CW crise de panique

Voilà qui faisait longtemps. (Ironie). Tu serres les dents et descends de ton lit à contre cœur pour te diriger vers les toilettes. Tu as des hauts le cœur et tu salives, ce qui signifie que tu risques de vomir. Pour une fois, ta respiration est saccadée et désagréable, mais pas bloquée par la panique. Tu as dû faire un rêve déplaisant, tu ne t’en souviens pas. Les mains qui ramassent tes cheveux en une queue-chignon emmêlée et pas franchement esthétique, habituées à les empêcher de te tomber devant ta bouche si ta nausée se réalise, viennent ensuite se poser sur la porcelaine froide. La différence de température entre celle-ci et tes paumes est presque douloureuse, mais ta peau anormalement chaude la réchauffe presque instantanément. Tu les décolles, pour ne pas abimer le mobilier, et utilises tes coudes, ramène ton visage dans tes mains et attends. Attends. Attends.

Ce n’est pas une grosse crise. Elle est ménageable, bien que particulièrement désagréable, et tu finis, au bout de quelques minutes à genoux sur le carrelage de la salle de bain, par décider que tu ne vomiras pas cette nuit. Le gros de la crise commence à passer, l’accalmie se présente timidement et tu ne veux pas la mettre en péril en allant te recoucher, en t’enfermant sous ta couverture avec tes pensées. Tu soupires, te redresses et attends quelques secondes que ta vision redevienne claire. Il est tard, tu peux te permettre de rester dans le salon pour lire sans craindre d’être dérangée. Tes colocataires dorment surement. Et tu seras assez près des toilettes si l’envie de vomir se présente à nouveau. Tu vas quand même chercher une bassine au cas où, et sélectionnes un roman dans ta bibliothèque pour te changer les idées en lisant. Quelque chose de léger, que tu as déjà lu, quelque chose qui soit rassurant et doudou.

Tu allumes une lampe de chevet près du canapé et te blottis en position assise sous un plaid, Jane Eyre en version française sur les genoux. Par moment, tes yeux sautent une ligne, un paragraphe, reviennent au début de la page, et l’anxiété rend la lecture difficile, mais tu persévères. Tu n’as pas besoin de comprendre tout ce que tu lis, tu connais déjà l’histoire. Le tout est de te changer les idées, de faire redescendre la pression. Ta respiration te pose toujours problème, mais tu ne baves plus, la crise commence tout doucement à passer.

CW crise de panique

Tu hésites à dissimuler ton état. Déjà, parce que sa question est stupide, tu ne serais pas en train de lire avec une bassine à côté de toi si ça allait. Et tu n’as pas particulièrement envie d’afficher tes faiblesses devant quelqu’un que tu connais à peine. Mais tu n’es pas obligée de lui expliquer les raisons pour lesquelles tu ne vas pas bien. Tu peux te contenter de hausser les épaules. Mentir serait peu crédible, tu as la peau pâle et tu dois te concentrer pour empêcher tes dents de claquer. Il suffit de ne pas préciser les raisons pour lesquelles tu ne vas pas bien.

- Pas vraiment. Et toi ?

Ton regard le suit dans l’espace cuisine et tu fronces les sourcils. Visiblement, sa maladresse du premier jour n’était pas, ou pas entièrement, due à une quelconque intimidation. Il est juste assez peu doué. Il revient avec une tasse de ce que tu présumes être du lait, probablement chocolaté, et des petits gâteaux. Le simple fait d’imaginer poser quelque chose sur ta langue te provoque des hauts le cœur. Tu hoches la tête et déplaces ta bassine pour qu’il puisse s’installer, et poses le livre sur tes genoux le temps de l’observer. Est-ce qu’il a besoin de compagnie ? s’il voulait simplement manger, il aurait pu le faire dans la cuisine, s’installer sur la table, terminer son encas.

- Non, tu peux t’asseoir ici, la place est libre.

Tu essaies de garder ta voix au plus bas pour ne pas réveiller Kira. Ce serait un comble, que tu lui demandes de ne pas faire de bruit la nuit et que tu sois celle qui réveille l’autre. L’odeur du chocolat te parvient et tu grimaces. Tu n’as jamais vraiment eu l’occasion de découvrir si tes crises de paniques empireraient ou s’amélioreraient avec la présence de quelqu’un d’autre ; peut-être que tu réussiras à te calmer plus rapidement. La nourriture qu’il a emportée avec lui ne t’aidera pas, mais peut-être que tu pourras passer outre si vous continuez de discuter. Tu ne sais rien sur lui, à part qu’il est terriblement maladroit, peut-être que vous auriez des points communs si tu prenais la peine d’apprendre à le connaître ? Tu secoues la tête et poursuis :

- Non, ne t’inquiète pas. Je ne suis pas malade. Je me sens mal, mais ça devrait passer, pas la peine d’alerter qui que ce soit.

Tu tapotes le canapé à côté de toi, et lui fais un sourire, probablement un sourire un peu mal à l’aise, mais qui a le mérite d’exister. Même s’il est furtif. Il est temps d’enclencher le mode « sociable avec des presque inconnus ». Tu lui demanderais bien ce qu’il fait debout à cette heure, mais c’est prendre le risque de te voir retournée ta question. Et tu as peur de parler et qu’un haut le cœur te prenne par surprise. Mais c’est le moment où jamais de trouver les limites de tes crises. Tu inspires profondément et cales un marque-page dans ton livre, avant de le refermer délicatement.

- Fringale nocturne ?

C’est la seule chose qui t’est venue à l’esprit. Pas la plus intelligente, parce que penser à manger risque de faire reprendre ta vague de nausée.

CW crise de panique

Il te sourit, et c’est difficile d’ignorer le fait qu’il a une bouille de chiot. Tu penches la tête en arrière pour faire craquer ta nuque, mais le geste empiète sur ta nausée. Mh. Voilà qui va être particulièrement désagréable. Entre ça et son encas, tu vas essayer de garder la bouche fermée le plus possible. C’est surement psychologique, mais avoir les lèvres serrées te donne l’impression que tu peux contrôler ton estomac ; c’est en revanche assez peu pratique, parce que tu ne peux pas expirer profondément par la bouche si tu t’obstines à la garder close. Cette fois, tu ne te demandes pas s’il serait plus simple de lui mentir, tu te contentes de la vérité sans pour autant faire reposer la faute sur lui. Tu lui as déjà dit qu’il pouvait s’asseoir à tes côtés, ce n’est pas la peine de remettre ton accord en question.

- Un peu, mais j’ai l’habitude. Ne te dérange pas pour moi.

Tu n’es même pas sûre que l’opération aura du succès : si tu vomis pendant qu’il mange, tu ne sauras pas si c’est lié à la nourriture en règle générale ou au fait qu’il soit présent à côté de toi. Ne reste plus qu’à espérer que tout se passe bien et que ta nausée se calme d’elle-même. Tu ne prends toutefois pas trop de risque et détourne le regard pour ne pas le voir en train de mâcher. Il faut être réaliste, l’expérience n’a pas besoin d’être poussée jusque là. Tu hoches la tête doucement pour montrer que tu écoutes ce qu’il te dit, et souris. Il est mignon. Il utilise bien les métaphores.

- Tu ferais sans doute mieux de te cuisiner quelque chose rapidement, dans ce cas. Les petits gâteaux ne seront pas suffisants pour apaiser ta faim jusqu’à demain matin.

Tu ne connais pas le concept de conseils non sollicités. Si tu le connaissais, tu aurais surement fait plus attention à ce que tu disais, surtout concernant les habitudes alimentaires de quelqu’un d’autre. Ce qu’il décide de manger ne te regarde pas, et tu ne devrais pas lui faire ce genre de réflexion. Cela étant dit, tu ne te rends pas compte du problème, et te tais pour l’écouter parler. Essaies de te concentrer sur sa voix et sur ses mots, et sur sa bouille qui n’est éclairée qu’à moitié par la lampe de chevet Trop chaud. Sourire amusé. Ça n’a jamais été un problème pour toi, bien au contraire. C’est le froid qui te rend malade, au sens littéral comme au sens figuré. Tu hoches à nouveau la tête et réfléchis à sa proposition. Avec ta peur panique de l’eau, ce n’est pas demain la veille que tu mettras les pieds près d’un océan, tu n’iras probablement pas à la plage, et tu ne regarderas pas non plus de documentaires animaliers sur les fonds marins. Les bruits d’eau te donnent des sueurs froides. Mais écouter des bruits d’eau et écouter quelqu’un parler d’une espèce de poisson sont deux choses complètement différentes et tu décides de lui donner une chance.

- Je n’ai jamais vu de requin. Je ne sais pas grand-chose sur eux, à la vérité… Qu’ils sont dangereux et violents, à la rigueur… pourquoi cet intérêt pour les requins ?

Il pourra t’apprendre deux trois choses sur ces animaux. A commencer par le fait qu’ils ne sont pas si violents que ça, et que tu es simplement la victime de la rumeur générale. En même temps, tu n’as jamais vraiment réfléchis aux requins auparavant. Difficile d’en savoir plus dans ces conditions. Tu comptes tes respirations dans ta tête, essaies de garder un rythme d’expiration de six secondes, d’inspiration de quatre, et de maintient de deux. Ça te distrait un peu de ce qu’il dit, mais c’est aussi une habitude pour toi, alors tu ne perds pas tout ce qu’il peut t’apporter comme connaissances à ce sujet. Tu ne vas pas perdre une occasion d’apprendre quelque chose, sous prétexte que tu as fait un mauvais rêve. Tu fais toujours des mauvais rêves. La vie continue. Si tu te le répètes assez souvent, peut-être que tu finiras par y croire.

CW crise de panique

Le plan se déroule comme prévu : il parle, et tu essaies d’adapter ton état à la situation. Difficile de s’accrocher à ses mots quand quelque chose derrière ta gorge est lourd et pressant et qu’un mal de tête de nausée bourdonne dans tes oreilles. En plus, plus tu essaies de te concentrer, plus tu te rappelles pourquoi tu n’y arrives pas. En fond, tu retiens quelques informations, peut-être pas les plus capitales, tu n’en sais rien puisque tu manques une partie de son discours. Ce que tu retiens, en revanche, c’est qu’il est passionné par le sujet. Et ça, ça suffit à te faire oublier un peu ton état, pas parce que tu es attendrie par son regard brillant quand il parle, mais parce que ça te pousse à te poser une question douloureuse : et toi, qu’est-ce qui te passionne dans la vie ? Tu n’es pas sûre d’être capable de parler avec autant d’entrain d’un quelconque sujet de ton choix. Tu aimes la littérature, c’est vrai, mais tu as un peu choisi ce domaine par défaut, et tu n’as pas la culture nécessaire pour tenir des discours enflammés sur un ouvrage ou même sur un genre littéraire. Tu aimais la musique quand tu étais plus jeune, et tu jouais de plusieurs instruments mais tu n’étais qu’une débutante : le violon pleurait plus qu’il ne chantait, et tu commençais seulement à t’amuser au piano quand la source de ta crise d’angoisse est apparue pour te bloquer le passage. Ensuite, tu étais en mode survie. Pas vraiment le temps de développer une quelconque passion. Tu décroches complètement de ses paroles et ne t’en aperçois que lorsqu’il se tait. Il a l’air piteux, tu ne comprends pas pourquoi. Tu frottes ta lèvre inférieure et arraches du bout des ongles une peau morte. Tu tires trop fort, elle ne veut pas se décrocher, et fronces les sourcils. C’est pas le moment d’avaler du sang, ça risquerait de faire capoter tous tes efforts pour garder le contenu de ton diner bien au chaud dans ton estomac. A sa place. Le silence qui s’installe est pesant. Tu ôtes ta main de ton visage, crispes les doigts et les secoues comme pour te débarrasser de l’envie de continuer ce que tu as commencé, et les ramènes sur tes cuisses. Bien. Il a parlé, ça va être à ton tour. Sauf que tu n’as pas porté attention à ses paroles. Pas assez, en tout cas. Tu ne sais pas comment rebondir à propos des requins. Tu pourrais lui demander de te conseiller des films ou des livres qui parleraient de ce sujet, mais tu n’as pas l’intention de les lire ou de les regarder. Pire, il pourrait vouloir regarder les films avec toi, et tu n’as pas exactement signé pour un cinéclub entre colocataires. A la place, tu décides de dévier un peu. Tu calcules le degré d’émotion que tu vas insuffler à tes paroles. Tu n’as pas envie d’avoir l’air dramatique, d’avoir un passé mystérieux qu’il faudrait révéler au grand jour. Si Saph et Mordred ne savent pas que tu as été en camp, tu ne vas certainement pas le raconter à un inconnu au beau milieu de la nuit, même si sa moue fait vibrer une corde inconnue en toi, celle de la compassion. C’est une première, que tu puisses ressentir ce genre de chose sans avoir tissé un lien préalable avec la personne qui le suscite. Tu hoches la tête. Adoptes un air neutre.

- Tu as l’air passionné. Je comprends que la question n’est pas aussi simple que je le croyais… je ne suis pas une adepte de tout ce qui est mouillé et froid, alors je pense que je ne verrai jamais de requins de ma vie, et puis avec un pouvoir comme le mien, être mal à l’aise vis-à-vis de l’eau est un peu un prérequis, alors je ne pense pas avoir l’estomac pour regarder des documentaires ou des films à ce sujet. Mais c’est intéressant de voir que ça peut être aussi passionnant. Je ne m’étais jamais posé la question avant, je me contentais des présupposés généraux sur les requins. Je me demande si un sujet me passionne autant… je ne suis pas sûre.

Tu avais des obsessions quand tu étais petite mais tu es incapable d’accéder à ces souvenirs. Ils sont enfermés au creux de ton cœur, intouchables. Dommage. Triste, aussi. Tu vas devoir te bâtir une personnalité, prendre un peu de relief. Ton identité est arrangée proprement autour de tes traumatismes et si tu essaies de les découper pour voir ce qui reste de toi sans eux, tu te retrouves avec une toile déchirée, des images floues, illisibles. Rien. Ou si peu.

Tu aimes les vêtements.

Tu n’as pas peur d’avoir du sang sur les mains—tu as hâte d’avoir du sang sur les mains.

Tu ne sais pas ce que tu vas devenir quand tu auras savouré ta vengeance.

Tu voudrais être utile.

Tu aimes le rose.

Tu aimes le feu, les bougies et, virtuellement, les incendies.

Tu aimerais lire plus de femmes. Connaître plus de peintresses. De grandes compositrices.

En filigrane, un portrait se dessine à partir de ces quelques informations éparses. Pas de quoi faire tenir une personnalité complète, mais de quoi te donner des raisons de te lever le matin. De ne pas faire quelque chose que tu pourrais regretter, quand les crises de panique deviennent trop handicapantes, trop englobantes, trop.

Rien qui concerne Eizh, cependant. Rien que tu puisses—veuilles—partager avec lui au beau milieu de la nuit. Tu te tapis plus confortablement contre le dossier du canapé et l’accoudoir, te tournes pour pouvoir observer Eizh de profil. La nausée… est toujours là, malheureusement. Mais elle est moins agrippée à ta glotte, décidée à te faire perdre la bataille. Tu essaies d’arracher un morceau de tes lèvres avec tes dents, te rends compte que tu es en train de le faire et refermes la bouche. Pas de sang. Pas maintenant.

- Qu’est-ce qui a fait naître ta passion pour les requins ?

Une question personnelle, alors que tu n’as pas exactement révélé grand-chose à ton sujet. Enfin. Ta peur de l’eau. Que tu as sérieusement euphémisée. Enfin, rien ne dit que cet échange doit être égalitaire. Peut-être que tu pourrais continuer à le faire parler de lui jusqu’à trouver quelque chose qui pique sincèrement ta curiosité. Retienne ton attention sur lui.

CW crise de panique
Deux réponses te viennent en tête lorsque tu réfléchis à sa question. Trois, si on prend en compte le réflexe du « ça ne te regarde pas » qui te vient naturellement et que tu étouffes rapidement : tu as posé des questions, tu vas devoir faire avec les réponses qu’il a à t’apporter. Même quand celles-ci sont d’autres questions. Donc, deux réponses. La première, tu vas la garder pour toi. Elle concerne des projets macabres que tu passes et repasses dans ta tête au point de presque croire qu’ils ont déjà été réalisés. La deuxième est plus innocente. Tu hoches la tête, cherches à formuler quelque chose de clair, de cohérent. Pas facile, quand tu es dérangée par la nausée dès que tu dois faire vibrer tes cordes vocales.

- Je présume qu’on peut considérer que j’ai une passion pour la littérature. Je peux me perdre dans un livre, et avoir envie d’en apprendre plus à son sujet ou au sujet de son auteurice. J’aime réfléchir à ce que tel ou tel mot pourrait vouloir dire et pourquoi il a été employé à ce moment précis au lieu d’un autre. Mais… c’est un travail solitaire, d’être devant un livre, et c’est quelque chose que je fais pour les cours, alors je ne sais pas exactement si ça rentre dans le critère de la passion. Et je pense que je pourrais vivre sans. Même si ce serait très triste et pesant.

Tu parles en connaissance de cause. Pas d’histoires pour aider à s’endormir le soir, de là où tu viens. Encore une fois, tu gardes ça pour toi. Fais pianoter tes doigts sur ton genoux, pensivement. Autre chose ? Tu aimes vraiment les vêtements…

- Je ne lis pas grand-chose à ce sujet et je n’ai jamais assisté à des défilés de modes ou événements dans le genre, mais j’aime aussi beaucoup m’habiller. Je ne suis pas sûre qu’on puisse considérer ça comme une passion. Je ne sais pas coudre, ou repriser des vêtements, ni broder. Et même si je connais les créateurs de mode les plus influenceurs de nom, je serais incapable de reconnaître leurs produits sans un logo. Et je n’ai rien lu à leur sujet, même si ça me fait me rendre compte que c’est quelque chose que je pourrais faire. Je ne sais pas…

La question des passions est complexes. Et elle pèse désagréablement sur ton estomac. Qui tu es, comment tu te définis, c’est quelque chose d’un peu lourd pour une conversation nocturne en pleine crise d’angoisse. Tu peux constater que cette conversation ne fait pas diminuer ton anxiété, et évalues la situation. Quand Eizh ira se coucher, tu vas sans doute ressasser les informations qu’il t’a données sur les requins. Et te reposer, en boucle, la question de ton identité. Ce qui n’est pas une perspective encourageante. Tu repousses la bassine entre vous deux et poses les pieds par terre silencieusement.

- Je reviens tout de suite.

Tu vas fouiller dans le tiroir de ton bureau, celui destiné aux différents médicaments en ta possession, et sors un pilulier duquel tu récupères une pastille que tu avales avec un peu de salive. Tu refermes la porte de ta chambre discrètement, vas te servir un verre d’eau et retourne t’asseoir à côté d’Eizh sans mentionner ce qui vient de se passer. S’il te demande, libre à toi de lui expliquer que tu es allé prendre un anti-vomitif. Le médicament a des effets variables sur toi en fonction de la quantité d’angoisse et d’émotions fortes que tu as ressenti dans la journée, et de ton alimentation. Ce que tu oublies, c’est que tu n’as pas mangé grand-chose aujourd’hui, et que tu as ressenti une anxiété de fond tout l’après-midi pendant ton cours de langue médiévale. Ce ne sont pas des phénomènes notables, raison pour laquelle tu oublies de les remarquer. Cela signifie également qu’ils vont taper plus fort et plus soudainement que prévu. Tu pars du principe qu’ils vont te fatiguer progressivement et que tu prendras congé d’Eizh une fois que tu seras parvenue aux portes d’un sommeil sans rêves. Ils vont sans doute te rattraper au cours de cette discussion. Sur vos passions respectives. Au-delà de cette interruption médicamenteuse, vous découvrirez-vous des passions communes ? Tu t’installes et recouvres tes jambes d’un plaid, reposes les yeux sur lui. L’odeur de nourriture s’est atténuée. Te lever a fait râler ton estomac et enfler ta gorge mais te réinstaller apaise ces tensions. Tu lui souris.

- Où en étions-nous ?

Tu réfléchis à cette question en te réinstallant… ta soirée n’aura pas été complètement perdue, tu viens d’apprendre quelque chose à ton propre sujet : tu as, effectivement et contre toute attente, des passions. Peut-être que c’est encore un peu faible, mais ça viendra surement avec la guérison. Et puis après réflexion, tu as des gens avec qui les partager. Tu peux parler littérature avec Mordred, et si vraiment tu avais besoin de parler vêtements, tu pourrais te rabattre sur Lucas. Et, visiblement, avec ton colocataire ; c’est une surprise, tu ne sais pas encore si elle est bonne ou mauvaise, n’as pas suffisamment fait attention aux vêtements qu’il portait pour en tirer des conclusions sur ses gouts. Tu es cependant d’accord avec ce qu’il dit par rapport aux différents moyens d’expression permis par les vêtements. Tu te demandes le genre de boutiques qu’il fréquente, avant d’avoir une réalisation douce-amère : Vous pourriez aller faire les boutiques ensembles. Enfin. Il est sûrement fauché, comme une bonne partie des étudiants de l’Académie. Donc ça impliquerait d’aller chiner dans des commerces d’entrée de gamme. Ou l’emmener avec toi dans tes boutiques favorites, et lui payer ce qu’il veut… mais il ne te paraît pas le type à accepter ce genre de proposition, aussi belle soit-elle. Mmmh.

Il se fait tard, tu commences à imaginer comment sociabiliser avec ton colocataire. Alors qu’il n’est que ça, à l’origine : ton colocataire. Même si vous partagez l’amour des jolis vêtements… vous ne vous connaissez pas. D’un autre côté, c’est peut-être l’occasion d’apprendre justement si vous partagez plus que ça et s’il serait le bienvenu dans le cercle de tes connaissances. Tu prends note de surveiller comment évolue votre conversation. Si tu le juges digne de ton temps, tu lui feras la proposition d’une journée shopping. Il est mignon, avec sa maladresse, mais ça ne vaut pas grand-chose en soi. Et puis ça court le risque de devenir lassant, de l’entendre dire « mince » à tout bout de champ parce qu’il a fait tomber quelque chose ou de le voir sortir l’aspirateur pour ramasser des débris de verre. Il n’est pas aussi exubérant que Kira, ce qui, pour ce que ça vaut, est un point positif, mais il a sans doute des défauts que tu n’as pas encore eu l’occasion d’observer.

- Merci. Je fréquente quelques petites boutiques au centre. Le choix n’est pas infini, mais avec le temps on peut se bâtir une garde-robe variée.

Tu ne peux pas lui retourner le compliment, tu ne te souviens pas exactement de ses vêtements. Ce qui veut dire qu’il n’est pas un cas impossible, comme Mordred et Saph.

- Je ne suis pas particulièrement habile de mes doigts, et je ne sais pas non plus dessiner, donc la création ne sera sans doute jamais mon fort… mais ce n’est pas grave, ce que j’aime c’est chercher [i]la[/i] pièce qui me mettra en valeur ou qui se mariera bien avec le reste de mes vêtements. En plus, en ce moment, les couleurs qu’on voit beaucoup en magasins correspondent parfaitement à ce que j’ai envie de porter, c’est idéal. Et toi, où puises-tu ton inspiration et où fais-tu tes trouvailles ?

Il connaît peut-être des boutiques de seconde-main sur lesquelles tu n’as pas encore mis…la main. (J’étais obligée mais j’ai conscience que c’était mauvais, pas d’inquiétude).

Tu fronces les sourcils, peu satisfaite par sa réponse. Un peu tout, c’est vague, et surtout ça ne t’en dit pas long sur son style de façon générale. Scout t’a montré un outil incroyable, quelque chose qui s’appelle Pinterest, et que tu utilises pour créer des tableaux dans lesquels tu répertories des styles de vêtements qui pourraient te plaire, et dont tu te sers pour développer un peu ton imagination. Comme tu n’as pas de carte bleue tu ne peux pas faire d’achats en ligne, tu es obligée de te reposer sur celle de Lucas—ce n’est pas si terrible que ça en a l’air, tu ne peux simplement pas faire d’achats déraisonnés à des heures obscures de la nuit. Tu pourrais… tu pourrais le réveiller à deux heure du matin juste pour ça. Une nouvelle technique pour lui gâcher la vie. Le fait est que Pinterest te permet d’organiser tes envies et tes inspirations. A la fois pour des vêtements neufs, et pour des combinaisons à réfléchir avec des vêtements que tu possèdes déjà. Ça, couplé à ton sens inné du style, rend cet outil particulièrement performant. Tu décides de lui demander s’il connait l’application. Scout était surpris que tu ne connaisses pas, donc il y a de fortes chances que Eizh en aie également connaissance, mais dans le doute il découvrira quelque chose de tout bonnement nécessaire pour quiconque s’intéresse au style. Accessoirement, c’est une banque d’images incroyable en terme d’œuvres d’art disponibles à la vue de tous. Tu as rattrapé quelques années de retard en culture générale.

- Tu connais l’application Pinterest ? je l’utilise pour organiser un peu mes idées et en puiser d’autres. C’est très pratique. Tu peux à la fois suivre ce qui constitue la mode en ce moment, et garder en tête les indémodables. Et ça donne aussi des idées de maquillage, si c’est quelque chose qui te plait, et d’accessoirisation, ce qui peut faire ou défaire une tenue.

Tu reviens mentalement sur ce qu’il dit ensuite. Les classes d’aide. Tu as déjà été là-bas, quand tu as eu la bonne idée de faire une crise de panique dehors. Pas que tu saches mieux les gérer maintenant, mais au moins tu as de quoi les étouffer chimiquement si besoin, et un endroit ignifugé dans lequel te réfugier pour ne pas bruler quoi ou qui que ce soit d’autre. Toujours est-il que tu es déjà allé là-bas, ce qui fait que tu connais l’existence de cet endroit. Tu n’y as pas été inscrite d’office en arrivant ici, sans doute parce que tu es plutôt douée pour donner le change et laisser les adultes en contrôle croire que tu es, toi-même, parfaitement en contrôle.(Haha.) De tes pouvoirs, de tes émotions. Tu te demandes ce qu’il a vécu pour y avoir passé du temps. En plus de ça, s’il a dû être patient, il y est surement resté longtemps. Comme il n’a pas exactement l’air d’un délinquant, tu pars du principe qu’il a des difficultés ailleurs. Peut-être des troubles psy. Tu ranges cette information dans un coin de ta tête, ta curiosité piquée.

Peut-être que tu as vraiment une passion pour la mode, parce que ces pensées, couplées au médicament à action rapide, tu glisses doucement hors de la crise, pour penser à des choses plus gaies.

- Il y a beaucoup de genres différents. Je n’ai pas encore mes habitudes là-bas, mais certaines boutiques sont assez accordées à mes gouts. Bien sûr, les petites boutiques sont surtout genrées au féminin, mais c’est stupide. Tant que tu as la morphologie pour rentrer dans les vêtements en question, je ne pense pas que le critère du genre soit pertinent. D’ailleurs, tu pourrais rentrer dans une bonne majorité de ces vêtements. Si les styles plus « féminins » te correspondent, bien sûr. Les ambiances sont assez différentes, il y a de la variété dans le nombre. Je peux t’en montrer si tu veux. Sinon, il y a des boutiques de prêt-à-porter, beaucoup de fast fashion… Il y a une boutique avec des vêtements punk/gothique, mais ce n’est pas mon genre donc je n’y ai jamais mis les pieds. Il y a quelques petites échoppes qui vendent des bijoux assez originaux, aussi. Comme je te le disais tout à l’heure, ça peut être utile pour accessoiriser.


Dans le feu de l’action, tu as proposé à Eizh de lui montrer les boutiques en question. Tu ne t’en es personnellement pas rendu compte, absorbée que tu étais par ce que tu lui disais et ramollie par la fatigue post-crise et le début d’action de l’anxiolytique. Tes mots ont dépassé ta pensée et ta pensée est elle-même partie dormir ailleurs pour la soirée. Tu vas devoir trouver le temps d’accorder du temps à ton colocataire. Ne reste plus qu’à t’en rendre compte. Bien joué.

Tu le regardes partir, puis revenir. Visiblement, cette interaction lui aura apporté quelque chose. Il a l’air particulièrement heureux de ta proposition. Ta…proposition… Merde. Tu es presque sûre que tu ne viens pas de lui proposer de lui montrer comment se servir de Pinterest. Tu fais l’effort de revenir sur ce qui a été dit et repères ton erreur. Mh. Et maintenant, c’est sans doute trop tard pour revenir sur tes mots. Ça a l’air de lui faire plaisir, presque de le soulager et tu te demandes pourquoi une proposition aussi anodine a un effet aussi fort sur lui. Il n’a encore jamais été en ville ? ça expliquerait sa question sur les boutiques. Après réflexion ça parait assez logique, tu doutes que les élèves en classe d’aide aient été autorisés à se promener en ville. Bon. On considérera qu’il s’agira de ta B.A., ta Bonne Action annuelle. La plaie. Il y a pire, bien sûr, tu pourrais lui avoir proposé de visiter l’Académie, et là tu serais particulièrement ennuyée parce que ça n’aurait rien de passionnant ; faire les boutiques au moins, ça t’occupera pendant qu’il regardera tout, partout. Tu hoches distraitement la tête pour signifier que non, ça ne te dérange pas. Tu n’es pas sûre que vous partiez sur des bases bien saines, si ta communication fonctionne par le mensonge. C’est plus simple de passer pour une bonne personne auprès de lui qu’auprès de Kira ; comme elle t’agace, tu perds souvent la face en ayant envie de l’envoyer bouler. Le problème se posera beaucoup moins souvent avec Eizh. Tu espères, en tout cas, qu’il se posera beaucoup moins souvent. Sa question t’emporte vers d’autres considérations : le pauvre, il a encore tellement de choses à apprendre.

- Oui, bien sûr. Personne ne te l’interdira, et ça te donnera accès à un catalogue de vêtements beaucoup plus diversifié et personnalisé. Parfois il faut savoir montrer les dents quand les vendeureuses insistent sur le fait que tel ou tel vêtement ne t’est pas destiné, mais dans les faits iels sont satisfait.es de vendre leurs articles, peu importe le genre dula client.e. Il n’y a pas de règle, tu peux porter ce que tu veux et t’habiller où tu veux.

En fonction de ses moyens, mais c’est un détail. Avec l’héritage de Lucas, tout est dans tes moyens. Il vient de découvrir un monde entier de possibilités, avec la variété des vêtements créés pour les femmes, alors tu lui laisses un peu de répit pour se faire à l’idée. A lui jupes, robes et chaussures à talon. Tu en profites pour lui glisser :

- Tu sais, le maquillage aussi, tu as le droit d’en porter si ça t’intéresse.

Parce que c’est une autre donnée importante : il vient de gagner un espace pour exprimer sa créativité. Ça lui prendra surement un certain temps d’adaptation et, accessoirement, de maîtrise de l’outil, mais il aura de quoi faire avec toutes ces nouveautés. On poursuit dans les questions que tu as du poser il n’y a pas si longtemps que ça, dans le registre de la mode d’entrée de gamme.

- La fast fashion, c’est toutes les grandes enseignes vestimentaires bas de gamme ou entrée de gamme qui produisent beaucoup de collections de vêtements en très peu de temps, avec des budgets serrés et des tissus de mauvaise à moyenne qualité. Généralement leurs articles s’abiment vite, puisqu’ils sont fabriqués au plus faible cout possible, et les ouvrier.ères qui travaillent pour ces marques le font dans des conditions désastreuses. J’en parle parce que ça n’entre pas dans la catégorie de la mode éthique, de toute évidence, mais comme c’est produit avec pas grand-chose, c’est assez abordable contrairement à des vêtements cousus dans le coin. Souvent, les collections des enseignes de fast fashion plagient sans aucun scrupule d’autres créateurs, parfois même des petits créateurs, ce qui est particulièrement injuste, puisque leurs produits se vendent beaucoup moins cher que l’original, ce qui lui donne très peu de chance d’être vendu à un prix qu’on trouve bien trop élevé, alors que c’est juste un prix normal quand on regarde le cout de production.

Tu en as dit beaucoup. Pas sûr qu’il retienne tout ça, le but étant surtout qu’il comprenne que c’est pas le lieu idéal dans lequel acheter. Facile à dire quand on a plus d’argent qu’il n’en faut à dépenser. S’il veut aller chez H&M, tu l’emmèneras chez H&M. Et ensuite, tu bitcheras avec Mordred et Saph pour leur dire que vous auriez pu aller dans tellement de boutiques plus intéressantes. Même si tu doutes que Mordred et Saph compatissent réellement avec toi pour ce problème.

Une question se dessine en fond également, qui a de plus en plus de mal de s’articuler intelligemment depuis que les anxiolytiques font effets : d’où il vient ? Parce qu’il a été en classes d’aide, il l’a déjà dit, et tu ne penses pas que ce soit parce qu’il était un danger pour ses petits camarades ou un problème pour l’Académie. Ensuite, parce que le jour de son arrivée, il a eu l’air aussi perdu que toi vis-à-vis des références de Kira. Il manque de culture cinématographique, ne connait pas Pinterest—ce qui n’est pas un signe en soi, juste…quelque chose que tu ne connaissais pas non plus il y a peu. Il n’a visiblement pas mis les pieds en ville depuis son arrivée alors que c’est ce que font tous les autres élèves. Tout ça ne veut pas dire qu’il vient, comme toi, des usines à mages, évidemment, mais il pourrait avoir été élevé dans une famille coupée du monde, dans une société écartée… La question se pose, mais comment ? difficile de balancer à ton nouveau colocataire que, quand même, il ne correspond pas à la norme des élèves ici—et quelle norme, presque personne n’est normal.e à Leoska—et que ça te questionne. En plus de ça, si tu lui demandes maintenant, tu ne te souviendras plus de sa réponse—bien que de ça, tu n’aies pas conscience. Ce serait dommage de poser une question aussi importante et de l’oublier complètement. Et puis, tu es curieuse… mais probablement pas au point de lui poser des questions aussi personnelles. Ce serait le meilleur moyen de les voir se retourner contre toi. Et toi, tu étais où avant Leoska ? Haha, bonne question, comment se sortir de ça sans se piéger soi-même avec des mensonges dont tu seras incapable de te souvenir ? Non, tu vas laisser les choses venir et si tu dois obtenir une réponse, alors ça viendra. Chaque chose en son temps, et le temps pour l’instant est de parler de vêtements, ce qui est, apparemment, ta passion. Et peut-être la sienne. Future-sienne.

Réaction appropriée à ton exposition des problèmes de l’industrie du vêtement. Tu hoches la tête. Lamentable, en effet. Tu connais le travail forcé, et tu ne peux pas cautionner et financer l’exploitation d’autres êtres humains. Le problème est pernicieux, cela dit, parce que cette industrie est, comme beaucoup d’autres, une chaine de différentes transformations de matière pour aboutir aux articles vendus dans les magasins. Ça commence par l’exploitation des travailleurs pour créer ou transformer la fibre en fil, puis en tissus, puis en vêtements. Il y a surement d’autres étapes entre ces trois étapes fondamentales. Tu es fatiguée. En plus, la plupart du temps ce sont des étapes polluantes, entre les produits chimiques utilisés et le transport de tout ce beau monde. Bref, s’habiller de façon éthique est particulièrement compliqué. Ne pas participer à la fast fashion est une chose, mais il y a toujours le problème de la récolte des matières premières, la fabrication du tissus, l’écologie qui en souffre… et pendant ce temps, il faut que tu répondes à ses interrogations.

- Il y a plusieurs solutions pour ça… La première, c’est d’aller en friperie. Ce sont des magasins qui vendent des vêtements de seconde main, qui ont été revendus ou donnés et qu’on peut acheter à un prix réduit au lieu de les détruire et de produire de la pollution en plus… Il y en a quelques-unes dans le centre, certaines plus chères que d’autres, mais toujours moins chères que dans les magasins de vêtements neufs. On devrait trouver quelque chose qui correspondra à la fois à tes gouts et à tes moyens. Sinon, la solution de facilité si tu sais t’y prendre : le vol... Si tu décides de voler, on peut tout à fait aller dans les grandes enseignes, c’est là que ce sera le plus simple. Voler à des grandes enseignes c’est l’inverse de participer à l’exploitation et la pollution qu’elles engendrent... Les vêtements seront de moins bonne qualité, mais ils seront gratuits, et je pense qu’on peut considérer ça comme un acte militant, du coup.

Pas sûr qu’il soit partant pour la deuxième option mais c’est de loin la plus abordable et, également, la plus distrayante. Et ça, ça vous ferait un vrai point commun. Tu serais plus à l’aise en sa compagnie s’il montrait qu’il a également des valeurs un peu bancales.

Il a l’air de réfléchir à un problème particulièrement épineux. Tu le laisses formuler sa question. Il pose beaucoup de questions. C’est… plutôt positif, parce qu’il a l’air d’avoir envie d’apprendre. Un peu fatiguant parce que ça te force à réfléchir et c’est de plus en plus compliqué. Ta voix traîne un peu par moments. Tu mets plus de temps pour trouver tes mots.

- C’est une question pertinente, mais assez complexe… Si tous les consommateurs arrêtaient d’acheter de la fast fashion… les ouvriers perdraient leur emploi, et dans les pays pauvres où ils sont produits l’industrie du textile fait généralement partie des premiers générateurs d’emplois... En plus, la majorité de ces emplois sont occupés par des femmes, et… même si elles sont payées une misère, elles perdraient en autonomie si elles perdaient leur travail... D’un autre côté, c’est un travail particulièrement éprouvant, qui provoque de vraies souffrances. De l’exploitation… Si les prix augmentaient leurs salaires pourraient augmenter mais ce ne serait pas le cas, parce que derrière les marques il y a des actionnaires qui profitent des gains engendrés à la place des employés… Si on arrêtait d’acheter de la fast fashion, beaucoup d’emplois seraient perdus… Les marques seraient obligées de revoir leurs priorités. Ce serait une profonde respiration pour la planète, et ça n’impacterait pas les pays européens, mais tous les pays pauvres sur lesquels on s’appuie seraient dans une situation très délicate… Il n’y a pas de bonne réponse à ce problème : d’un côté c’est de l’exploitation, de l’autre la pauvreté serait encore plus importante, mais ces personnes ne se tueraient pas à la tâche pour quelques miettes de pain…

Tu étouffes un bâillement dans la paume de ta main. La question de l’exploitation est vraiment compliquée, trop pour un soir de crise d’angoisse et d’anxiolytique. D’un autre côté, elle t’emporte vraiment hors de toi et te permet de penser à autre chose, à quelque chose d’important en plus.

- Et on ne sait pas dans quelle mesure cette exploitation s’applique aux mages des usines. Qu’est ce qui nous dit que dans certains pays ils ne sont pas ceux qui sont forcés de produire ces vêtements ? à se détruire la santé avec les produits chimiques employés, le dos à être courbés sur des machines à coudre, les yeux et les doigts… enfin bref. Tu as compris l’idée, c’est un vrai problème philosophique qui se pose quand on y réfléchit d’un peu trop près… un point positif, cependant, c’est que la question ne se posera pas si on ne va que dans des friperies, puisqu’on contourne le problème en n’achetant pas neuf.


Mince, tu aurais du garder cette remarque pour toi. Il aurait pu être dégouté de l’idée de faire les magasins et tu n’aurais pas eu à le promener en ville. Trop tard, avec la fatigue tu prends trop de temps pour réfléchir.

Nouvelle question, qui te surprend. Mh. Au moins il s’exprime quand il ne comprend pas quelque chose au lieu de bêtement attendre que le moment passe sans rien apprendre. D’un autre côté, tu as beaucoup parlé déjà, et tes explications s’embrouillent un peu dans ton cerveau pâteux.

- Le plagiat, verbe plagier, c’est quand on copie quelque chose que quelqu’un a fait. Sans citer cette personne. C’est quand on copie quelque chose et qu’on gagne… les bénéfices. Qu’on gagne de l’argent au détriment de la personne qui a créé la chose à l’origine, en lui volant des clients généralement.

Tu lui feras un powerpoint demain, si il n’a toujours pas compris. Tu le regardes et te disque finalement, vous avez trouvé de quoi parler. D’un côté c’est important qu’il sache tout ça, de l’autre tu espères que ça ne lui fera pas changer de point de vue vis-à-vis de son appréciation de la mode. Il y a besoin de plus d’élèves bien habillés dans l’Académie. Quand vous ne portez pas l’uniforme.

Sa réaction t’intrigue, il rougit et semble se désintéresser complètement de ce que tu lui dis l’espace d’un instant. C’est sans doute un sujet sensible. Il connait peut-être des gens qui y ont été envoyés. Ou, encore une fois, il est peut-être la personne qui y a été envoyé. Tu lisses ton expression, ce qui est de moins en moins compliqué vu que la fatigue gagne tes traits. Essaies de te concentrer sur sa question. Elles se compliquent avec le sujet, et tu passes complètement au dessus de son « on » pour parler des mages des usines. Encore une fois, ça peut être une simple façon de parler. Puisque tu ne t’en rends pas compte, tu ne peux rien en faire. Tu te contentes donc de formuler une réponse. Sur le concept de problème philosophique. Haha. Comme si tu avais l’énergie pour ça, tiens.

- Philosophique ne veut pas dire que ça n’a pas d’impact sur le réel… C’est un problème philosophique parce que c’est un problème moral et la morale est une des notions phares de la philosophie. Cela étant dit, effectivement ça a un effet sur les personnes, notamment sur les mages… et c’est un problème parce que le plus souvent c’est presque impossible de consommer quelque chose qui ne soit pas issu de l’exploitation humaine. Ou animale. C’est une toute autre question…

Et peut-être pas le moment de la soulever. C’est bien pour lui, qu’il apprenne des choses aussi importantes, mais ce n’est pas exactement le moment pour une telle conversation. Même si elle a le mérite de te changer complètement les idées et d’effacer l’arrière-gout d’angoisse de tes papilles métaphoriques. Tu hoches la tête à ses remerciements et hausses les épaules.

- Si tu as des questions auxquelles je suis capable de répondre, je préfère le faire. Je n’aime pas quand je n’obtiens pas de réponses à mes propres questions alors que les personnes à qui je parle pourraient m’aider si elles en avaient envie… je suis fatiguée, et j’ai un peu de mal avec mes mots… mais je peux répondre si tes questions ne se compliquent pas... En plus, je me sens un peu mieux maintenant que mes idées ont changées. Plus fatiguée, mais plus détendue... J’irai me coucher quand je serai sûre que mon anxiété ne remontera pas.

Oui, puis raconte lui pourquoi tu fais des crises de panique aussi, comme ça il saura quelque chose que même tes meilleurs amis ne savent pas, et tu n’auras pas de souvenir de le lui avoir révélé une fois réveillée demain matin. Quelle bonne idée.

Oui, s’il n’était pas au courant de toutes ces joyeusetés, ça doit faire beaucoup à avaler d’un seul coup. Tu te demandes les raisons pour lesquelles il ignorait tout ça, d’ailleurs : il préfère faire l’autruche ou il n’y a juste jamais réfléchi ? Ou alors, et c’est l’hypothèse sur laquelle tu commences sérieusement à pencher, il ne sait pas grand-chose parce qu’il n’a pas eu l’occasion d’apprendre grand-chose. Probablement en raison d’un passé tragique qui ressemblerait au tien ; maintenant, l’objectif est de trouver un moyen de poser la question sans qu’il puisse te répondre en te lançant la balle. Selon la réponse qu’il te donnera, d’ailleurs, parce que s’il répond à l’affirmative, tu n’auras pas de raison de mentir : il ne te regardera pas avec pitié s’il a vécu les mêmes choses que toi. Seulement, il ne faut pas louper le coche : si tu ne le lui demandes pas, tu ne sais pas quand l’occasion se représentera. Peut-être qu’il veut garder ça pour lui, mais tu peines à réaliser ça, et avec la fatigue ta curiosité prend le pas sur ton sens de la bienséance. Tu te dégages de ta couverture et de ta bassine, pour te tourner vers lui avec un air sérieux, probablement un peu sombre. Il te signale sa fatigue. Vas-tu respecter ses besoins et le laisser aller se coucher ? ha. Non. Tu dégages tes cheveux de ton visage, plantes tes yeux dans les siens.

- Non, ne t’en fais pas pour moi, je ne vais pas t’empêcher de dormir… Seulement, j’ai une question pour toi… tu n’es pas obligé d’y répondre, évidemment, c’est juste…je vais poser ma question, et je te laisse choisir de me répondre ou non, d’accord ?

Comment amener ça délicatement ? le summum de la délicatesse serait de ne pas poser la question. Et tu es délicate, mais tu es aussi fatiguée, et sous influence d’un puissant anxiolytique. Tu inspires, puis te lances :

- Tu viens des usines ?

C’est un peu brutal. Mais ça a le mérite d’être clair. Tu te penches en avant, les mains posées sur les genoux. Tu essaies d’afficher une moue neutre, pas de pitié qui dégoulinerait de ton regard, pas de jugement.

Sa réaction n’est pas exactement surprenante, mais tu ne t’attendais pas à ce qu’il témoigne une telle panique à la question. Elle est invasive, tu t’immisces totalement dans sa vie privée, de la colère aurait été compréhensible, une fermeture peut-être, du chagrin…mais pas de la panique. Tu secoues la tête, fait preuve d’une rare compassion et fais un geste d’apaisement, les deux paumes de mains en avant pour lui faire signe de prendre une respiration, de se poser.

- Non, non, tu n’étais pas obligé.

Tu ne l’as pas dit à tes petits camarades non plus, tu ne vas pas lui reprocher son silence, quelles que soient les raisons de celui-ci. Tu peux comprendre qu'il n'ait rien dit : tu n'as, toi-même rien dit à Kira. Il ne manquerait plus que ça. Tu reposes tes mains sur tes genoux et essaie de le regarder avec moins d’intensité, peut-être qu’un contact visuel trop prolongé pourrait ne pas aider. En tout cas, ça ne t’aide pas quand tu commences à paniquer.

Familière. On peut dire ça. En plus d’être très mal placée, ta curiosité va te couter : qu’est-ce que tu es censée faire, lui mentir ? ce serait un peu déloyal—tu n’es pas au-delà de ça—mais ce serait surtout perdre une occasion d’en parler à quelqu’un qui pourrait, éventuellement, comprendre ce que tu as toi-même vécu. La question, maintenant, est de savoir si tu as envie que cette personne soit Eizh. Il est gentil—ce qui fait d’ailleurs partie des raisons pour lesquelles tu hésites à te confier à ton tour—mais il est maladroit, il pourrait placer ça à un moment inopportun. Mais encore une fois, les élèves qui sortent des usines ne font pas d’annonce publique pour parler de leur passé traumatique, tu ne sais pas qui a vécu la même chose que toi, et tu ne sais pas si tu parviendras à trouver qui que ce soit avec qui échanger. Tu ne peux pas exactement faire la fine bouche. Et puis quelle autre option se présente à toi ? t’infiltrer dans le bureau de l’infirmière pour avoir accès aux dossiers des élèves ? bah voyons, il faudrait être particulièrement stupide pour essayer quelque chose comme ça. Non, tu vas devoir prendre sur toi. Tu hoches la tête et noues tes doigts les uns aux autres. Aller. Il a fait le plus difficile—même si tu l’as techniquement forcé à le faire—tu peux prendre la relève.

- Oui, malheureusement. J’y ai passé dix ans... On peut dire que je suis familière avec le sujet, haha. J’ai fait une crise de panique, ça m’arrive parfois quand je vais me coucher, je ne t’apprends rien, c’est pour ça que je me suis installée ici... Ça arrive parfois, ce n’est pas particulièrement grave, juste déplaisant et incapacitant… Mais j’ai pris de quoi m’assommer, donc le problème ne devrait pas durer.

Tu en as déjà révélé beaucoup, alors tu redeviens silencieuse. La fatigue t’embrouille un peu et tu ne vois pas ce que tu pourrais ajouter d’autre de toute façon. Penser aux camps fait habituellement ressortir des choses assez douloureuses mais avec l’anxiolytique que tu as pris, son effet rapide et assez puissant, tu ne ressens qu’un malaise un peu pesant. Si tout se passe bien, tu devrais bientôt tomber de fatigue et la question ne se posera plus.

Tu n’es pas sûre que « cool » soit le terme le plus adapté mais tu comprends ce qu’il veut dire par ça, et hoches la tête. En effet. Vous n’avez probablement pas vécu les mêmes horreurs mais dans l’ensemble, ça devait être assez similaire. La souffrance est sans doute équivalente, et ses traumatismes doivent se rapprocher des tiens. C’est un point commun…complexe. Pas quelque chose dont tu as envie de parler, et vu sa réaction, il semble être dans le même cas. Il te fait un geste pour signaler que tout va bien. Tu n’y crois pas une seule seconde. Tu es tentée de lui proposer un anxiolytique—après tout, tu es un peu responsable de ce soudain malaise, tu as abordé le sujet—mais tu ne sais pas quelle attitude employer. La dernière fois que quelqu’un a tenté de t’aider quand tu faisais une crise de panique… tu grimaces, les souvenirs faisant remonter quelque chose comme de la culpabilité pour l’arsenal qui a été déployé pour te calmer et, surtout, pour s’occuper de l’infirmière. Que tu as blessée. De la culpabilité, complètement. Et un certain instant de préservation. Mais si tu essayais de l’aider, tu ne vois pas ce que son pouvoir pourrait te faire. T’enfermer dans une boite transparente ? tu as des problèmes de claustrophobie mais tu ne sais pas comment ça se déclencherait avec une boite invisible. Savoir que vous avez vécu une expérience similaire te rend empathique vis-à-vis de son angoisse. L’autre problème, c’est que tu as peur que sa réaction provoque un nouveau pic d’anxiété qui dépasserait la fatigue induite par le médicament que tu as pris.

Quelle idée, demander ce genre de chose au beau milieu de la nuit. Sans te douter que ça aurait ce genre de réaction. Pour quelqu’un qui s’enorgueillit de son intelligence émotionnelle, tu t’es bien mise dans le pétrin. Tu fermes les yeux, serres les poings et plantes tes ongles dans tes paumes pour essayer de t’ancrer dans le moment, pour trouver quelque chose à dire. Dans les faits, ta tête penche sur le côté et tu as du mal à rouvrir les yeux. Et tu n’as pas plus d’idée que ça pour l’aider. Mettre tes mains devant son visage pour lui signaler qu’il n’est pas seul ? pas sûre que ça fasse grand-chose. Tu décides d’improviser un discours d’encouragement, parce que tu n’es visiblement pas à une mauvaise décision près ce soir.

- Eizh. Tu peux me trouver cinq choses rouges autour de toi ?

Bon. C’est un exercice d’ancrage, histoire qu’il ne parte pas dans une spirale qui l’entrainerait à des années lumières de l’instant présent. Qui n’est pas particulièrement plaisant, mais toujours mieux que dans le passé dans lequel il est en train de retourner. Tu décales ta bassine et le regardes sérieusement. Tu n’aimes pas être responsable de quelqu’un d’autre, en particulier quelqu’un comme Eizh. Il a l’air… doux, délicat. Tu n’as pas envie de prendre le risque de le casser, les répercussions seraient vraiment déplorables—et maintenant que tu sais que vous avez ce point commun, tu te sens un peu plus intéressée à son encontre. Tu as mal calculé ton coup et ça te retombe en plein sur le coin du nez, entrainant ton colocataire dans ta bêtise au passage. Tu peux dire de Kira, tu n’es pas forcément plus maligne quand il est tard et que tu as des molécules de calme artificiel dans le sang.

Il prend son temps, et tu as peur qu’il soit trop enfoncé dans son état d’angoisse pour réussir à se concentrer sur ce qui l’entoure, mais finit par te désigner plusieurs objets. Tu ne prends pas la peine de vérifier qu’ils sont bel et bien rouges, tu n’en as pas grand-chose à faire et là n’est pas le but de l’exercice quoi qu’il arrive. Le forcer à regarder autour de lui peut durer longtemps, tu pourrais lui demander d’énumérer les objets dont le nom commence par un B, ou les affaires qui lui appartiennent dans le salon, mais si l’exercice se poursuit, il va finir par perdre de son sens. Ce n'est qu’un début, il permet de se décrocher rapidement de la spirale, mais il faut aller plus loin. Et profondément un peu plus fort. Tu secoues la tête. La sensation physique du froid peut le détacher de ses pensées, et tu as un plaid à disposition.

- J’ai rarement froid.

Sauf quand tu utilises un peu trop ton pouvoir et que tu te déclenches de la fièvre. Comme tu leur as dit, tu fais attention à ne pas trop utiliser ton pouvoir. Faire chauffer du thé ou des repas fonctionne bien pour ne pas devenir rouillée, et augmenter ta température corporelle quand il fait froid dehors sont des utilisations assez neutres, qui ne te provoquent pas de gros contrecoups. Mais la fièvre et l’hypothermie qui sont parfois provoquées quand tu t’en sers sont assez désagréables. Ce n’est pas un sujet très intéressant, tu doutes de pouvoir lui changer les idées en faisant état de tes facilités et difficultés surnaturelles. De toute façon, il trouve lui-même de quoi parler. Pas une question des plus passionnantes, et pas quelque chose auquel tu aies une réponse toute prête prévue à cet effet. Tu ne t’es jamais posé la question. Tu regardes dans la même direction que lui. Réfléchis quelques instants pour trouver quelque chose à répondre. Tu gardes pour toi l’évident « je n’aime pas trop la nuit parce que c’est le moment où mes angoisses sont les plus violentes et je ne suis pas une grande adepte des heures d’insomnies passées à tourner et re-tourner dans mon lit ». Le jour, donc, mais pour quelles raisons ?

- La lune et les étoiles sont plaisantes à regarder, mais je préfère la journée à la nuit… J’aime sentir la chaleur du soleil sur ma peau—même si je peux me tenir chaud moi-même, les rayons du soleil ont quelque chose de réconfortant… Et je trouve qu’il y a plus de choses à faire de jour. Entre les heures de cours, et les moments passés à la bibliothèque, mais aussi passer du temps entre amis ou dans des boutiques ou des cafés… la nuit, je ne sais pas quoi faire si ce n’est lire, et c’est une activité plus plaisante à la lumière naturelle.

C’est à ton tour de poser une question, maintenant. Si tu avais plus d’énergie, ce serait sans doute plus facile. En l’état, tu ne sais pas sur quoi te rabattre. Tu te débats intérieurement pour trouver quelque chose, n’importe quoi, qui fasse l’affaire. Tes souvenirs de votre conversation sont flous. Tu pourrais lui parler de quelque chose qu’il aime. Il a fait mention des requins, et de la mode. Peut-être d’autre chose, mais rien ne te vient. Réfléchis, Aprilynne. Puis, l’inspiration. Si on peut appeler ça comme ça.

- Tu as dit que ça faisait un an que tu étais là, et tu n’es jamais allé en ville. Qu’est-ce que tu fais de tes weekends habituellement ?

A ta plus grande surprise, tu vas apprendre à connaître ton colocataire. Ce n’était pas prévu, il était censé rester une ombre, une silhouette sur laquelle mettre un prénom. Une personne de peu de conséquence. Dans les faits, il est allé aux camps, et ça fait immédiatement de lui une personne plus intéressante. Mais au point de lui demander ce qu’il fait de ses journées ?