C’était pas là avant, ça, non ?

Ou alors il ne l’avait jamais remarqué. Ou alors on l’enlever à chaque fois qu’il passer pour la reconstruire ensuite, et les lutins en charge de cette mission était en RTT. Peut-être qu’il avait halluciné ? Ou peut-être fallait-il arrêter de remettre aussi systématiquement sa propre expérience en doute sur un chemin emprunter a minima une fois par mois depuis plusieurs années ?

Brynjolf tendit le museau vers le cabanon d’architecte nouvellement installé avec la même allure qu’un animal sauvage à qui on présente une excellente pièce de nourriture. Un mélange de curiosité, de crainte, de nez en l’air et de pattes immobilisé au vol.

Il n’y a personne… Et pas de bruit. Ça ne coutait rien de regarder ? Et puis il avait le temps, à la base il compter juste chercher des mûres dans un coin qu’il connaissait bien avant de rejoindre l’école pour voir Oris et passer au club de musique. Les mures avaient peut-être encore cinq minutes devant elle avant de s’enfuir de leurs buissons ? Et Oris aussi. Probablement. Avec lui ce n'était même pas complètement invraisemblable de se dire qu'il était effectivement peut-être occupé à se cacher dans un buisson, en mission avec le Lieutenant Floof ou quelque chose du genre.

Bien, ce n’est pas la peine de se trouver plus d’excuses. Le jeune mage siffla son chien, Merlin, qui était déjà parti à toute berzingue sur l’autoroute de la balade. Le doggo à ses côtés, Bryn se donna l’impulsion mentale nécessaire à démarrer la machine, et glissa dans l’embrasure de la porte de la cabane comme une petite souris. Une petite souris de presque deux mètres, mais il faisait vraiment de son mieux pour avoir l’air de ne mesurer qu’une dizaine de centimètres. Ça devait être si confortable d’être un rongeur. Se faufiler sans se faire remarquer… Dormir paisiblement dans un terrier, dans des murets, des tas de feuilles… Se faire poursuivre par des chats géants, vivre dans un monde trop grand pour vous qui donne l’impression qu’il va vous écraser…

Tout compte fait, il avait changé d’avis. Pas cool d’être un rongeur. Il préférait être lui-même.

Sortie de ses songeries il s’attarda sur l’intérieur de la cabane. Elle était aménagée de façon très rudimentaire, mais plutôt cosy ! Elle n’était probablement pas encore là les fois précédentes, il y avait encore quelques petites traces de travaux et de clou en errance, mais c’était du beau boulot dans l’ensemble. Non pas qu’il soit un expert, mais William lui avait appris à avoir un petit peu l’œil depuis qu’il habiter chez lui et l'assister à l’occasion en bricolage.

CRAC.

Le rouquin bondit, terrorisé.

« Y’a… Y’a quelqu’un ? »

La façon dont étaient grattées les planches à l’extérieur lui indiqua très vite qu’il s’agissait juste d’une très mauvaise blague involontaire de son chien. Il souffla soulager, et repris son inspection d’un air intriguer, jusqu’à ce que —

« Bah qu’est-ce que tu fais chez nous toi ? »

SIGDSUIGHOPFDFSF. VRAI ALERTE CETTE FOIS. Brynjolf sursauta, se cogna la tête au mur, rata trois respirations puis en rattrapa cinq de trop avant de se plaquer dos -ou plutôt pochette de violoncelle- au mur. Parfaitement immobile si l’on omettait le soulèvement de sa poitrine sous son souffle apeuré.

Pourquoi il restait immobile d’ailleurs ? Enfin… Il était déjà repéré. Donc c’était pire. Le rouquin se redressa, les mains tremblantes, face aux silhouettes. Il était incapable de dire s’il les connaissait, son regard catégoriquement braqué au sol et refusant de se lever plus haut.

« Je-je suis désolé, je voulais pas cambrioler votre cabane. Ou votre maison. Je ne sais pas. Heu. Sans vouloir être vexant, ça ressemble plus une cabane, non ? Mais… »

Il avait dit quoi là ?

« ENFIN, heu cambrioler c’est pas du tout le bon terme parce que tu coup on a l’impression que je suis rentré par effraction pour voler des trucs. Alors que je suis juste rentrée par effraction ! »

En creusant à cette vitesse il pouvait reprendre ses considérations de rongeur, il aurait fait un excellent rat taupier. À ce stade il fallait juste qu’il arrête d’essayer de parler.

Ça en était fini de lui. Il avait vraiment fait au mieux pour être quelqu’un de bien, mais l’histoire ne retiendra pour ses mémoires que ce tragique jour de ses débuts dans le grand banditisme. Le Arsène Lupin des cabanes en forêt. Arsène Lopin de terre ? Ou Arsène Lapin au vu de sa réaction une fois prit dans les phares.

Ce n’est que lorsqu’une seconde voix s’ajouta aux sirènes d’alarme qu’il commença à réalimenter son cerveau en oxygène. Son miroir de maladresse du cours d’histoire de la magie ! Le violoncelliste se souvenait de lui comme de quelqu’un aussi proportionnellement adorable avec les autres que fâché avec sa proprioception. Et la gravité. Et les mots. Bryn pouvait le comprendre, il n’entretenait pas de bien meilleures relations avec ces entités primordiales capricieuses.

Effectivement on ne peut pas parler d’effraction, mais dans ce cas il s’agirait d’une… infiltration ? Il n’était pas certain que ce soit moins délit pour autant. Cependant, l’important n'était ni de qualifier ni de classifier ses actes ; c’était qu’ils ne lui en voulaient pas. Le norvégien tritura ses mains pour décompresser, son regard passant de l’un à l’autre comme s’ils jouaient au ping-pong, mais du même côté de la table. Du ping-ping ? Encore une fois ; pas l’important.

La panique retomba petit à petit pour laisser pleine place à la confusion. Fallait-il remercier Eizh pour ses remarques sur sa qualité de verveinokinésiste ? Serait-ce malvenu de rétablir la vérité sur Joseph ? Et sur l’utilisation de l’adjectif « Gaillard » ? Grand oui. Peut-être même trop pour lui. Parfois il soupçonnait son sang de favoriser l’itinéraire vers sa tête pour éviter d’avoir à faire le long trajet retour depuis ses jambes : il voyait là l’explication la plus plausible à son pas incertain autant que de sa tendance à vitre rougir.

L’inconnu intimidant et charismatique ne lui laissa pas de luxe de se perdre en questionnement. La raison de sa présence ici, voilà ce qui l’intéressait. Brynjolf ressentit une sensation bizarre quand on lui demanda s’il venait jouer du violoncelle dans la forêt, comme s’il était vraiment un cliché de lui-même. Ça l’amusait. Toute personne pouvait être définie par un agencement particulier de mots, unique à chacun, mais constituant sa propre cartographie. Violoncelle et forêt faisaient partie des mots qui vivaient en lui. Il se demandait si "cabane" faisait partie des leurs ?

« Salut Eizh, ça me fait plaisir de te voir hors des cours, je trouvais que tu avais l’air super sympa ! Même si… Ce n’est peut-être pas les meilleures conditions !  Et, heu, enchanté, toi. »

Après un petit geste de main gêné, il se racla la gorge.

« Non je n’allais pas jouer de violoncelle dans la forêt, je ne le fais plus trop en ce moment, je vais au club de musique… »

Son regard se perdit dans le vide un instant. Aussi agréable soit cette occupation, c’était aussi un rituel qu’il avait l’habitude de pratiquer avec Saoirse. Même si la rupture s’était faite en bon terme, il lui fallait se réapproprier personnellement les activités connotées de rappels le temps que ses derniers ne se décantent en souvenir.

« … Pour l’acoustique. »

Il donnait… Légèrement l’impression de se justifier. C’était étrange. Aussi étrange que le fait qu’il ne lui soit pas venu à l'esprit que les élèves habitaient à l’école alors qu'il lui arrivait de faire le trajet quatre fois dans la journée pour voir des amis. Et que s'infliger le poids d'une pochette de violoncelle pour une simple balade en forêt n'était pas brillant de logique.

« En fait, j’habite ici. Pas dans votre cabane hein ! Dans la forêt ! Enfin, je cohabite dans un chalet, je n’habite pas la forêt même. »

Pourtant, il aurait juste eu à apparaître depuis un arc-en-ciel pour se faire passer pour un très grand Leprechaun, personne n’aurait soulevé la supercherie.

« J’avais jamais vu cette cabane dans le coin alors, la curiosité l’a emporté. Elle est juste de vous deux ? Si vous avez besoin de mains-d’œuvre hésitez pas hein. »

Là, debout et souriant au milieu de la pièce, il se sentit soudain un peu de trop. Ces deux amis étaient là pour aménager leurs cabanes… Était-il en train de se « taper l’incruste totale » ?

« Ouuu, je peux partir aussi, et ne pas être la troisième roue du tricycle - enfin, non, du vélo du coup. Enfin, pas m’incruster dans votre projet, quoi. »

Lourd sujet. Étaient-ils, au plus profond de leur âme, des roues ou des cyclistes ? S’il s’ajoutait parmi les moteurs du projet, il aurait peut-être mieux fait de leur demander si ça les dérangerait de faire la route en tandem. Enfin le projet… non, lui n’était d’humble visiteur ; c’était eux les champions du BTP avec « Bois » pour le B ! C’était du beau boulot. Ou bouleau ? Hmm non, son œil expert pour la menuiserie lui confirmait que ce n’était pas la bonne couleur, si seulement son regard bénéficiait de la même acuité pour la qualité des jeux de mots.

Joseph était ravi que ses connaissances de la forêt puissent être un atout pour eux ; c’était une façon de se rendre utile. Et il adorait être utile. Les cocons, ça chuchotait des mots doux à sa fâcheuse tendance à vivre comme une grand-mère, à voyager de nid douillet en ni encore plus douillet pour y réaliser des activités calmes. Quand il était seul du moins, car dès qu’il sortait, il avait la douce impression d’attirer toutes les personnalités les plus chaotiques de l’école. Oris, Kira, Thomas… Mais c’était pour son plus grand bonheur : il les adorait, autant qu’il adorait leur émulsion créative. Mais cela justifiait aussi son intense besoin de se recharger en solitaire parfois.

Brynjolf souris pour leur répondre, mais se laissa emporter par son premier degré malgré lui.

« Ok ! Filandrys du coup, j’imagine, comme on est pas particulièrement intime. Et moi, c’est, humm Brynjolf, mais ça peut être Bryn pour les pas-particulièrement intimes. »

S’il louper le coche des présentations pour rectifier le tir il n’aurait plus jamais le courage de leur avouer qu’il n’était pas le Joseph qu’ils escomptaient. Mieux valait briser le secret avant qu’ils ne cultivent leurs attentes et se sentent trahis.

« Merci de m’accueillir quand même, c’est super gentil ! Je sais pas ce que je vaux en conseil déco, mais effectivement je connais des jolis coins à proximité, y compris des lieux sympas pour jouer de la musique même si devant la cabane c’est déjà un chouette endroit. »

Ceci étant dit en termes de déco… Il jeta un œil aux affaires apporté… Et aux murs.

« J’ai aussi peut-être quelques tentures de rab chez moi, si vous voulez habiller les murs ? Y’a rien de mieux pour faire un effet cocon je trouve, c’est très chaleureux les tissus. »

Et ça coupe aussi avec l’aspect bois sur bois. Après si on aime le bois, c’est aussi chaleureux en brute.... Tiens. Il prenait la confiance, normalement il fallait lui répéter un peu plus longtemps que ça que c’était ok, avant qu’il ne s’invite totalement sur un projet.

Ses idées plaisaient, et celles des autres le remplissaient de joie ; Brynjolf était aux anges au milieu de la douce mélodie de l’émulsion créative. Au bémol prés qu’il ne se sentait pas complètement légitime à complémenter les idées de ses camarades décorateurs. C’était quand même… leurs cabanes à eux avant tout. Et qu’on lui répète mille fois qu’il y été la bienvenue n’y aurais rien changé.

« Des couleurs chaudes principalement, des mélanges d’oranges/rouge foncés/jaunes selon les motifs ! Et une violette un peu à part. J’espère que ça vous irait ? Je peux aller les récupérer assez rapidement, j'habite vraiment à côté. »

C’était même presque étonnant qu’ils n’aient pas accidentellement atterri chez William en cherchant leurs spots. Ça arrive souvent lorsque des élèves se promènent dans les bois.

Il ne se joint pas trop au rangement des affaires fraichement apporté, ne sachant pas leurs places, il aurait été plus encombrant qu’autre chose. Encombrant… Comme son violoncelle. Ça lui fait penser à ce que vient de dire Eizh, en parlant de hamac, et la réflexion de Phil sur le fait de jouer dans les bois.

« Au fait, vous faites tous les deux de la musique ? Je ne vous ais jamais croisé au club ! »

Ou peut-être que si ? Il n’avais pas une exceptionnel mémoire des visages, auquel cas, ça risquer d’être gênant.