Tu t’es magnanimement proposée pour faire visiter les boutiques de vêtements du centre-ville à ton colocataire. Il était tard. Tu étais fatiguée. Tu sortais d’une crise d’angoisse. Tu avais pris un anxiolytique. Tu n’étais, en définitive, pas en pleine possession de tes esprits. Mais une fois la proposition lancée, difficile de revenir dessus. Désolée, je ne sais pas ce qui m’a pris, je ne m’intéresse pas assez à toi pour une virée shopping. Passe une bonne journée ! Non. Ça ne marche pas comme ça. Pas quand tu vis dans le même appartement que Eizh, et que tu auras à croiser son regard de chiot à qui l’on vient de mettre un coup sur le coin du museau. Non.

Tu tapotes le coin interne de ton œil du bout du majeur, sur lequel tu as déposé du fard à paupière vert très pâle, clair et irisé. Réitères l’opération sur ton deuxième œil. Fronces les sourcils dans le reflet du miroir, ennuyée d’emblée par la proposition. Il n’est pas méchant, et c’est plutôt agréable d’avoir des points communs avec son colocataire, dieu seul sait à quel point ce n’est pas le cas avec Kira, mais… il est gentil. Vraiment gentil. Et ton type de personne c’est plutôt… Mordred et Saph, occasionnellement Scout. Des gens comme toi, avec un sens moral un peu scabreux. Qui se la jouent perso. Avec des valeurs différemment paramétrées. Et Eizh, d’après ce que tu as pu voir… ne correspond pas à ces critères. Il te surprendra peut-être aujourd’hui, mais tu vas le voir avec un regard sobre et moins bienveillant que l’autre soir, quand tout un tas de facteurs jouaient tant bien que mal à son avantage. Ce n’est plus le cas. Tu vas devoir composer avec ce nouveau point de vue. Et ne pas trop le brutaliser. Ça reste une journée shopping, c’est toujours plaisant. Et ça te permettra de découvrir ses gouts. Peut-être que vous réussirez à composer ensemble, ou qu’il t’apprendra le vrai sens de l’amitié et de la bienveillance. Il y a des doutes pour que ça prenne, mais il gagnera des points pour avoir essayé.

Tu passes les mains dans tes cheveux détachés, les secoues légèrement pour leur redonner du volume et quittes enfin ton image. Tu prends le sac à main posé sur ton bureau, vérifies qu’il contient bien de l’argent, ton téléphone et un baume à lèvres, et sors de ta chambre pour attendre Eizh dans le salon. Tu as une idée du chemin que vous allez prendre, l’as planifié en avance dans tes pensées. Des boutiques cozy, assez fournies pour que les prix ne soient pas trop impressionnants et occasionnellement assez peu surveillées pour que tu puisses satisfaire tes plaisirs coupables sans risquer grand-chose du point de vue de la sécurité. Probablement un arrêt dans un café à un point ou un autre de l’après-midi pour faire une pause. Tu lisses des plis imaginaires sur ton chemisier avant d’aller chercher une paire de bottines fleuries, assorties à ton fard à paupière, t’assieds sur une chaise dans le salon et les enfiles. Eizh n’est pas en retard pour l’instant, et tu prends le temps d’également lisser ton expression. Certes, la journée promet d’être moins enrichissante que celle que tu as passé à rhabiller Saph et Mordred, mais il n’y a pas de raison qu’elle soit ennuyeuse pour autant. Ça reste des boutiques de vêtements. Quelque chose que tu aimes faire. Et l’argent de Lucas dans ton portefeuille, durement gagné et prêt à être dépensé pour ton propre bénéfice. Voilà, un léger sourire. Tout devrait se passer à merveille.

Tu te lèves quand il arrive dans la pièce, pimpant mais, malheureusement, pas encore prêt, et te rassois quand tu vois qu’il n’est pas près d’avoir fini. Tu relèves pour attraper une tasse, un infuseur à thé et une boîte de thé au hasard. Genmaicha (température d’infusion 70°C, durée d’infusion, deux minutes). Tu chauffes l’eau d’une main, prépares un minuteur de l’autre, et te rassieds pour l’observer tandis qu’il s’affaire. Quand ton téléphone se met à vibrer tu sors l’infuseur, le déposes sur une soucoupe et sirotes ton thé. Tu regardes l’heure du coin de l’œil pour jauger le retard qu’il accumule, tâche après tâche. Ta patience est fine comme tu papier, et cette perte de temps t’agace, tu aurais pu passer quelques minutes de plus à sélectionner ta tenue—un pantalon taille haute, fluide, rose pâle et un chemisier ample, blanc cassé avec un col en dentelle, tenue impeccable, assortie au rose de tes cheveux et de tes lèvres, bottines assorties à ton fard à paupière, maquillage précis, cachées les taches de rousseur, accent mis sur tes pommettes avec un enlumineur doré. Tu sors ton téléphone, ouvres Pinterest et fait défiler les images tranquillement tandis qu’Eizh égraine les minutes avant d’être enfin prêt.

Quand il revient, enfin, tu te lèves et effaces l’agacement de ton visage du mieux possible. Si tu ne le fais pas il sera mal à l’aise, ce sera gênant et aussi désagréable pour toi que pour lui. Difficile, quand il tourne les talons en direction de sa chambre. Soupir. Tu vas laver ta tasse et l’infuseur, prends tes clés, l’attends, et le laisses sortir avant de verrouiller la porte de l’extérieur. Tu réponds à ses questions en te dirigeant vers la sortie. C’est bien, ça va meubler le silence et te facilitera la tâche—ne pas l’air d’avoir envie de l’étrangler. Tu hausses les épaules. Un samedi…

- Je pense, oui. On est samedi, il y a souvent de l’affluence ce jour-là. Les gens viennent faire les boutiques et ils en profitent pour prendre des cafés ou des pâtisseries, s’arrêter dans les parcs, faire du lèche-vitrine… mais on ne devrait pas se perdre de vue pour autant.

Tu meurs d’envie de forcer les traits, pour le décourager un peu, mais il serait capable de changer d’avis et de refuser de t’accompagner et tu aurais attendu pour rien pendant vingt minutes. Tu dois te rappeler que tu vis avec lui désormais, et que ça pourrait être pas mal d’avoir un allié le jour où Kira voudra faire quelque chose de vraiment profondément stupide dans l’appartement. Tu sais que ce jour viendra. Tu le sais depuis qu’elle a fait sauter la serrure de l’appartement. Alors tu te contentes de hocher la tête et de le diriger hors du bâtiment.

- Pourquoi pas… peut-être qu’iels auront de la teinture rose, je commence à manquer.

Et c’est le lieu idéal pour piquer des vernis à ongles, mais tu gardes cette information pour toi. Tu glisses tes clés dans ton sac à main et navigues jusqu’aux grilles de l’Académie sans regarder par-dessus ton épaule pour vérifier qu’Eizh te suive. Tu ne vas pas assez vite pour le semer, de toute façon. Une fois arrivée aux limites de l’Académie, tu prends la peine de jeter un regard à Eizh. Il était excité quand vous êtes sorti.es de chez vous, mais la perspective de plonger au cœur de la ville peut l’avoir refroidi à mesure qu’elle s’est approchée. Tu ne sais pas si tu seras capable de lui procurer les mots d’encouragement nécessaires si c’était le cas.

Quand tu le regardes pour acquiescer et lui donner ton numéro de téléphone, tu remarques qu’il n’a pas l’air bien. Tu te demandes s’il a lu ton agacement dissimulé sur ton visage ou dans tes gestes, ou s’il a juste vraiment peur de se perdre. Puisqu’il sort son téléphone, tu lui tends la main paume vers le haut pour qu’il y dépose l’appareil et que tu puisses y rentrer ton numéro. Il s’exécute avec son adresse habituelle—tu as fini par accepter le fait qu’il aura toujours autant d’aisance—et tu prends quelques secondes pour te familiariser avec l’interface. Pas qu’elle soit particulièrement complexe et éloignée de la tienne, mais les logos ne sont pas les mêmes et tu n’as eu qu’un seul téléphone en tout et pour tout dans ta courte vie, donc tu as besoin d’un temps d’adaptation. Une fois le contact ajouté, tu t’envoies un simple « . » pour pouvoir enregistrer le numéro d’Eizh à ton propre répertoire et lui rends sa propriété. Tu hésites à lui offrir des paroles réconfortantes. Elles ne te viennent pas naturellement et tu ne sais de toute façon pas quoi lui dire. « Tout va bien se passer ? » c’est une virée shopping, pas une prise de sang, tu n’as pas de phrases toutes faites dans cet optique. Tu choisis de rester silencieuse. Au moins il a l’occasion de se préparer psychologiquement, même si ça ne va pas représenter grand-chose quand il sera dans un magasin bondé.

Tu hoches la tête. Tu peux comprendre son anxiété, tu as été à sa place, tu as vécu ça, tu sais que ce n’est ni facile ni agréable. Vous auriez du trouver un autre jour pour faire ça, ç’aurait été plus compliqué d’aligner vos emplois du temps, mais tu ne courrais pas le risque de devoir le gérer en pleine crise de panique. Enfin, maintenant vous êtes lancé.es. Tu as conscience de la responsabilité que tu as dans cette affaire, s’il lui arrive quelque chose. Tu espères que l’appréhension ne se transformera pas en angoisse. Mh. Tu vas essayer de le garder dans ton champ de vision, ce n’est techniquement pas ton problème s’il décide de sortir alors qu’il n’est pas prêt mais dans les faits vous vivez ensembles et tu t’en voudrais d’avoir laissé un mage tout seul en ville en pleine crise. On ne sait jamais ce qu’il pourrait lui arriver.

- Je connais des salons de thé et des cafés assez peu fréquentés, on pourra faire une pause entre deux boutiques si tu te sens trop étouffé par le monde.

Un temps de battement. Tu reviens sur ta décision de ne pas lui procurer de mots d’encouragement. Tu aurais aimé que quelqu’un soit là pour te prendre par le bras la première fois que tu t’es aventurée en ville. Tu fronces les sourcils.

- Je sais que… mh. Je sais que ça peut paraître impressionnant. J’ai mis du temps avant de m’habituer à la foule, mais l’anticipation est pire que la réalité. Et j’ai remarqué que je me sentais mieux quand je n’étais pas toute seule. Ça permet de se changer un peu les idées quand il y a trop de monde autour.

Et puisque l’anticipation est pire que la réalité, autant le faire dépasser ce stade. Tu empruntes le chemin habituel par lequel tu te rends en ville. Pas besoin de vérifier qu’il te suit bien, tu sens sa présence. Son anxiété est presque communicative et tu commences à triturer ta manche pour essayer de canaliser ça. Tu hoches à nouveau la tête, réponds tranquillement à sa question tout en continuant à avancer :

- Oui. J’y vais surtout en semaine, pour esquiver le plus gros de la foule, généralement au moins une fois par semaine pour avoir l’occasion de voir toutes les pièces des collections saisonnières. Et pour faire le plein de produits capillaires, une couleur aussi claire demande beaucoup d’entretien.

Puisqu’il a probablement posé la question pour se changer les idées, tu essaies de poursuivre la conversation et lui donner un sujet sur lequel se concentrer jusqu’à ce que vous arriviez à la boutique de coiffeur.

- Tu as une idée de ce que tu cherches, ou tu aviseras sur le moment ?

Tu laisses ton regard se promener naturellement d’une devanture à l’autre, avant qu’Eizh ne te rappelle à lui en te demandant de réitérer ta question. A peine agaçant, mais tu t’exécutes.

- Tu sais déjà ce qu’il te faut ou tu vas y aller au coup de cœur ?

La réponse n’est pas particulièrement utile ; éventuellement elle pourrait te donner une idée des boutiques dans lesquelles l’emmener, mais dans les faits, c’est surtout pour faire la conversation. Tu es douée pour ça, mais tu vas avoir du mal à continuer de maintenir la discussion s’il n’arrive pas à retenir ce que tu lui dis ou demandes. Ce qui est assez injuste de ta part, parce que tu n’es pas particulièrement investie dans cet échange quoi qu’il arrive. Tu n’aimes juste pas te répéter.

Puisqu’il voulait voir une boutique dans laquelle seraient vendues des colorations pour cheveux, c’est là que vous vous dirigez. Tu lui indiques le rayon en question, mais il semble n’avoir rien entendu, trop concentré à renifler les bouteilles de shampoing. Il t’en désigne une que tu respires de mauvaise grâce. Sucré. Pas désagréable. Tu lui fais une moue d’approbation, hoches légèrement la tête et essaies de passer à autre chose, mais il semble concentré sur les senteurs des produits capillaires. Il est au bon endroit pour ça. Sa réaction te questionne. Est-ce qu’il utilise des shampoings et des savons neutres ou aux odeurs classiques de propre ? quelle tragédie. Il va falloir remédier à tout ça. Tu as un nouveau plan d’action en tête : lui trouver un shampoing et un gel douche, ainsi qu’un parfum. C’est aussi important que les vêtements que quelqu’un porte, ça marque autant les esprits que l’aspect visuel. Tu remarques au passage que son niveau d’anxiété semble s’être stabilisé. Bien, l’activité que tu vas lui proposer devrait donc bien se passer.

- Tu connais le concept de signature scent ?

Probablement pas.

- C’est tout aussi important que le visuel. Les gens qui te croiseront seront frappés par ton odeur. Avec les produits classiques, tu n’as pas une odeur particulièrement marquante. Mais avec des produits comme celui que tu as dans la main, tu peux dégager une odeur originale. Tu peux choisir un shampoing ou un gel douche qui sentiraient quelque chose qui te correspond, ou bien un parfum—même si c’est plus cher, on peut toujours y réfléchir si ça t’intéresse. Par exemple, j’utilise un gel douche qui sent la fraise et un shampoing et un après-shampoing qui sentent le miel. Comme ce sont des odeurs légères, je porte aussi un parfum, tout le temps le même. C’est ma signature scent. Tu n’y fais peut-être plus attention parce qu’on vit ensemble donc tu dois la sentir souvent, mais c’est l’odeur que j’ai choisie. On peut chercher ça, et si tu ne trouves rien ici il y a d’autres magasins qui vendent des shampoings et des gels douches.

Tu peux l’emmener en parfumerie, ça vous donnera l’occasion de regarder les nouveaux arrivages en terme de maquillage. Tu pourrais aussi en profiter pour te procurer un flacon du parfum susmentionné, mais c’est peut-être risqué, vous êtes visibles tous les deux, avec vos cheveux colorés et ses éclats de voix quand il trouve des choses qui lui plaisent. C’est dans ce genre de cas que le pouvoir de Mordred te fait envie. Mh. Ça te force à être plus intelligente que les vigiles, ce n’est pas un exercice inutile. Mais pour l’instant, ce n’est pas l’objectif. Tu verras ce que tu feras sur place.

De latin ? Parfois tu ne comprends pas ce qu’il se passe dans la tête de ton colocataire. Il a l’air de suivre la conversation, et sors quelque chose de complètement absurde qui te questionne. Heureusement, ça n’a pas l’air de le retenir trop longtemps. « Heureusement ». On se comprend. Et puis il fait quelque chose d’encore plus absurde, il s’approche de toi pour te renifler. Tu ne t’attendais pas à ce qu’il fasse ça et, perturbée, tu le regardes l’espace de quelques secondes comme s’il lui était poussé un bras sur la tête, avant de hocher la tête en réaction à sa déclaration. Pas un truc trop agressif. Ça ne devrait pas être trop compliqué. Tu penses que vous pouvez en rester aux senteurs florales et fruitées, éventuellement celles qui sentent comme des bonbons ou des gâteaux. Tu ne vas pas le diriger dans le rayon MEN, flocon six en un savon shampoing, mousse à raser, allume-feu, liquide vaisselle, et débouche canalisations. Parce que tu n’as pas envie que la salle de bain sente ce genre de produits, parce que quitte à être en train de faire les boutiques avec Eizh autant ne pas lui proposer d’acheter des produits qui vont lui dessécher la peau, et parce que tu doutes qu’il soit intéressé par l’idée de sentir comme un feu de bois ou un assortiment de piments, ou quelque chose de très viril dans le genre. Tu le suis quand il part à la recherche de sa couleur, puisque tu as l’intention de racheter du rose et du bleu pâle, et en prends un tube de chaque avant de te reconcentrer sur lui. C’est facile, tu prends toujours les mêmes pots, les mêmes teintes, dans la même marque. Il pose une question pertinente, ce qui est toujours appréciable, même si sa formulation te confirme le fait qu’il n’avait effectivement rien compris à ce que tu lui disais. Où il a réussi à caser du latin là-dedans te laisse perplexe. Tu hoches tout de même la tête.

- Il y a quelques marques qui prennent le parti de ne pas utiliser de parfums, mais la plupart ont des odeurs particulières. Tu devrais pouvoir trouver ton bonheur.

Tu lui indiques d’un geste de la main la direction du rayon où sont alignées les bouteilles de shampoing, toutes plus colorées les unes que les autres. Il devrait trouver son bonheur dans une telle variété de choix. Et ensuite, passer à l’après-shampoing. Bon sang, cette sortie va vous prendre des heures, si vous prenez tout ce temps dans chacune des boutiques que vous visiterez. Tu t’apprêtes à le laisser faire son choix pour te rendre au rayon vernis à ongles quand tu entends ton prénom, prononcé avec beaucoup d’enthousiasme et un accent anglais toujours aussi prononcé.

- Aprilynne, quelle surprise !

Tu te retournes, et souris en apercevant une masse rose se dégager de la masse pour s’approcher de l’endroit où tu es toujours, à quelques pas de Eizh. « Quelle surprise » en effet. Iel a dans les mains un produit au nom inconnu, qu’iel glisse promptement dans une des poches de sa veste pour se saisir de ta main et la secouer brièvement. Ton correspondant anglais qui habite, de façon très pratique, au même endroit que toi. Il intercepte ton regard en direction de Eizh et semble comprendre que vous êtes ensembles. Tu t’attends à ce qu’il prenne congé mais es encore une fois surprise quand il s’avance pour prendre la main de Eizh dans les siennes et la secouer avec véhémence.

- Bonjour, bonjour ! And who might you be ? un ami d’Aprilynne je préesume ?

Tu vas finir par t’habituer à sa maladresse. Pas le choix, sinon tu le tueras avant la fin de l’année. Il provoque des catastrophes qui n’ont pas lieu d’exister, c’est tout bonnement inconcevable. Il s’affaire à ranger ce qu’il a fait tomber, tandis que Scout le regarde avec un air amusé. On voit que ce n’est pas lui qui doit vivre avec. Sa question n’a aucun sens et tu te demandes s’il a des problèmes d’audition. Il te demande de te répéter assez fréquemment et il semble n’avoir rien compris de ce que lui a dit Scout. Qui a, certes, un accent britannique assez prononcé, mais pas inintelligible pour autant, iel fait des efforts pour être compris.e. Vous échangez un regard, tandis que Scout poursuis les présentations.

- Oui, du sud ! tu dois être connu en accent pour reconnaître l’accent londonien de tous les accents britanniques !

Tu doutes qu’il aie reconnu l’accent londonien et penche plutôt pour une erreur complète en terme d’emplacement de son lieu d’origine. Il parle du sud de la France. Tu ne sais pas si Scout a volontairement mal compris ou s’iel est sincèrement en train d’imaginer Eizh en grand connaisseur des accents locaux. Iel semble réaliser qu’iel a oublié de se présenter, et répond avec enthousiasme :

- Je suis Scout ! un ami d’Aprilynne aussi. Nous parlons anglais parfois pour améliorer son niveau. Et nous parlons français parfois pour améliorer le mien.


Oui, c’est une façon de présenter les choses. Accessoirement, tu lui as payé un ordinateur parce qu’il n’en avait pas et que tu avais envie de dépenser l’argent de Lucas et de te faire apprécier de ton nouveau correspondant.

Sans un mot tu fouilles dans ton sac et lui tends un mouchoir en tissus sur lequel son brodées les lettres LM, pour qu’il puisse dissimuler sa maladresse. Ce sera plus simple quand vous en serez aux vêtements, moins de choses à faire gicler de partout. D’ici là, cependant, vous allez devoir survivre à la parfumerie. Une bonne galère en perspective. Tu échanges un regard avec Scout, qui semble s’amuser de la situation et de l’embarras de Eizh. Tu n’es pas complètement agacée par la situation, mais tu te fais la remarque que vous allez passer beaucoup de temps à faire des choses complètement inutiles si vous continuez sur cette lancée. Tu n’es pas censée avoir une journée productive mais tu as au moins l’intention de repartir avec quelques nouveaux vêtements en plus de tes pots de couleur, et pour ça, il faudra que vous atteigniez effectivement les boutiques du centre. Ce qui n’est pas gagné.

Scout reste là, dans votre espace, et ne semble pas décidé.e à partir. Tu ne sais pas si tu pourras gérer deux personnes alors que Eizh est déjà un travail à plein temps, mais tu présumes que tu n’as plus le choix. Difficile de virer ton professeur d’anglais sans risquer de mettre à mal tous les progrès que tu as fait depuis que tu le connais. Non, il va surement rester avec vous…au pire, il sera de bons conseils vestimentaires. Même si son style alterne entre vêtements pastels classes et look de personne sans abri (mais toujours pastel, et évidemment bien plus cher que les vêtements d’une personne vraiment sans abri), il a un style à lui et du gout, et, de fait, son avis pourra toujours servir.

TW : réflexion classiste à la dernière ligne

Eizh semble emballé par la proposition de Scout. Tu ne prendras pas de crêpe, mais tu seras ravie de boire un thé quand les foules t’auront trop fatiguée et que tu auras besoin de faire une pause. Tu hoches la tête, et réalises que Scout va surement rester avec vous jusque-là. Quelqu’un pour gérer Eizh avec toi. C’est une bonne chose, ça tirera moins sur ta patience. Et tu en auras sans doute besoin, si Eizh décide de te montrer tous les articles qui l’intéressent l’un après l’autre. L’odeur est chimique, mais pas désagréable et doit laisser un parfum agréable dans les cheveux une fois rincé. Pas mal. Tu ne peux pas l’aiguiller sur la qualité du produit, mais pour l’instant ça devrait faire l’affaire. Il apprendra lui-même ce qui fonctionne et ne fonctionne pas sur ses cheveux. Le reste de sa question te ramène, encore une fois, à son surplus d’innocence. A ce stade, c’est pas possible de simuler son incompréhension, ce ne serait pas crédible. Donc il est honnête. Et complètement naïf. Tu ne sais pas comment lui expliquer que quand Scout parle de ne pas dépenser d’argent, iel veut dire « voler ». Ca te paraissait plutôt clair, mais visiblement le second degré n’est qu’une température chez ton colocataire. Tu jettes un œil autour de toi pour t’assurer qu’aucum vendeureuse ne soit dans les parages pour entendre ce qui va suivre, et explique à voix basse :

- A vrai dire, ce qu’on entend par là, c’est plutôt… partir avec ses articles sans les payer. De façon illégale. C’est l’option qui coute le moins cher, mais il faut un peu de pratique. Je ne pense pas que ce soit recommandé pour toi aujourd’hui. Il faut être habile et ne pas attirer l’attention, et tu n’es pas très habile aujourd’hui.

Difficile de l’être quand on est anxieux et qu’on découvre tout pour la première fois. Ça fait beaucoup d’informations d’un coup, beaucoup de sollicitations, beaucoup d’imprévus qui s’entassent les uns sur les autres. Tu as vaguement conscience de tout ça. Principalement, cependant, tu as surtout conscience qu’il a mis du shampoing partout et qu’il n’a pas l’air de savoir quoi faire du mouchoir de poche souillé. Scout lui sourit avec bienveillance. Visiblement, ce que tu trouves fatiguant chez ton colocataire semble l’amuser. Grand bien lui fasse.

- Dit comme ça, ça a l’air dangereux, mais tout le monde le fait ici. Les étudiants, c’est souvent assez pauvre. On fait ce qu’on peut avec ce qu’on a. Nos portefeuilles nous remercient. Mais tu n’es pas obligé d’essayer. Et je peux t’aider, si tu en as besoin.

Ou tu pourrais payer pour lui. Ce n’est pas ton argent et rien ne te fait plus plaisir que de dilapider l’héritage de Lucas. Tu n’avais pas envisagé cette possibilité, mais ce que dit Scout est très juste. Les étudiants sont fauchés, à plus forte raison encore ceux qui viennent de Leoska. Tu ne sais rien du passé de Eizh—enfin, tu ne te souviens de rien concernant le passé de Eizh—mais tu doutes qu’il ait eu l’occasion de faire des petits boulots pour accumuler un patrimoine économique décent. Tu t’es tellement réhabituée à toujours avoir du liquide sur toi que tu n’as même pas envisagé la possibilité qu’il n’aie lui-même pas les moyens de ses envies. Peut-être qu’il vaudrait mieux qu’il vous montre les articles qui lui tapent dans l’œil l’un après l’autre, si vous décidez de vous faire bonnes âmes et de les lui procurer malgré sa pauvreté. Tu regardes Scout, qui te fait un clin d’œil en apercevant l’attention que tu lui portes, et hausses les épaules.

- On va faire les boutiques. Si tu trouves quelque chose que tu veux mais pour quoi tu n’as pas les moyens de payer, on trouvera une solution sur le moment.

Pourquoi tu es gentille avec lui ? il y a quelque chose qui te fait dire qu’il faut qu’il se secoue et commence à faire les choses par lui-même s’il veut survivre à la vraie vie, mais par-dessus ça, étonnamment, le sentiment qu’il a besoin d’être couvé encore un peu. Il aura surement besoin d’être couvé jusqu’à ses cinquante-cinq ans. Et tu n’as pas l’instinct maternel d’une poule. Mais tu peux essayer d’atténuer un peu son anxiété, et de l’aider à renouveler sa garde-robe. Scout a l’air de prendre ça pour un jeu, et ce n’est ni plus ni moins qu’un moyen de cracher aux pieds de Lucas et de son argent durement gagné, de rhabiller un gamin type classe sociale défavorisée.

Il reste bloqué. Splendide. Scout est sympathique et charismatique, mais pas suffisamment pour que cette information glisse fluidement dans son esprit ; à la place elle est restée coincée quelque part et obstrue complètement le cheminement de ses pensées. Ce n’est pas idéal. Scout le regarde avec son grand sourire, tu fronces les sourcils un peu plus intensément à mesure que les rouages dans sa tête essaient désespérément de se remettre à tourner. Ou non, d’ailleurs, peut-être qu’il n’essaie pas de se remettre en marche. Tu ne sais pas comment il fonctionne dans ces situations, tu ne sais pas grand-chose à son sujet. Cela dit, tu aurais pu prévoir cette réaction. Mais maintenant vous êtes coincés, et il est coincé, et Scout sourit et tu as les sourcils froncés, et il finit par sortir une énormité. Tout va bien, il n’est pas cassé. Tu ne sais pas quoi penser. Est-ce qu’il a vu ta garde-robe ? et malgré ça, il pense que tu es pauvre ? – techniquement, tu l’es – pauvre enfant, est-ce qu’il est incapable de remarquer la qualité des tissus avec lesquels tu te recouvres élégamment ? ou celle du thé qui trône fièrement dans vos placards ? Les livres reliés que tu as disposé tout aussi élégamment à certains points de l’appartement, pour la décoration ? tu manques de pouffer d’indignation, mais te rappelle qu’il s’agit de Eizh. Il ne veut pas te blesser. Il est juste… profondément ignare. Comment est-ce qu’il a pu en arriver à cette conclusion ? la réponse à cette question t’échappes. Mais vraiment. Elle va sans doute te hanter pendant quelque temps. Encore une fois, ce n’est pas idéal. Tu secoues la tête, décides d’essayer de reprendre le contrôle de la situation. Parce que sinon, ça va durer longtemps et tes cuillères ne sont pas illimitées.

- Je n’ai pas un budget très serré. Tous les étudiants ici ne sont pas aussi démunis que Scout l’a laissé entendre. Je n’ai pas de problèmes financiers, donc au lieu de te priver parce que tu n’as pas grand-chose, je peux t’aider à payer. Sinon on n’ira pas bien loin, je crois. Et si vraiment tu tiens à me rembourser par la suite je garderai les tickets de caisse et on trouvera un moyen de s’arranger. Je doute que tu puisses faire un trou dans mes réserves, même si tu décidais d’acheter tous les shampoings du rayon.


Tu ne lui laisses pas trop le choix. C’est ça ou la technique de Scout. Ses questions sont légitimes, même si tu crains que ça finisse par attirer l’attention. Tu hausses les épaules, dégages tes cheveux de ta nuque et prends un flacon pour t’occuper les mains. Tu l’ouvres, et inspires l’odeur qui s’échappe quand tu appuies légèrement sur la bouteille pour en faire sortir un filet d’air. Scout n’a pas l’air pressé de répondre à sa question. C’est sans doute compliqué d’expliquer quelque chose d’aussi personnel et intime dans une langue qui n’est pas sa langue maternelle. De ton côté, tu ne sais pas trop comment expliquer ce qui te pousse à voler. Presque toutes tes réponses risquent d’être liées aux camps d’une façon ou d’une autre.

- Justement. Les gens ont tendance à faire ça parce que ça leur provoque des sensations fortes. Et parce qu’ils ont envie de se procurer des choses même sans en avoir les moyens. Le désir est un puissant motif. Si tu veux on pourra en discuter plus en détails quand on sera dans un café ? c’est un sujet risqué au beau milieu d’un magasin.

Le mieux serait de ne pas revenir sur la question du tout. Tu espères que sa mémoire se réinitialisera d’ici à ce que vous soyez installés tranquillement dans un café. De préférence au Chapeau Danseur. Il n’a pas l’air convaincu par ta brève explication ; tu reposes le flacon que tu avais dans les mains et passes à un nouveau produit. Tu hoches la tête quand il vous annonce qu’il va payer son shampoing, mais tu l’arrêtes en passant ton bras devant lui. Tu as le réflexe de lui prendre la bouteille des mains mais te retiens et lui désignes les autres bouteilles du même produit.

- Tu ferais sans doute mieux de prendre une autre bouteille. Tu as gaspillé un peu de produit de celle-ci, et tu n’es sans doute pas le premier. Il vaudrait mieux prendre un des flacons du fond du rayon, pour t’assurer que personne ne l’a touché ou ouvert.

Et puisque tu n’es pas sûre que l’explication le convaincra puisqu’il risque de vouloir payer pour quelque chose qu’il a utilisé et, justement, gaspillé, tu ajoutes :

- C’est un peu une bouteille testeur, on ne paie pas pour une bouteille testeur, parce que tout le monde l’utilise.

Tu déploies des trésors de gentillesse et de douceur vis-à-vis de Eizh. Et tu n’es pas encore sûre qu’il les mérite par sa compagnie agréable. Tout ce que tu sais avec certitude c’est que tu vas être épuisée ce soir.

Il n’a pas l’air de prendre l’information légèrement, et semble bloquer dessus. Il n’est probablement pas très observateur, s’il a fallu attendre la remarque de Scout pour qu’il se rende compte de la différence de capital entre vous deux. D’où lui est venue l’idée saugrenue que vous ayez des fonds équivalents ? il a l’air complètement perdu, alors tu préfères ne pas insister pour ne pas le bloquer à nouveau. Ça prendrait trop de temps, et ça ne serait pas particulièrement utile. Il apprendra sur le tard.

Tu retiens difficilement une grimace. Effectivement, la question se pose. Quand tu détournes la tête, tu t’aperçois que le regard de Scout est posé sur toi, amusé. Tu lui lances un regard noir, dont tu espères que Eizh ne l’apercevra pas. Ou qu’il ne le comprendra pas, il n’est pas particulièrement doué pour reconnaître les gestes et les codes sociaux. Il est un peu perdu. Et Scout est amusé de te voir te porter volontaire pour le guider. Tu te moquerais sans doute de toi-même, à sa place, mais ça ne veut pas dire que tu dois apprécier qu’on s’amuse de tes bonnes actions.

- Ce n’est rien. J’ai plus l’habitude que toi, c’est tout. Ça viendra.

Ou pas. De préférence, loin de toi, parce que tu n’as pas l’intention de l’accompagner dans une boutique à nouveau, une fois la virée terminée. Trop de tension dans tes muscles, ton cou est noué et tu dois t’efforcer de desserrer la mâchoire de temps en temps pour ne pas avoir mal aux dents. Quand tu es seule, ton chemin est fluide. Tu t’arrêtes le temps qu’il faut et ne perds pas de temps à réfléchir aux implications de chaque achat. Si quelque chose te plait et te va, tu l’achètes, point. Tu ne fais pas d’exposés sur les concepts clés de la mode. Tu prends, tu paies – parfois tu sautes cette étape – et tu changes de boutique. Ici, vous êtes au milieu de la foule, immobiles depuis un moment, et la tension s’accumule tranquillement. C’est supportable pour l’instant, mais si ça se passe comme ça dans chaque magasin que vous visiterez, tu seras exténuée à la fin de la journée.

Tu suis Scout et Eizh dans la file d’attente, mais choisis de conserver tes forces en laissant Scout parler. Iel aime bien ça, visiblement, et iel semble ravi de l’attention que lui porte ton colocataire. Il ne faut pas grand-chose pour gagner ses faveurs, une bonne bouille comme celle de Eizh. Pour les garder, en revanche…

- Oh, that’s a nice story actually!

Pas particulièrement.

- Je connais l’ami d’Aprilynne. Je l’ai rencontré et on s’est battus, puis on s’est excusé.es et on a échangé nos numéros. Je ne l’apprécie pas, parce qu’il a des problèmes, c’est évident. Mais Aprilynne cherchait un professeur d’anglais parce que son niveau est…moyen. Mais elle progresse ! Enfin, on s’est rencontré.es, après avoir texté, dans un café. Puis on a fait les boutiques ensemble, mais pas pour des vêtements, pour un ordinateur. Je suis venu à Leoska avec presque rien, donc j’avais besoin de matériel pour étudier, et April m’ai aidé à avoir un ordinateur si en échange je lui apprenait à s’en servir. On se voit régulièrement since, pour travailler son anglais et son informatique. On a plein de points communs !

Il est très emballé par ce qu’il raconte, mais tu n’es pas sûre qu’Eizh ait entendu quoi que ce soit. Il a continué de discuter pendant qu’Eizh passait à la caisse, et vu la catastrophe que ce moment était, tu doutes qu’Eizh l’aie simplement entendu. Ce n’est pas très grave, votre rencontre manque de drame pour être une histoire intéressante. S’il avait développé cette histoire de bagarre avec Mordred, éventuellement, mais iel est passé dessus très sommairement, pour donner du contexte. Tu regardes Eizh faire n’importe quoi avec son argent, puis regardes autour de toi. Une parfumerie ? Tu pourrais en profiter pour trouver des cosmétiques coréens, quelque chose pour traiter tes cernes… mais le laisser dans une parfumerie après la débâcle du passage en caisse ? c’est un coup pour puer le parfum à des kilomètres parce qu’il aura cassé plusieurs bouteilles à vos pieds. Et s’il faut payer lesdites bouteilles… non. Peut-être plus tard, mais pas maintenant. Maintenant, tu vas te concentrer sur les vêtements, quelque chose de mou qu’on ne peut pas casser. Il pourra toujours marcher dessus, mais ce sera moins folklorique que pour la bouteille de shampoing. Tu scannes rapidement les alentours et prends une décision pour le groupe, sans demander si elle leur convient. Iels suivront.

- Là-bas.

Tu pointes du doigt une enseigne un peu défraichie, et poursuis :

- C’est une friperie donc c’est idéal pour ton porte-monnaie, les vêtements sont moins chers que dans les autres boutiques qu’on fera après. Ils ont beaucoup de choix, quelques pièces vintage intéressantes, et des vêtements originaux.

Tu parcours les rayons des yeux, avant d’utiliser tes mains pour séparer les vêtements les uns des autres et voir ce qui s’offre à toi. Tu trouves quelques pièces qui pourraient être intéressantes, mais l’une d’entre elle a un trou, et tu ne sais pas coudre, et le tissus de l’autre te donne des frissons au toucher. Tu te perds momentanément dans tes pensées, oubliant tes acolytes, mais es brutalement tirée de celles-ci quand Eizh te tape le bras. Ton cœur se soulève et tu peines à refreiner un accès involontaire de violence. Tu n’étais pas loin de lui mettre un coup de coude, et ton regard affolé trahit ta surprise. Tu pousses un soupir de soulagement en constatant qu’il ne s’agissait que d’une intervention de ton colocataire et essaie de te souvenir de ce qu’il vient de dire. Ta mémoire se contente de te rappeler qu’il a dit ton prénom, mais tu peux facilement fournir le reste des informations : il te montre quelque chose. Tu tournes les yeux vers le vêtement qu’il te présente, et tu es soulagée de constater qu’il a une petite pile de vêtements sur le bras et qu’il n’a pas décidé de te solliciter à chaque trouvaille. Apparemment celle-ci est différente, cependant, parce qu’il réclame ton attention. Mmh. C’est… coloré, et fantasque. Il aime les dinosaures ? Il n’est pas un peu trop vieux pour ça ? tu essaies d’afficher une expression enjouée, mais ce n’est définitivement pas ton style. Tu verrais bien Scout porter ça, cela dit, iel sera peut-être plus enthousiaste que toi face aux choix vestimentaires de ton colocataire.

- C’est très original. Ça ne ressemble pas à ce qui compose ma garde-robe, mais je suis sûre que Scout partagerait ton avis à ce sujet. Et la couleur complimentera ton teint et ta couleur de cheveux.

Tu ne vas pas jusqu’à dire que c’est un bon choix, parce que la palette est très (trop ?) variée et qu’il y a des dinosaures dessus, ce qui ne constitue plus ta garde-robe depuis…mh, non, même quand tu avais cinq ans ça ne composait pas ta garde-robe. On peut dire ce qu’on veut des parents qui envoient leurs enfants en camps, au moins les tiens ont eu le bon gout de t’habiller correctement avant de se débarrasser définitivement de toi. Tu lui fais toutefois un sourire encourageant, histoire de lui donner l’impulsion nécessaire pour qu’il reparte à la recherche de la pièce parfaite.

A sa question suivante, tu dégages un chemisier blanc cassé du creux de ton coude et lui montres ce sur quoi tu as mis la main. Une pièce vintage, à en juger par l’étiquette, qui devrait être à la bonne taille, avec laquelle tu pourrais porter quelques pantalons et jupes qui composent déjà ta garde-robe. Les boutons sont en nacre, et le col est dentelé. La remarque qui suit est plus perturbante qu’autre chose. Tu fronces les sourcils. Te battre ? La seule personne avec qui tu aies pu te battre avant de devenir amie avec c’est… Mordred, dont vous n’avez fait qu’effleurer l’existence quand Scout lui a expliqué comment vous vous êtes rencontré.es toustes les deux. Par l’intermédiaire de Mordred, avec qui Scout s’est battu. Tu ne sais pas si tu es censée le reprendre pour lui expliquer ce qu’il s’est passé, ou simplement aller dans son sens. Tu n’es pas opposée au mensonge, mais il faudrait que tu accordes ton violon avec celui de Scout pour ne pas créer de quiproquo. Son analyse de ta personne est complètement faussée : il s’est persuadé que tu n’avais pas un sou, que tu es calme, que tu ne sais pas… non, effectivement, tu ne sais pas te battre. Mais calme ? Ha. Toi-même tu as conscience de ton caractère irascible. Tu n’en as même pas honte. C’est le feu dans tes veines qui se manifeste quand quelqu’un est assez stupide pour essayer de t’agacer. Tu prends un air pensif.

- Ça m’arrive. Mais je ne prends le risque de me battre que si je suis sûre de pouvoir gagner. Je ne crois pas que ce soit le cas de Scout. Iel fonce tête baissée et récolte ce qu’iel a semé en cherchant n’importe qui.

Comme ça, tu ne démens ni ne confirmes son observation. De toute façon, il y a de fortes chances qu’il oublie. L’information n’est pas particulièrement importante, tu n’es juste pas assez intéressée pour le corriger et lui expliquer en détail comment tous les gens qui rencontrent Mordred commencent par avoir un accès de violence à son encontre avant de se décider sur leur appréciation du personnage. Visiblement, tes avis et ceux de Scout sont partagés. Mais ça impliquerait de lui raconter l’histoire du point de vue de Scout, ce que tu ne peux pas faire, et ce qui ne te fait pas particulièrement envie. L’idée parait amusante en soi, dans les faits ça n’a été une partie de plaisir pour aucun des partis concernés. Encore une fois, c’est souvent le cas quand on rencontre Mordred.

- Je ne t’encourage pas à faire comme ellui. C’est risqué, et se battre avec d’autres étudiants n’est en toute logique pas très bien vu. Il y a des manières plus appropriées de se faire des ami.es.

Pas que tu aies beaucoup d’exemples en tête. Pas que tu aies beaucoup d’ami.es pour avoir des exemples en tête. Mordred et Saph te conviennent parfaitement, et tu apprécies les conversations que tu as avec Scout, mais tu ne connais pas grand monde d’autre. Tu n’as pas fait l’effort d’apprendre à connaître qui que ce soit. Tu as été obligée de rencontrer Kira, ce qui s’est passé… de façon mitigée, au mieux. Et Eizh, qui est moins… électrique… que Kira, ce qui le rend plus fréquentable selon tes standards. Pas que tu aies l’intention de lui exprimer ton désintérêt pour votre colocataire, ou ta mince tolérance pour sa propre personne.

Tu cherches un moyen de détourner son attention sur la tâche que vous êtes censés réaliser au lieu de réfléchir à tes méthodes scabreuses pour te faire des ami.es. Il y a du tissus partout autour de toi, mais rien qui n’attire ton attention pour l’instant, probablement parce que tu ne connais pas encore les gouts de Eizh—ou du moins ne les connaissais pas jusqu’à il y a quelques instants, et tu n’en as qu’une maigre idée à présent—et tu finis par inventer quelque chose qui t’éloignerait suffisamment de lui pour couper court à cette conversation.

- Je vais aller voir ce T-shirt, je suis sure que je pourrais en faire quelque chose d’intéressant s’il est à ma taille !

Tu fais mine de l’avoir aperçu par pur hasard au cours de votre conversation et espères sincèrement qu’il n’est pas à ta taille. Tu t’en rapproches et réprimes une grimace en voyant le motif. Une photo d’une femme blonde, souriante, cheveux courts, sur un tissus gris, avec écrit au dessus de la photographie—délimitée d’un cadre doré immonde—« Rest in peace Princess Diana » et des cœurs brisés. Tu le retires du rayon et le drapes maladroitement sur tes épaules. Il est exactement à la bonne taille. Bon. Tu regardes en direction de Eizh pour voir s’il te suit des yeux ou si tu peux reposer cette horreur sans être repérée dans ton mensonge. C’est le moment que choisit Scout pour te rejoindre, l’air apparemment particulièrement intéressé par ta trouvaille malheureuse.

C’est probablement la chose la plus saine d’esprit qu’il aie dit depuis que tu l’as rencontré. C’est la décision la plus sage à prendre. Il y a quelque chose d’intéressant dans l’idée de devenir ami.e avec des gens dont on a vu les plus gros défauts et qui ont vu les nôtres en retour ; au moins, difficile de se tromper sur la marchandise. Dans ton cas, c’est en fonction des défauts que tu sembles choisir tes ami.es. Pas forcément en te battant avec elleux, mais juste… en apprenant à les connaître selon ce qu’iels peuvent faire de pire. Histoire que tu saches si vous atteignez les mêmes niveaux. Etre gentil.le, c’est facile. Tu as probablement l’air d’un parangon de gentillesse à l’instant, alors que tu souris avec bienveillance à sa remarque. Non, ce n’est pas ce qui rend une personne intéressante. Trop simple, trop peu original. Trop plat. Alors que savoir ce qu’une personne pourrait faire de pire en ta compagnie, ou des coconspirateurs… Mieux. Bien mieux. Tu gardes cette remarque pour toi. Reviens au sujet de conversation en cours. A part le tapoter sur la tête en lui disant « bon garçon », tu ne vois pas trop ce que tu pourrais ajouter.

Après ta découverte du Tshirt, tu es ravie que Scout te vienne en aide. Il est absorbé par ta trouvaille – qui a mis ça là ? dans quel contexte ? – et tu te dis qu’il serait temps de profiter de leur distraction pour te remettre à fouiner quand Eizh revient en force. En force, parce qu’il se cogne dans la moitié des surfaces dures du magasin avant d’arriver à vous. Tu étouffes une réflexion désobligeante qui ressemblerait à « surtout si vous restez dans mon espace vital », et hoches simplement la tête. C’est étroit, il a raison. Et le fait que vous soyez trois dans le même rayon n’aide pas. Tu ne sais pas ce qu’est une « photo de blog » et le contexte ne t’apprends rien de plus. Tu t’apprêtes à répondre à sa question, même si ta mémoire est très floue à son sujet. Tu sais qui elle est parce qu’elle a du être abordée dans tes leçons d’anglais d’il y a plus de dix ans, mais tout comme la langue, l’histoire s’est progressivement effacée. Tout ce que tu sais, c’est qu’elle était mariée à un membre de la famille royale, et qu’elle est morte tragiquement. Et qu’elle était un modèle de classe, accessoirement. Ce qui ne colle pas exactement avec l’idée d’avoir son visage placardé sur un tee shirt, soit dit en passant. Heureusement, Scout intervient à nouveau, l’air scandalisé par la question de Eizh. Ça va durer un moment.

- Oh honey. Lady Diana est l’ancienne princesse de… wales… c’est la Galles, c’est ça ? L’ancienne princesse de Galles, Duchesse de Cornwall and Rothesay. She’s a legend. Elle a épousé le fils de la Reine Elizabeth, et est devenue Princesse. Seulement, son mari était… A human pile of garbage… un déchet humain, et il l’a trompée à plusieurs reprises. La Reine était horrible avec elle, aussi, ce qui n’a pas aidé. Ils ont divorcé. Elle est morte dans un tragic accident de voiture parce qu’elle était suivie par des paparazzis. Toute l’Angleterre était en deuil. J’étais trop petit quand c’est arrivé pour m’en souvenir, mais ma mère me l’a raconté. C’est une icon. C’était une très bonne personne, elle a défendu beaucoup de causes. Elle a défendu la lutte contre AIDS, ce qui est un bold move given the times.

Il a l’air profondément dévasté. Tu n’es pas sûre d’avoir compris tout ce qu’il a dit. C’est flou, et il parle beaucoup plus vite que pendant vos sessions cours. Il mérite surement ce tee shirt. Plus que toi, qui n’en avait de toute façon pas particulièrement besoin. Tu poses ta main sur son épaule et le presse doucement pour signaler ta sympathie – même si tu ne sais pas comment il peut être endeuillé par la mort d’une femme inconnue, qui est morte dans sa prime enfance… et te tournes vers Eizh pour voir ce qu’il va retenir de cette explication. S’il a réussi à l’écouter jusqu’au bout. Ce qui n’est pas dit.

Tu n’avais pas l’intention de lui dire d’aller se faire voir, ou de lui faire remarquer qu’il est assez grand pour aller essayer des vêtements tout seul, même si tu le penses très fort, parce que ça risquerait de mettre une mauvaise ambiance. De toute façon, il change d’avis tout seul, avec l’excuse la plus misérable au monde. Tu pourrais croire que tes émotions et pensées se lisent sur ton visage, mais tu sais de source sûre – toi-même – que tu es une très bonne actrice et qu’il n’y a aucune chance que ce soit le cas. Ce sont donc ses propres pensées intrusives qui font tout le travail, et tu n’as qu’à acquiescer pour que…

- Nonsense ! On a tout l’après-midi, right ? A moins que vous ayez d’autres choses à faire, évidemment. Mais une virée shopping peut durer tout l’après-midi. Et je veux voir le résultat ! go, go, go ! les cabines sont juste là !

Il ne sait pas où sont les cabines d’essayage. Il se retourne, cherche d’un côté puis de l’autre du magasin, et annonce, triomphalement, en montrant le signe « cabines » :

- Là !

Tu hausses les épaules pour signifier que tu n’es pas exactement concernée par la situation, et lèves tes bras chargés de vêtements pour leur indiquer que tu as, de toute façon, l’intention de faire des essais.

- On a le temps. J’ai des essais à faire également. Scout ?

- I trust myself ! mais allez-y. Je vous attends en dehors des cabines pour voir ce que ça rend !

Vu la tête de Eizh quand il a décidé qu’il préférait ne pas essayer finalement, tu doutes que ce revirement de situation lui plaira. Mais tu as des choses à essayer quoi qu’il en soit, autant qu’il en profite pour faire de même. Tu l’observes, puis finis par lui dispenser encore une fois de bons conseils :

- Si tu n’as pas beaucoup d’argent et que tu as l’intention de payer pour tous tes articles, autant que tu sois sûr qu’ils soient à ta taille ou soient flatteurs sur ta morphologie. Ce serait dommage de dépenser de l’argent dans quelque chose que tu ne pourras pas porter. Scout, je peux te laisser mon sac et ma veste ?

Iel hoche la tête, réarrange sa pile de vêtements sur un bras et accepte lesdits sac et veste. Tu fais un signe de la main à Eizh pour l’encourager à te suivre.

Non ? Tu arques un sourcil en attendant qu’il détaille. C’est probablement la première fois qu’il refuse quelque chose de la sorte, mais il a l’air de vouloir s’enterrer six pieds sous terre et c’est agaçant, donc tu n’es pas particulièrement portée à le féliciter de ne pas faire preuve de mollesse tout le temps. S’il décide d’y aller à l’aveugle… c’est son problème. Tant que tu ne l’entends pas se plaindre de ne pas avoir de vêtements à sa taille après aujourd’hui, il peut bien faire ce qu’il entend. Tu hoches doucement la tête et disparais dans l’une des cabines vides.

C’est assez peu spacieux, heureusement que tu ne prends pas beaucoup de place. Tu alignes tes trouvailles dans l’ordre dans lequel tu comptes les essayer, et te dévêtis rapidement. Comme toujours, voir ton corps dénudé dans un miroir provoque quelque chose d’inconfortable au creux de ton estomac, mais tu recouvres rapidement tes sous-vêtements des pièces que tu as amenées avec toi dans la cabine. Ton apparence est un élément compliqué de ton processus de guérison, que tu as commencé à te réapproprier en te teignant les cheveux et en apprenant comment appliquer du maquillage et choisir des vêtements qui te plaisent. Choisir et essayer des vêtements laisse un gout doux amer au fond de ta gorge. En creux, tu te questionnes sur les raisons pour lesquelles Eizh a changé d’avis. Ce n’est pas une question passionnante, mais c’est suffisamment curieux pour t’occuper l’esprit tandis que tu refermes les boutons d’un pantalon crème. Trop grand. Mmh. Tu défais les boutons rapidement, l’enlèves et le déposes sur l’un des cintres, pendu à l’un des trois crochets de la cabine. Ce n’est pas la peur de vous faire perdre du temps, parce qu’il aurait sans doute accepté une fois que tu as annoncé que tu allais rester quelque temps dans les cabines. Tu déboutonnes, enfiles et reboutonne une blouse un ton plus bleu que les cheveux qui reposent contre ta nuque. Il est anxieux, ce n’est pas un mystère. Déjà parce qu’il l’a dit, mais en plus de ça, il ne le cache pas très bien. Sans doute le monde. Tu ne penses pas que les élèves des classes d’aide aient le droit de sortir en ville. Le manque d’habitude peut créer ce genre d’anxiété, tu le sais pertinemment. En plus de ça, l’Académie est peuplée, mais les classes d’aide sont isolées du reste des étudiants. Un autre souvenir essaie de faire surface, mais quelque chose de lourd et de vague prend toute la place et tu n’arrives pas à le replacer ou à mettre un mot dessus. Tu vérifies les manches de la blouse, t’observes dans le miroir. C’est joli, mais tu as déjà tellement de vêtements qui y ressemblent. D’un autre côté, est-ce que c’est vraiment un problème ? Tu déboutonnes le chemisier. Entends vaguement Scout badiner derrière le rideau. Tu te débarrasses du pantalon, le places sur le même crochet que la blouse, et enfiles une robe. Qui change de tes trouvailles habituelles. Courte là où le reste de tes jupes et robes frôle généralement tes chevilles, ou tombes au plus court à mi mollet – elle arrive à tes genoux. En velours, d’un noir riche qui contraste agressivement avec la couleur de ta peau. La forme est simple, un haut à bretelles fines, un décolleté étroit qui laisse discrètement apparaître ton sternum et un jupon en cloche. Tu frottes tes bras, observes ton reflet, incertaine. Finalement, tu décides de demander leur avis à tes collègues. Tu rabats le rideau et lisses ton expression, avant de te tourner dans leur direction.

- Je n’arrive pas à me décider. On a l’impression que je me rends à un enterrement, non ?

Tu doutes qu’Eizh soit d’un conseil très pertinent, déjà parce qu’il semble rongé par l’angoisse, et ensuite parce qu’il te dirait surement que les choses te vont bien même si c’était d’une laideur impossible, pour te faire plaisir. Mais tu peux toujours essayer de lire ce qu’il pense sur son visage, que tu observes autant que tu regardes celui de Scout, tout en essayant de garder une posture neutre, confiante.