du mépris, en l’occurrence.

Heureusement, elle pose une question éloignée de votre sujet de discorde, une question à laquelle tu peux répondre et qui ne te demande pas d’être hautaine vis-à-vis d’elle. Presque pas. Vu qu’elle t’a vu faire chauffer l’eau en pressant tes mains contre la théière, elle aurait pu trouver d’elle-même réponse à sa question, mais c’est peut-être juste une façon informelle de changer de sujet. Alors tu ne mets pas trop de mépris dans ta réponse. Pour lui laisser le bénéfice du doute. Tu ouvres la paume devant toi et te concentre pour y faire danser une unique flamme, que tu fais rouler et couler entre tes doigts pendant quelques secondes, avant de refermer la main et de l’éteindre. Pas la peine de dépenser trop de capital magique, ce micro-spectacle n’était déjà pas nécessaire, juste de la frime.

- C’est plutôt basique, je suis une pyromancienne. Je peux faire augmenter ma chaleur corporelle ou celle de ce que je touche, et je peux contrôler de petits feux. J’apprends encore à m’en servir, alors il n’est pas très développé pour l’instant. Comme ton pouvoir et comme celui d’une bonne partie des élèves de Leoska, il est lié à mes émotions. Plus mes émotions sont fortes, plus le feu sera grand mais plus il sera dur à maîtriser. C’est surtout dans ce genre de situations que je développe des contrecoups. Ça peut aller d’une simple éruption de cloques à des dérégulations de ma température corporelle, soit hypothermie soit fièvre. Ça n’arrive pas souvent. Le seul endroit qui pourrait vraiment craindre de prendre feu serait ma chambre, mais c’est surtout mon lit qui pourrait brûler et il est ignifugé donc pas de craintes à avoir de ce côté.

Tu ne lui précises pas que tu es colérique et que, de fait, il t’arrive parfois de prendre feu spontanément. Tu travailles comme tu peux sur cette colère, pas la peine d’en faire la publicité. Elle en sera témoin si elle fait n’importe quoi dans l’appartement et tu espères pour elle que ça n’arrivera pas. Tu n’as pas envie que tes flammes se retournent contre quelqu’un d’autre, elles l’ont déjà fait et tu devras vivre avec cette culpabilité toute ta vie, même si personne ne t’en veux pour ce qu’il s’est passé. Tu n’as pas l’impression que tu finiras par apprécier Kira, mais tu n’as pas non plus envie de la brûler à cause d’un mauvais contrôle de tes émotions. Tu feras des exercices de respiration en sa présence. Ou tu éviteras sa présence tout simplement.

- Bien, les formalités ont été échangées, on en sait un peu plus l’une sur l’autre… il reste deux chambres libres, tu peux choisir celle que tu veux et faire le tour de l’appartement pour prendre tes marques…je reste là, si tu as besoin de quoi que ce soit ou si tu as des questions à me poser.

Tu ne pourras pas retourner à ton livre tant qu’elle sera dans les parages mais tu peux espérer que ta compagnie lui ait suffisamment déplu pour qu’elle aille choisir sa chambre et décide de s’y enfermer. L’espoir fait vivre.

Elle se lève. Normal. Vide ses poches. Ote sa ceinture. Moins normal. Tu arques un sourcil en la regardant faire, te demande ce qui lui prend. Puis elle sort. Tu es perdue. Elle a peur du feu ? tes explications lui ont déplu ? tu as pourtant l’impression d’avoir été claire et compréhensible, et tu ne lui as pas dit directement que tu la prenais pour une idiote. Tu n’as pas essayé de le cacher, mais tu ne l’as pas mis en avant pour autant. Tu as à peine le temps de faire le tour des raisons qui pourraient la pousser à partir de la sorte qu’un bruit sourd se fait entendre dans le couloir. Les gonds de la porte et le mécanisme de la serrure s’écrasent par terre, comme propulsés hors de leur logis. Tu sursautes à cause du premier bruit, grimaces quand le métal frappe le sol. Bon. Visiblement, son pouvoir s’est déclenché. Elle a bien fait de vider ses poches avant de partir. Reste une remarque, avec un pouvoir comme le sien et au tout début de sa maitrise de celui-ci, elle ne devrait pas se promener avec autant d’objets métalliques et lourds sur elle. Elle ne pourra pas toujours prévenir les explosions de magie qui surviendront en elle lorsqu’elle ressentira des émotions négatives. Tu pourrais le lui faire remarquer mais vu l’état de la porte, tu doutes qu’elle ait envie de t’entendre pour le moment. Bien. Il va falloir faire un effort, Aprilynne. Ne pas la regarder comme la dernière des cruches serait un bon point de départ, même si c’est la façon dont tu regardes la majeure partie des gens que tu croises. Tu ne crois pas en « laisser aux gens le bénéfice du doute ». Tu pars immédiatement du principe qu’ils sont plus stupides que toi. D’après ce que tu as vu de Kira, tu n’es pas sure que lui laisser le bénéfice du doute aura un quelconque impact, mais encore une fois, tu te penses supérieure à elle, difficile de fait d’avoir envie de lui donner une chance de te prouver qu’elle est plus maline qu’elle en a l’air.

Et elle revient, comme une fleur, après avoir détruit le mécanisme de la porte. Une coulée de sang qui dégoutte de son nez sur son menton, indique le début du contrecoup. Evidemment. C’est ce que tu insinuais quand tu disais qu’elle allait avoir besoin d’apprendre à contrôler ses émotions. Mais ce n’est pas le moment de le lui faire remarquer. Elle ramasse ses affaires et va les déposer dans l’une des chambres, celle qui se trouve le plus loin de la tienne. Au moins, si elle bricole pendant la nuit le bruit ne te dérangera pas. Une raison de moins pour vous disputer. Elle revient, le visage toujours en sang et dépose quelque chose sur la table près de ta tasse. Tu sors un mouchoir en tissu de l’une de tes poches ; il est encore plié, inutilisé, alors tu te lui tends silencieusement pour qu’elle puisse s’essuyer. Tu regardes ensuite le petit automate en forme de chat, rapproche ton visage pour pouvoir y voir de plus près et relève la tête dans sa direction. L’attention est touchante et le résultat intéressant. Un mécanisme de la sorte doit être délicat et demander à la fois patience et talent. Et travail. Tu peux respecter ça. Tu poses délicatement ton doigt sur l’une des pattes du maneki neko et pousses doucement pour mettre le basculement en branle. Un sourire joyeux se dessine sur tes lèvres, et tu relèves le nez en direction de ta nouvelle colocataire.

- Merci. Je transmettrai l’information. Tu n’étais pas obligée, c’est attentionné de ta part.

L’objet te plaît. Tu n’as pas un grand nombre de possessions, encore moins de possessions inutiles, que tu pourrais garder pour le plaisir visuel qu’elles te procurent. Tu sais déjà où tu vas déposer l’automate. Te reconcentres sur Kira.

- Ou je peux contacter l’administration pour les prévenir que la porte est endommagée. Le bois a l’air d’avoir craqué et cédé à certains endroits, tu penses que c’est réparable ? Si ce genre d’incidents se reproduit, autant qu’on ait une porte dont les matériaux ne soient pas magnétiques. En les prévenant, nous aurons plus de chances qu’ils viennent changer la porte et nous éviter de perdre du temps à l’avenir.

Ce n’est qu’une proposition. Elle a surement envie de réparer ce qu’elle a cassé, mais sur le long terme il est peut-être préférable que l’école s’en occupe. Son ton indique qu’elle est toujours agacée, et tu préfères ne pas relever. Ce n’est pas la peine de jeter de l’huile sur le feu ou d’essayer de réparer les pots cassés. Elle dit des choses stupides, tu la regardes en la prenant pour une idiote. Tu ne vas pas t’excuser d’être honnête, surtout quand tu ne l’as même pas insultée.

Sa remarque est pertinente. Comme quoi, tout peut arriver à Leoska. Tu peux aller à l’administration pour les prévenir que vous aurez besoin d’une porte composée d’éléments sur lesquels le magnétisme de Kira n’aura pas d’influence. Ils ne devraient pas mettre trop de temps à en bricoler une mais pour la tranquillité d’esprit qu’une serrure vous apportera dans la nuit, tu préfères effectivement qu’elle bricole quelque chose qui vous permettra de verrouiller la colocation.

- Je vais aller les voir. Ils ne pourront probablement pas intervenir dès ce soir, mais ils seront au courant et ils s’en occuperont. Plus tôt ils seront prévenus, plus rapidement on aura une nouvelle porte. D’ici-là, je veux bien que tu montes une nouvelle serrure. Je ne peux pas vraiment le faire, je n’ai ni les outils ni les connaissances nécessaires…

Et c’est toi qui a tout fait sauter. A toi de réparer tes bêtises. Même si, techniquement, tu es en partie responsable de tout ça, puisque tu as énervé Kira. Mais ça ne te frôle pas l’esprit. Elle est grande, à elle d’apprendre à maîtriser sa colère. Tu ne lui as pas fait brûler les sourcils quand elle vous a mis en danger à la casse, ou qu’elle a sorti son taser. Elle devrait donc être tout à fait capable de ne pas exploser ta porte. Votre porte, malheureusement. Elle se gratte la tête, semble réfléchir (quelle surprise), et finit par poser une question enfantine. Mais cohérente avec le reste de sa personne, il semblerait. Tu hausses les épaules.

- Je ne peux pas te le promettre, mais je ne pense pas qu’ils s’énerveront contre toi. Tu n’es pas la première mage à découvrir son pouvoir et à avoir du mal à le maîtriser. S’ils apprennent qu’il s’est déclenché parce que tu n’as pas pu gérer ta colère, ils te feront peut-être aller voir l’infirmière pour discuter, elle est aussi formée en psychologie donc elle pourrait te voir et te donner des conseils ou des exercices de respiration… Mais en principe tu ne devrais pas avoir d’ennuis. Ça arrive. Ils feront en sorte de réduire les risques que ça se produise à nouveau. En changeant toutes les portes de la colocation, probablement.

Elle s’apprête à bouger, semble changer d’avis, se laisse choir sur la chaise en face de toi. Bon. De quoi s’agit-il, simples vertiges, baisse de tension, crise d’hypoglycémie ? tu n’es pas sûre que lui reproposer du thé aiderait. Peut-être qu’il reste une boîte de petits gâteaux quelque part… Tu en as surement acheté—volé—une dans l’éventualité où tu aurais de la visite… Ou tu pourrais l’aider à aller s’allonger. Ugh. Il y a deux heures tu étais tranquille, indépendante, libre, et tu es désormais coincée avec une nouvelle, qui vient de découvrir son pouvoir. A tous les coups tu vas devoir lui faire visiter l’école ou la conduire à l’infirmerie. Adieu tranquillité. Et ce n’est pas comme ça que la porte va se réparer.

Tes yeux se posent sur le chat mécanique dont la patte se balance d’avant en arrière et tu t’adoucis un peu. Tu restes très salée, pas particulièrement bienveillante, mais ton humeur s’allège. Tu vas lui chercher un verre d’eau et fouille dans une boite pour en sortir quelques morceaux de sucre que tu dissout avec l’aide d’une cuillère. Ce n’est peut-être pas une crise d’hypoglycémie mais dans le doute, ça devrait lui donner un coup de peps. Tu poses le verres près d’elle, mais à distance suffisante pour qu’elle ne le fiches pas par terre en bougeant trop brusquement. Et tu te rassois, parce qu’apparemment tu es de corvée baby-sitting aujourd’hui. Tu iras à l’administration quand elle ne sera plus sur le point de te claquer entre les doigts.

- Je peux faire quelque chose pour te venir en aide ?

En espérant que ça ne se reproduira pas trop souvent.

Tu ne l’écoutes absolument pas, et prends la décision—regrettable, vraiment—de rester auprès d’elle le temps qu’elle reprenne un peu de ses forces. Tu peux ressentir une certaine forme d’empathie, dans la mesure où tes premiers contrecoups ont été particulièrement déplaisants et handicapants. Ils le sont toujours, en particulier dans la mesure où ton état psychique influence énormément leur apparition, et que celui-ci ne peut pas exactement être considéré comme stable ; tu peux donc identifier ce qui lui arrive à ce qu’il t’est arrivé et t’arrive encore, et comprendre que ce qui est déplaisant pour toi l’est également pour elle. Pas la technique de compassion la plus avancée, mais une technique de compassion tout de même. On fait ce que l’on peut avec ce que l’on a, et en l’occurrence tu n’as : pas beaucoup d’affection pour ta nouvelle colocataire. Mais tu n’es pas complètement inconsciente, alors tu restes là, pour veiller sur elle le temps qu’elle aura besoin de prendre pour se rétablir. Elle finit par se redresser et te sourire, et tu en déduis qu’elle est contente que tu sois restée tandis qu’elle était dans le mal. Ne nous emballons pas trop, tu n’as aucunement l’intention de réitérer l’attention. C’est son premier jour, elle est perdue et découvre es lieux inconnus, tu fais un effort de gentillesse. A l’avenir elle devra se rendre intéressante si elle souhaite obtenir ton attention et garder ton intérêt. Tu hoches brièvement la tête pour signifier que l’échange non verbal est bien passé. Elle se lève, retourne trainer vers ses affaires et le piège se détend légèrement. Depuis quelque part, sans doute sous un monceau de débris, elle te crie que tu peux aller à l’administration. Parce qu’il n’était vraisemeblablement pas question qu’elle t’accompagne. C’est sa connerie, mais c’est toi qui va devoir gérer le côté administratif de son erreur. Tu grinces des dents, grimaces à cause du bruit déplaisant que le mouvement de ta mâchoire produit, et te rends à l’administration sans autre formalité. Sinon tu l’insulterais probablement en étant franche et désagréable. Et ça ne serait pas très chaleureux de ta part. (Aprilynne, feu, chaleureux…).

Une fois le périple achevé et les affres de l’administration surchargée d’une Académie qui tourne à plein temps affrontés, tu as la satisfaction de rentrer chez toi pour y trouver une tierce personne. Seconde personne, techniquement. C’est toujours elle, Kira. Qui a bricolé quelque chose qui ressemble à un loquet. Bien, elle n’est pas totalement à jeter. Si on oublie que ladite fabrication n’a été nécessaire que parce qu’elle a perdu le contrôle et fait voler tout ce qui était aimanté sur un rayon de cinq mètres. Tu refermes la porte derrière toi, prends délicatement le chat automate et vas le déposer sur ta table de chevet. Tu reviens ensuite sur la scène du crime pour ranger les tasses et la théière que vous avez utilisées, et observes d’un œil inquiet ce qu’il se passe derrière la porte de Kira. Tu ne vois pas cette colocation d’un très bon œil, mais tu es coincée avec ce boulet jusqu’à ce que l’une de vous deux éviscère l’autre. Ou qu’on accepte de te changer de chambre, mais pour te retrouver dans les jambes de qui, au juste ? On sait ce qu’on perd, pas ce qu’on récupère. Tu soupires, sèches la vaisselle en la faisant réchauffer légèrement du bout des doigts et la range une fois qu’il ne reste plus d’eau dessus. Tu t’empresses de t’essuyer les mains et te retournes pour faire un état des lieux du carnage.

Bon. Tout son attirail est resté dans sa chambre. Tu te demandes exactement ce qu’elle compte faire ici. Tu n’es pas rassurée, son affirmation comme quoi elle ne ferait pas de bruit la nuit ne te rassure qu’à moitié. Ton air de songerie circonspecte est probablement assez facile à lire, et tu ne prends pas la peine de lui dissimuler tes émotions. Elle devra bien s’y faire, puisque vous allez vivre ensemble et que c’est le visage que tu afficheras à chaque nouvelle connerie.

- Bien. Tu as compris où sont les différentes pièces, tu peux te servir de ce qu’il y a ici à condition que tu remettes les choses dans l’état où tu les as trouvées… je ne pense pas qu’il y ait grand-chose d’autre à discuter… je vais aller dans ma chambre pour lire, si tu as des questions n’hésite pas à frapper.

Enfin. Tu préférerais qu’elle hésite, qu’elle s’y reprenne à deux fois, voire qu’elle ne le fasse pas du tout. On peut toujours rêver.