La première : ne pas être tête en l’air.
La deuxième : réfléchir avant de quitter les locaux du club.
La troisième : arrêter d’être serein au bout de trois jours.
La quatrième : se rendre compte qu’on a oublié sa veilleuse préférée qu’on était en train de réparer.
La cinquième : la chercher partout en vain dans son bordel.
La sixième : trouver le fameux tournevis perdu depuis la semaine dernière et qui appartient au club.
La septième : se laisser distraire.
La huitième : oublier le problème de veilleuse pour encore deux nuits et se motiver enfin à coller des post-it pour y penser le lendemain.

Ça fait beaucoup d’étape pour une affaire qui aurait pu se régler en deux jours. Le souci, c’est que j’ai réussi à bidouiller une bouteille pour avoir plus de lumière et remplacer la veilleuse manquante. Ça m’a éloigné de mon oubli et le temps que je m’en rappelle, presque une semaine est passée ! Je devais d’abord réunir toutes les conditions pour y penser. Avoir du temps devant moi le matin, poser mon regard sur l’un des dix post-it, ne pas l’oublier le temps du petit-déjeuner, voir un nouveau message, le répéter en boucle le temps de me préparer, essayer de le retenir très fort… Après plusieurs jours, j’ai enfin réussi !

Content d’avoir trouvé la motivation, je profite de la matinée pour me rendre au club sans rien oublier cette fois. C’est ce que je pense au début, avant de me rendre compte que j’ai oublié de prendre le tournevis du club oublié dans un coin de ma chambre. Pire que ça, je le retrouve dans une manche de chemise lorsque je fouille mes affaires. La chemise était par terre. Ça fait 15 jours qu’elle y est. Depuis, elle a eu le temps d’avaler plusieurs objets. En tout cas, maintenant c’est bon, j’ai tout. Arriver au club m’aura pris plus d’une heure mais j’y suis enfin. J’ai pensé à demander à Kira de demander à son tour la clé du local pour que je puisse récupérer ma veilleuse. Qu’elle prenne la veilleuse au passage ne m’est pas venu en tête.

Seul dans le local, je pose le tournevis à sa place… peut-être… Ou alors il va ici… Je le laisse où il est sans être sûr de moi et cherche la petite planète qui illumine littéralement mes nuits. Au moment où je la trouve, le tournevis tombe par terre et entraîne les outils en contrebas dans sa chute. Ça me fait crier, lâcher Saturne, me pencher pour la récupérer, seulement pour mettre encore plus le bazar. La veilleuse roule sous un meuble pour ne rien aider. C’est fatigant. Après un certain temps à trifouiller le sol, je mets la main dessus et me relève tout content.

Seulement pour faire une nouvelle crise cardiaque en voyant un type dans l’encadrement de la porte. C’est un miracle que je ne fasse pas encore tout tomber en sursautant. Cela dit, une fois la surprise passée, je lui souris et m’approche.

« Bonjour ! Tu cherches quelqu’un ? »

J’espère qu’il vient d’arriver et qu’il a pas remarqué les objets éparpillés partout derrière moi. On est dans un club de bricolage mais ça justifie pas le chaos qu’il y a par terre.

Il me répond avec une telle assurance que je n’ose pas lui dire que je suis pas la meilleure personne pour lui donner des informations sur le club. J’y suis depuis peu et si j’ai compris les règles basiques, je me sens encore au stade de découverte. Alors oui, il est au bon endroit mais pas au meilleur moment. Gêné par cette constatation et paumé sur ce que je dois faire, je panique légèrement quand il tend la main. Sans le regarder dans les yeux et avec une assurance loin de la sienne, je dépose ma veilleuse dans sa main. C’était ça ou lui taper dans la main pour faire un check.

« Tu voulais la voir ? C'est ma veilleuse Saturne. »

Probablement pas. Faudrait réfléchir avant d’agir des fois hein.

« Enchanté aussi ! Je m’appelle Eizh et euh… Je suis pas dans le club depuis très longtemps mais je peux faire au mieux pour te le présenter ! »

Présenter le local d’abord ou les activités. Hésitant, je me tourne vers le bazar au sol et me remémore aussitôt que je devrais ranger. Je commence donc à ramasser les objets avant d’enchaîner.

« Normalement c’est pas comme ça, les outils vont… Hm… Ils étaient posés… Là ? »

Je les empile sur un meuble dans un équilibre précaire et quand rien ne tombe, je me dis que ça fera l’affaire. Je reprends sans me rendre compte qu’une partie glisse derrière le meuble.

« Pour les activités du club, ça dépend beaucoup de chacun j’ai l’impression. Personnellement je débute tout juste alors j’apprends avec les autres, mais il y a des personnes comme ma coloc qui construisent des objets très élaborés et classes ! Des robots et des machins dangereux. Moi j’aime bien réparer et démonter pour remonter, pour l’instant je touche aux meubles ou petits appareils électriques. Donc voilà, c’est varié. Tu bricoles déjà ? T’aimes faire quoi ? »

C’est pas très grave s’il n’est pas très doué pour ça, j’ai plutôt l’impression que l’ambiance du club est bienveillante. Je peux me tromper, mais puisque j’arrive à apprendre à mon rythme sans angoisser de faire des bourdes à chaque seconde que j’y passe, ça va. Il aime la mécanique comme Kira. J’espère que sa bricole est pas aussi dangereuse que celle de ma coloc.
Quand il me redonne la veilleuse, je souris et commence à suivre les stries de la planète avec mes doigts. C’est à la fois pour rester concentré et parce que ça m’apaise de retrouver le petit objet. Mes nuits seront plus calmes avec davantage de lumière dans la chambre. Mon geste s’interrompt brusquement à sa question, et mes joues s’empourprent aussitôt.

« N-non... C’est souvent rangé, le président du club est quelqu’un de carré. C’est juste... Euh... J’ai fait tomber des trucs puis euh... D’autres encore... Et je sais pas où ça se range. »

Je rougis de plus belle quand il me tend les outils, excessivement conscient de ma tentative plus que rater pour ranger le lieu. Empiler les objets ne fonctionne que dans ma chambre. Et encore, la pile ne tient que quelques minutes avant que je rentre dedans et fasse tout tomber.

« Je veux bien que tu m’aides, c’est gentil de proposer. »

Je glisse la veilleuse dans la poche avant de mon sweat trop grand pour être sûr de ne pas l’oublier en partant. Quant aux outils rendus par Filandrys, j’essaie d’avoir l’air de m’y connaître mais je ne fais qu’ouvrir des placards en hésitant à chaque fois sur leur emplacement de base. Au final, je les pose au hasard quand je trouve des espaces inoccupés.

« T’as pas encore de club ? T’es dans quelle filière, au fait ? Je sais plus ce qu’il y a comme cursus à Leoska. »

Distrait par la conversation, j’en viens vite à poser n’importe quoi n’importe où. Quand ce travail me lasse, j’attrape un écrou que je fais tourner sur sa vis.

« Ce club est sympa en tout cas, surtout si tu aimes les travaux manuels. Ça change des cours où il faut rester assis à rien faire. »

Je ris un peu en finissant ma phrase, même si dans le fond j’ignore pas l’utilité de la masse de cours qu’on a. Dans mon cas, ça reste indispensable alors j’essaie de ne pas trop me plaindre.

Comme il est organisé ! Mon bordel disparaît petit à petit quand il le range, finissant dans les bons tiroirs avec les bons outils. Des étoiles dans les yeux, je le regarde faire avant de ramasser les outils posés au hasard dans le local. Timidement, je les mets dans ses mains sans savoir comment lui demander de les ranger à ma place. S’il est doué pour ça et qu’il accepte d’aider, je n’ai aucun mal à admettre que mon rangement n’en est pas un et qu’il peut faire mieux que moi. Le problème, c’est qu’à part lui coller des outils dans les mains avec un air admiratif sur le visage, je ne formule pas ma demande verbalement. J’y pense pas et en plus je pense d’abord à l’écouter quand il parle du club du musique. Résultat, j’oublie d’ouvrir la bouche. Je finis par hocher la tête.

« Si tu préfères bidouiller dans ton coin et interagir avec les autres quand tu veux, ça devrait te convenir alors ! Il peut y avoir des projets communs mais c’est pas toujours le cas. »

Paysagiste ça sonne classe comme métier ! Je l’envie d’avoir un plan en tête. Personnellement, je peine déjà à rester ancré dans le présent et à rattraper mon retard. J’aimerais bien me fixer un objectif précis et m’y tenir mais dans l’immédiat ce serait trop à supporter. Après, il dit lui-même que son choix d’orientation a été compliqué à faire. Je lui souris, n’ayant pas le temps de répondre parce que mes pensées divaguent. Mon sourire s’agrandit quand Filandrys évoque des difficultés similaires aux miennes. Ça me rassure de rencontrer quelqu’un qui n’aime pas ça non plus ! L’esquisse s’altère quand il me retourne les questions et je baisse les yeux vers la poche contenant la veilleuse.

« Ah euh, je n’ai pas fait cette veilleuse. Je l’ai achetée tel quel et quand elle a cassé je l’ai réparée. Et puis sinon… Tu demandes ce que je fais dans la vie, en fait ? Je… Alors… Ben… Je vais en cours. Mais j’ai pas l’habitude non plus alors j’y arrive bof. J’essaie de rattraper mon retard aussi mais c’est pas simple. Ah ! J’essaie de sortir de l’académie, aussi ! J’ai réussi une fois avec ma coloc. Je fais aussi un peu de sport quand j’ai la motivation hahaha. Et toi, tu en fais ? T’as l’air d’en faire. »

Je me rapproche super près en disant ça, histoire de ne pas dire n’importe quoi et de le gêner. Sur le coup, je ne me dis pas que la proximité réduite brusquement est l’élément gênant. Je reprends sans reculer.

« Tu disais que ton choix d’orientation a été compliqué. Comment tu as fait pour te décider au final ? »

Il m’éloigne de lui sans que je le prenne mal. J’étais probablement trop près, et puisqu’on m’a déjà dit que j’étais envahissant, sa réaction ne m’étonne pas. J’ai juste peur de l’avoir mis mal à l’aise, bien que son geste pour m’éloigner soit affectueux. Je prévois de lui expliquer que je voulais simplement vérifier ce que je disais pour pas supposer n’importe quoi, mais penser à mon raisonnement met en lumière qu’il n’est pas bon du tout. Je décide de finalement rester silencieux, sans montrer ma gêne si possible.

Gêne qui s’évapore dès qu’il m’invite à faire du sport, et je me rapproche encore sans m’en rendre compte. C’est l’enthousiasme et le confort. J’aime bien lui parler.

« Vraiment ?? ça te dérangerait pas d’en faire avec un débutant ? Tu fais quoi comme sport ? »

Ma motivation pourrait crever le plafond si je faisais du sport avec quelqu’un ! Selon sa réponse, je demanderai à mon médecin si je peux faire ce type de sport et si ça ne va pas contre les séances de kiné… ça fait beaucoup d’organisation pour une simple activité, mais depuis mon départ des classes d’aide, je me sens moins entouré. Paumé en plus de ça. C’est rassurant de parler à un autre étudiant avec qui le courant passe très bien et qui ne soit pas April.

Je suis attentivement la démonstration de magie, émerveillé en voyant la petite fleur éclore. Sa petite bourde me fait sourire. Maîtriser sa magie c’est pas une chose simple, on le voit en cours et dans l’académie. Amusé, je m’accroupis pour appuyer sur la bosse qu’il vient de créer. Tout ça pour rester prostré face à ses questions. A force, il va penser que toutes mes réactions sont bizarres et que parler est ennuyant. Le problème… C’est que j’ai absolument aucune idée de ce qui me fait vibrer. J’essaie de me faire au monde extérieur sans rien piger de mon environnement, toujours fatigué et dépassé. Tout ce qui me fait littéralement vibrer, c’est la peur de retourner dans une cellule solitaire et de jamais en sortir.

Mes doigts commencent à s’entortiller dans mes cheveux tandis que l’angoisse monte. La panique peut-être. Je sais pas quoi répondre. Je sais pas ce qui me passionne. Être en vie, être libre, c’est déjà bien non ?

« Être dehors et… Hm, c’est ridicule à dire. Excuse-moi, je sais pas si tu attendais une autre réponse. J’arrive pas à y réfléchir donc euh… Être dehors c’est bien.  Vivre c’est bien. P-pour l’instant ça me suffit. »

C’est déjà beaucoup, j’en attendais pas autant avant d’être libéré. Après une grande inspiration, je me relève pour lui faire face. Pitié qu’il m’ait pas trouvé bizarre, j’ai très envie qu’on devienne amis.

« … Et toi ? Tu parlais de logique et de te servir de tes talents. C’est pas un métier de passion ? Tu aimes faire autre chose ? La musique te fait vibrer ? »

Il fait plein de sports différents ! Ou il a fait, plutôt. Ça me rappelle que je faisais aussi du skate et du roller. J’adorais le vélo. Encore mieux, le vélo avec des rollers. Il attend probablement pas que je décline toutes les conneries que je faisais avec ma famille quand j’étais gamin, à courir partout en inventant tous les jeux dangereux possibles. Par exemple, l’escalade. Grimper aux arbres et aux bâtiments en est aussi. On se fait engueuler par les parents quand ils se rendent compte que deux enfants sont perchés sur le toit pendant que les autres jettent des frisbees dans leur direction, mais ça reste un sport aussi. On faisait le triathlon de la bêtise. Je lui dirai tout à l’heure pour le skate et le roller. Sans entrer dans les détails, juste ce qu’il faut pour pas avoir l’air totalement bizarre.

L’occasion de répondre autre chose que « oh wow » me passe sous le nez, puis ça devient compliqué. La réponse que je lui fournis est niaise, simple, sans ambition autre que celle de tout admirer au quotidien. Mes yeux se focalisent sur un coin de meuble à côté de lui quand je me relève. C’est pas parce que je n’ose pas le regarder dans les yeux. C’est juste… moins accaparant de ne pas me forcer après les fortes émotions qui m’ont traversé. Son accolade me rassure, et je lui souris timidement.

« C’est vrai. C’est un projet sous-estimé. »

Je l’écoute attentivement (en oubliant quelques mots au passage) et mon regard s’illumine aussitôt quand il détaille son goût pour la musique.

« Mais t’es super trop cool en fait ! Tu sais faire plein de choses ! »

C’est admirable, il est bourré de talents ! Il sait ranger comme s’il jouait à Tetris, il bricole, a fait plein de sports, se débrouille avec les plantes et joue du violoncelle. Quand est-ce qu’il dort ? Peut-être qu’il sait organiser sa journée comme les tiroirs du club. C’est encore plus dingue.

« C’est trop gentil de proposer une démo, j’ai hâte de t’écouter ! Tu en fais depuis longtemps ? Tu joues quel genre de musique ? J’ai pas compris pourquoi le fait d’être ‘un grand gaillard’ te donne pas une tête à faire du violoncelle, au fait. La musique c’est des sensations pas un visage particulier. »

Je ris un peu en terminant, pensant sincèrement que la carrure et l’apparence n’ont aucun lien avec l’instrument qu’une personne joue. Ça modifie la posture, je crois. C’est tout. Il avait l’air mal à l’aise en me donnant le nom de l’instrument, comme si je n’allais plus le prendre au sérieux en l’apprenant.

« Savoir que tu fais du violoncelle c’est comme savoir que t’as fait du skate, ça m’aide juste à mieux te connaître. D’ailleurs j’en ai fait aussi ! Du skate, pas du violoncelle. Toi aussi t’étais fan de l’hoverboard de Marty McFly quand t’étais plus jeune ? Ça aurait été génial qu’il existe. »

Mes mains triturent à nouveau l’écrou que j’avais en main tout à l’heure. Ça m’aide un minimum à me canaliser sur la conversation.

Ses yeux se ferment et, même si je me pose des questions sur cette réaction, je détourne le regard et reste silencieux pour lui laisser tout le temps nécessaire pour se sentir mieux. On est toujours l’un à côté de l’autre, moi envahissant son espace personnel, mais je ne songe pas un instant à me décaler. Il a donc le temps, pas trop l’espace. Je ne m’en rends pas compte, plus occupé à bidouiller l’écrou et la vis. Quand il va mieux, il attrape lui aussi un objet pour jouer avec. Il décide ensuite de me faire écouter une musique… Triste. Poignante. Mes doigts arrêtent petit à petit de tripatouiller mon anti-stress de fortune et une pointe d’inquiétude m’envahit. Il va bien ?

Il enchaîne directement sur le skate sans que je puisse commenter la musique, alors je reprends mon jeu pour chasser l’effet que sa musique m’a fait. Mes yeux s’écarquillent de joie à sa proposition et quand j’agite les mains d’excitation, l’écrou et la vis volent dans un coin de la pièce pour s’écraser contre une étagère. Quelques outils se font dégommer au passage et s’écrasent au sol avec fracas. Embarrassé, je me précipite pour ramasser mes bêtises. C’est une simple tâche qui ne devrait pas poser de problème. Or, je trouve le moyen de m’appuyer sur une planche posée sur un établi. Planche encombrée d’autres objets. Objets qui se font propulser. Comme j’ai le poids et la force d’une feuille, leur vol est de courte durée et je me prends un tournevis dans la tête, un bidule en construction dans le bras, et d’autres trucs un peu partout sans que je les identifie.

« Aïe ! Zut ! Oh non ! Désolé ! Tu avais tout bien rangé et… Oh non j’espère que rien n’est cassé. »

Je me frotte rapidement la tête avant de ramasser maladroitement certains objets pour vérifier leur état. L’un d’eux m’échappe des mains et, s’il était en bon état avant ça, il se brise à la deuxième chute. C’est une catastrophe ! Je sais même pas à qui c’est !

« Oh non non non non non. F-Fil, tu sais comment ça se recolle ? »

Je reviens vers lui pour lui tendre le petit objet. C’est une construction en bois brisée sur le côté.

« Je suis vraiment désolé, j’étais trop content et… Uh, va falloir ranger encore…  »

C’est mon activité détestée. J’attends que la motivation soit là pour commencer. Avant, je préfère répondre à la proposition de Filandrys.

« Euh… Avant de tout balancer je voulais te dire que ça me plaisait énormément comme idée !! En plus il existe sûrement des artefacts magiques pour faire voler le skate ! J’en ai vu quelques uns en cours. Il y a les cata… Cataclyseur et les… les concentrateurs ? Enfin bref, ça existe. Comment ce sera super stylé comme skate ! »

Je sais pas si on peut en faire quand on a de l’ostéoporose ou si c’est trop dangereux. Plus je parle et plus mon visage s’illumine, en tout cas. Je finis par m’éloigner en agitant encore les mains de joie pour commencer à ramasser mes conneries. Tout en rassemblant les outils, je lui adresse un sourire.

« Ah et, j’ai pas pu te le dire tout à l’heure mais la musique que tu m’as montré est émouvante. Je sais pas comment expliquer mais elle est… profonde. Triste aussi. C’est hm… Une impression de toucher du doigt son rêve le plus cher avant qu’il devienne inaccessible. Ou un regret. »

Je me rends compte tout à coup que mon commentaire est sombre. Je bafouille alors :

« M-mais c’est euh, c’est que mon avis. Toi elle te fait penser à quoi ? Pourquoi tu l’aimes ? »

Je le remercie quand il propose de ranger le local pour mes bêtises. Ça me soulage énormément, il a pas idée. Mes bourdes s’accumulent quand je touche quoique ce soit, j’ai peur qu’à force ma maladresse me ferme les portes du club et qu’on me dirige vers autre chose. On pourrait également m’interdire l’accès au club hors période d’ouverture, et ça serait pénible. La présence de Filandrys et son don pour le rangement m’enlève un sacré poids. Pour le skate, je suis du même avis ! On apprendra comment faire et même si c’est pas tout de suite réussi, on pourra recommencer.

« Moi aussi ! On pourra demander de l’aide au club si jamais on se trouve dans une impasse. »

Il ne donne pas tout de suite son avis sur la musique. Puisque je ne le regarde pas dans les yeux et que mon regard parcourt rapidement son visage, je ne déduis rien. Je ne comprends pas ce qu’il ressent mais j’ai envie de le savoir. Je pourrais lui offrir du soutien si jamais il souhaite aborder un sujet sensible. Souriant, je me relève pour me diriger vers la porte. Filandrys a tout pris, il me suffit juste de le suivre.

« Cool ! Ça va faire du bien un peu d’air. »

Notre première réparation commune. Ça me fait plaisir ! Le travail de groupe n’est pas toujours simple mais de ce que j’ai constaté, je m’en sors pas si mal quand il s’agit de travaux manuels. Et puisque Filandrys me plaît beaucoup, je suis curieux de voir ce qu’un effort commun peut donner. Que ce soit pour l’objet cassé ou notre projet de skate plus tard. Sur le coup, j’oublie totalement que répondre à ses questions risquent d’être pénible selon leur nature.

« Si tu veux pour les explications et tout et tout. Ça va aller ? T’es pas obligé si t’as pas envie. »

Je prends automatiquement le chemin de la cour extérieure, dans l’idée de trouver un coin tranquille et pas trop bruyant.

« T’as un endroit préféré ici ? Ah. Attends. C’est encore tôt pour le dire comme tu viens d'arriver. Hm… Personnellement j’aime bien les coins à l’ombre des bâtiments ou être en bordure de forêt. Tu veux que je te montre ? »

ça ne fait pas longtemps que j’ai accès à toutes l’école alors la liste des propositions est courte.

Je me laisse tomber maladroitement sur le sol au moment de m’installer à côté de lui. Ma souplesse est égale à celle de la branche morte que je saisis pour la dépiauter en écoutant Filandrys. Mon pouvoir n’est pas l’honnêteté. Ça m’embête qu’il se méprenne sur ce point, je sais pas trop comment le rectifier. Surtout qu’il se confie à moi, ça le ferait pas si je l’interrompais pour un détail aussi bête. Je décide donc de l’écouter en silence. Un petit hochement de tête quand il me dit de pas changer, de l’incompréhension quand il ne veut pas être pris en pitié. Je réponds un faible « ok » sans savoir comment lui dire que je voulais seulement qu’il ne se sente pas forcé à parler. Je comprends pas pourquoi ce serait mal d’avoir de la peine pour lui. Surtout qu’il raconte des choses difficiles. Sa sincérité me touche et ne sachant pas quoi répondre sur le coup, je me penche vers lui pour le serrer dans mes bras sans m’attarder pour ne pas le gêner.

« C’est génial que tu aies pu trouver de quoi expulser ces sentiments. Comme tu dis, il n’y a pas que des bonnes personnes dans ce monde et… La confiance en soi, je la vois pas comme une cachette mais plutôt… Disons… Quand on se sent très seul ou quand on est mal entouré, on se rend vite compte que son seul allié, c’est soi-même. Se faire confiance, c’est faire de soi son allié. C’est une connerie que si on fait semblant de s’accepter. Le garçon que t’as mis dedans va comment depuis ? ….J’ai compris que tu parlais de toi, j’espère que ma formulation était pas bizarre. »

Petit rire à l’idée qu’il mette un vrai bonhomme dans son violoncelle. Mon attention se centre sur l’objet cassé qu’il commence à faire pousser et je l’attrape avec un regard pétillant quand il me le donne. Ça rend trop bien ! C’est classe !

« Je trouve aussi. Comment ça c’est la mode ? Les gens achètent des meubles pas travaillés ? C’est stylé, j’aimerais bien voir une maison comme ça. »

Je suis content qu’il revienne sur mon don. Par contre, je ne pense pas avoir l’air passionnant. Mes joues s’empourprent et je caresse une feuille pour essayer de ne pas trop montrer mon embarras. Plusieurs pensées intrusives se bousculent dans ma tête, à me dire que je suis personne, tout juste un outil, que la seule passion dont j’ai le droit est motivée par le dégoût et la colère. Je sais que c’est faux, qu’on m’a sauvé parce que je mérite une vie comme les autres. La présence de Filandrys me permet de ne pas dériver vers des souvenirs dangereux. Après un instant de silence, je lui souris.

« Je le suis pas. Puis mon don, c’est même pas en lien avec l’honnêteté haha. Je fais des barrières de protection, c’est tout. C’est des trucs invisibles qu’on peut pas casser ou traverser. Enfin si, on peut les casser, mais pas aussi facilement qu’une vitre. Je suppose que leur forme est cubique. Je suis pas sûr. C’est moins impressionnant que de manipuler la nature. »

TW trauma et crise d'angoisse
Mes sourcils se froncent instantanément quand il blague sur son violoncelle. Y’a vraiment un type dans son instrument ?? Et il est vivant ??? ...Stop. Réfléchissons. Il blague et c’est lui qui va mieux. Oui. Voilà. C’est ça. C’est pas possible de foncer tête baissée dans la crédulité à ce point. Ses expressions m’ont induit en erreur, j’ai pas compris tout de suite qu’il jouait la comédie. Du coup, c’était gênant. Après avoir froncé les sourcils, mon visage a exprimé une grande surprise. Comme si c’était vrai. Je finis par lui sourire et lui souhaiter le meilleur. Il vit quoi et c’est déjà bien. Je ne sais pas si on met le même sens derrière ce mot, cela dit. Pour moi, vivre c’est ressentir et être libre. Peut-être que pour lui aussi.

Selon lui, la mode en matière de déco d’intérieur est le retour au vert et l’ambiance bohème. Comme Leoska, c’est à dire ? C’est amusant que l’académie fasse attention à la mode alors que ce n’est pas du tout la priorité du lieu. L’idée de la cabane m’emballe à fond !

« T’es un génie ! Les cabanes ça fait rêver, ce serait incroyable d’en avoir une ici ! »

On pourrait installer une balançoire à côté en plus pour compléter ce rêve !
Je sursaute quand il s’exclame que mon pouvoir n’est pas impressionnant. Il est incroyable et beau, selon ses dires. C’est beau de pouvoir protéger. Protéger les autres. Rendre service. On m’a pas donné le choix. J’ai servi, point. Je me suis épuisé. J’ai saigné. Je suis allé au-delà des limites pour éviter des conséquences qui me sont retombées dessus de toute façon. Ils avaient toujours une excuse. C’était douloureux. Mentalement, physiquement. J’ai pas un « sacré niveau ». Les bases de mon pouvoir m’échappent parce que j’ai désappris à le contrôler comme je voulais. Elles reviennent petit à petit grâce aux cours de magie mais c’est long et difficile. Notamment parce que j’y associe des choses désagréables.

J’ai oublié ses questions. J’arrive pas à respirer. Au début, je comptais faire comme si de rien n’était mais je suis sûrement déjà très pâle. Mes mains tremblent légèrement alors je les glisse sous mes cuisses pour stopper cette réaction. Son rapprochement me rassure. Cependant, j’ai peur de le décevoir si je ne me reprends pas.

« Excuse-moi Fil… Je… J’ai… Oulah… »

J’inspire profondément pour chasser les images violentes qui reviennent. Mon corps se met en mouvement tout seul pour se balancer d’avant en arrière. Pas la foi de me lever maintenant pour faire les cent pas.

« J’ai pas retenu les questions. Je voulais répondre… Désolé. Pardon. Merci. »

Penser à respirer calmement. Faire des phrases cohérentes. Pas ce que je viens de lui servir.

« Merci parce qu’on me l’a jamais dit comme ça. Je crois pas. Je sais plus. Mais euh, ça fait plaisir… »

Arrêter de parler, tout simplement.

Son contact me permet de m’ancrer dans la réalité. Le présent. On est à Leoska, on est dehors, je vais bien. Mieux. Je suis en train de me faire un ami. On respire tranquillement. Il a raison, faut écouter les oiseaux, se concentrer sur le réel. Je hoche la tête pour lui dire que j’ai compris et que je vais suivre ses instructions, continuant au passage de me balancer pour me calmer. Ça m’aide qu’il ferme les yeux. Ainsi, j’ai pas à m’inquiéter d’éviter son regard et je peux totalement me concentrer sur ma respiration.

Évidemment, tout ne s’arrange pas tout de suite. Ce serait extra que des exercices de respiration et de l’auto-persuasion fonctionnent immédiatement. Dans les faits, mon cœur me fait mal et des vagues de panique me submergent. Quand je crois m’en sortir, mon humeur chute brusquement et par dans tous les sens. Les balancements m’aident à lui donner une direction et les respirations profondes à l’extérioriser. J’aimerais me précipiter, aller mieux tout de suite pour rassurer Filandrys et ne pas alourdir davantage l’ambiance. Mais c’est pas un bon plan. Chaque précipitation de ma part dans ces situations de crise m’a amené à des états de détresse ingérables. Je veux pas finir comme ça aujourd’hui.

J’espère que le temps n’est pas trop long pour lui. Mon ressenti est actuellement éclaté et je ne sais pas combien de temps je passe à me balancer, respirer, éviter de pleurer. Au bout d’un moment, je prends une très grande inspiration et ris un peu de moi-même. Ça sonne pas comme un rire. Plutôt comme un brusque soupir et un sanglot réprimé. Timidement, je lui fais un autre câlin pour le remercier de son aide. Ça reste compliqué de parler, il y a comme une boule dans ma gorge et contrairement à d’autres cas, je ne me sens pas obligé de forcer sur mes cordes vocales pour communiquer. Après l’avoir libéré, je sors mon portable de ma poche pour ouvrir l’application Notes.

Mon orthographe est mauvaise et ça m’embarrasse, raison pour laquelle je regarde ailleurs quand je lui tends mon portable pour qu’il puisse lire.

Merci beaucoup !!!! Excuse-moi pour se moment gênants. Me suis déjà servi de mon pouvoir. Trop. C un sujet sensible désolée vraiment. Mais sa vas mieux !! Désolé de t’avoir imposer mon état. On peut continué à parler ensemble ?

J’ai terriblement peur qu’il décide de m’éviter parce qu’un rien déclenche la panique. C’est lourd à gérer pour les autres. C’est ce que j’imagine, en tout cas. Ça l’est pour moi alors quelqu’un qui n’est pas dans ma tête…

ça me surprend qu’il décide de répondre par écrit lui aussi ! C’est chouette, je me sens bien et pas pressé de parler à nouveau. On peut profiter des bruits apaisants de la nature, ça fait un bien fou. Le temps qu’il écrive à son tour, je joue avec l’herbe sous mes doigts pour continuer à m’ancrer dans la réalité. Je veux pas dériver à nouveau alors que la paix revient. Mon coeur bat encore trop vite mais ça se calmera. Comme ma respiration et les vagues de tension. J’attrape le portable quand il me le rend pour lire son message. Sa réponse me fait sourire et j’entame directement l’écriture de ma réponse.

Chouette ! Merci ! J’ai hâte de faire la cabane et les skate ! Je m’excuse quand même, tu pouvait pas savoir et ma réaction est pénible. Merci encore, je suis trop content de t’avoir rencontrer.

Je lui redonne le portable et reste assis à côté de lui à caresser l’herbe. Au bout d’un moment, j’appuie mes mains sur le sol derrière moi pour pouvoir regarder le ciel sans m’allonger. L’un des nuages ressemblent à un chapeau. Celui à droite est une grenouille. Ça donne envie de s’y perdre pendant des heures. Je me lasse jamais de regarder le ciel, même quand il fait pas beau.