D’ce que j’ai pigé avec Leoska, c’est que c’est queer as fuck. Autant chez les profs que chez les élèves, on est pas sur une reproduction fidèle du système normatif comme on le trouve ailleurs. C’est pas surprenant hein, j’balance une évidence. Ça m’fait juste kiffer de pouvoir me poser en paix dans un lieu aussi safe. Je vais pouvoir pécho des collègues charmantes si y’en a, et ça j’ai hâte. Mais je fais gaffe au choix du lieu pour flirter. Le boulot, c’est pas forcément ouf et tout le monde à pas le temps de se regarder dans les yeux de manière langoureuse en attendant de savoir qui va céder et balancer un « on ken ? ». Y’a des endroits plus propices. Comme les bars, les boîtes de nuit. Celle du coin a l’air magique. Littéralement. Ça se confirme quand j’y arrive et que l’ambiance féerique me prend au visage. On peut pas faire plus magique.

Pour débarquer dans ce lieu de rêve, j’ai opté pour un col roulé avec un boobs window ou whatever. Un gros décolleté ouvert sur mes boobs, quoi. Ça me rend plus sexy. Avec le pantalon skinny bien cintré à la taille et les talon haut, j’vais faire tourner les têtes. Et la mienne avec l’alcool. J’ai déjà gratté trois verres à des pauvres cons qu’ont vu que mes eins. C’est con les hommes, ils ont toujours pas pigé que les meufs profitent de leur slibard en feu pour avoir à balle d’alcool gratuitement. Je m’en débarrasse vite-fait, parce que l’alcool c’est bien, mais le mec qui sait pas se laver qui vient avec, non.

Une meuf ultra bg me sort de ma galère, et je saute sur l’occasion pour faire dégager le relou à côté de moi. Je la reconnais immédiatement. On s’est croisé à plusieurs reprises. C’était toujours un plaisir qui n’est malheureusement pas devenu plus que ça.

« Glace !! ça fait plaisir de te revoir, meuf ! Vas-y assied toi, la place est libre. Tu fous quoi ici ? T’es dans l’académie aussi ? »

J’suis tellement contente de tomber sur elle. Même si on s’est pas vu longtemps, et pas pendant des années, c’est le genre de personnes avec qui le feeling passe super bien. C’est comme si on s’était quittées la semaine dernière en terme d’aisance. Par contre, raconter nos vies depuis qu’on s’est plus vues ramène viteuf à la réalité. On a eu le temps de vivre un paquet de choses qu’on pourrait jamais caser en une semaine. Je secoue la tête à sa question et avale une goule de rhum arrangé avant de parler.

« Nan. Leoska est hyper sécure ce serait assez compliqué de les contacter. Puis même, c’est devenu dangereux. J’ai failli avoir des putains d’emmerdes avant d’arriver ici, faut que les choses se tassent avant que je montre ma gueule à nouveau. J’suis deg mais c’est les risques. Maintenant je suis patrouilleuse et formatrice en survie. J’me pose mais faut pas déconner, tu me connais. »

Je lui met un coup de coude en me marrant.

« Mais toi, prof ? T’apprends quoi aux jeunes, comment brûler les banques et caillasser des CRS en plus de l’histoire des camps ? Ça m’intéresse ça d’ailleurs ! J’la connais mais ça peut être cool de voir ce que tu fais. Voir si ma pédagogie est pas trop à chier. Les autres profs sont comment ? Je viens juste d’arriver j’ai pas pu faire le tour de toutes les têtes. Et les élèves ? J’ai l’impression que y’a de tout. Entre cellui qui débarque sans rendez-vous parce que trop hypé et celui qui me fait un salut militaire, c’est galère de piger les profils. »

Ptit cul sec pour la fin du verre. Sourire séducteur.
Ouais j’me cache pas. On est dans une boîte de nuit et j’ai retrouvé l’une des meufs qui m’a le plus tapé dans l’oeil de toute ma vie. Y’en a eu des tas en toute honnêteté.

« J’te paie un verre ? »

Elle déballe tout haut ce que je pense. Se poser à Leoska est un changement drastique, il contraste avec notre vie d’activistes. On l’est toujours. Être à Leoska, c’est participer à construire un avenir safe pour les gosses qui s’y sont réfugiés. Juste, on le fait plus calmement. C’est un ptn de panier de traumatisés de la vie, aussi, tu m’étonnes que le calme et la patience soit de rigueur. Je tique à sa remarque sur la solitude et, parce que l’alcool monte déjà, je la taquine.

« Pourquoi on vivrait pas ensemble, meuf ? »

En vrai, la proposition est sérieuse. On peut pas nier que vivre seul dans la stabilité, ce soit facile au début. Je ris encore quand elle confirme avoir appris à un gamin comment faire les poches des passants. Sérieux, ça passe ?? C’est le kif si on peut enseigner des trucs contestataires aux petits ! Ils en auront besoin quand ils sortiront de l’école, s’ils arrivent pas à faire profil bas et retrouver une vie normale. C’est rare quand on est mage.

« Bah, de toute façon ton cours est en accès restreint, nan ? Comme le mien, tout le monde peut pas y accéder et je dois faire gaffe aux dossiers des candidats. Apparemment y’a des débilos dans l’académie. »

Je retiens l’invitation et le fait qu’elle fasse chialer des bambins. Pas fun, elle a raison. Pourtant faut bien qu’ils apprennent à vivre dans ce monde de merde. Connaître l’histoire des camps c’est déjà un bon début pour comprendre qu’on est des gros baisés de la vie quand on naît mage. Le mieux après, c’est de lutter quand on a la force. Tout le monde l’a pas. C’est ok.

Elle a plus de vie sociale depuis un moment ? T’inquiète paupiette qu’on va y remédier. Je lui souris et interpelle le barman pour commander. Un autre rhum pour toi, et Glace peut passer sa commande.

« On va rattraper tout ça, en commençant par une bonne grosse murge des familles. T’es capable de boire combien de mètres de shot ? »

J’plaisante, on va pas se boire des litres non plus. Enfin… Ouais on verra. Faut montrer aux bonhommes qui nous matent qu’on a une meilleure descente et tenue qu’eux. Ils saoulent à regarder dans notre direction. On sait qu’on est bg, mais c’est pas pour vous.

« Tu te sens de danser ou c’est chaud avec ton genou ? »

P’tit hochement de tête pour confirmer que ouais, j’m’en sortirai mieux en coloc. Seule j’oublie des trucs, je m’ennuie, ça me saoule d’avoir un foyer à gérer et la motivation manque cruellement. Vivre à plusieurs à toujours été plus simple. Habitude ou véritable envie, ça reste un souhait et si Glace accepte, ça me dit bien d’essayer.

« Un peu ouais. J’me fais chier toute seule et j’m’en sors moyen. Si ça te tente on peut tester quelques jours et se redécouvrir au passage. »

J’lui fais le clin d’oeil qui va bien avec ce que j’insinue. Du coup c’est pas vraiment insinué, j’suis limite transparente sur ce qu’on peut foutre ensemble en coloc pour se découvrir. En parlant ou autrement, on manquera pas de ressources à ce niveau je pense. Ça promet d’être drôle.
On m’a filé le même genre de liste quand j’ai commencé le boulot. J’ai pas retenu les noms, j’l’ai juste affichée dans mon bureau pour pouvoir la vérifier à chaque candidature. Pt-être que j’ai plus de détails que Glace sur les élèves comme je suis patrouilleuse. J’en sais rien. J’en suis pas encore à connaître par cœur le fonctionnement de l’académie même si ça ne saurait tarder. A sa place, ça me saoulerait aussi d’avoir tous les détails des conneries des élèves. Pour le peu que j’ai vu en patrouillant… bah ouais ça peut saouler.

Elle me fait marrer en disant qu’elle connaît pas ses capacités en terme de descente de shot. J’commande 2 mètres pour commencer doucement à la suite de nos verres.

« J’te pose la question mais je sais pas non plus, à chaque fois j’suis raide dématée et j’retiens rien. Les photos que je prends pour pas oublier sont floues et mes notes illisibles. Mais ça me fait rire, c’est une redécouverte permanente ! »

Et un gros coup pour mon foie, mais tant pis. Il s’endurcit d’année en année le coco. Elle me sort un sourire auquel je réponds aussitôt. Elle est bg, stylée, intéressante. On va passer une bête de soirée ensemble. On dansera plus tard, quand l’alcool nous aura réchauffé le corps et la tête. Pas comme le mec qui m’aborde pour taper la discute. Casse-toiiiii. Putain de merde, y’a quoi dans mon attitude qui le pousse à rester ? Je l’écoute pas, la joue appuyée sur une main. Quelques coups d’œil à Glace, puis elle lui renverse un verre dessus.

J’éclate de rire pendant que le type râle et s’énerve. Tocard va. Glace s’est montrée vachement polie, il devrait la remercier.

« Alleeez, dégage pauvre couillon. Tu nous emmerdes à prendre notre air. Va plutôt faire chier le mec à côté, c’est son verre qui a fini sur ton fut’. »

Je le pousse pour pouvoir voir Glace et il continue à s’énerver.

« Ce serait dommage d’appeler le vigil nan ? Dégage on t’a dit. »

Cool, ça part sur une coloc. On en reparlera demain quand on sera sobres et calmes, histoire de pas prendre des décisions à la va-vite et de se foirer sur les étapes. N’empêche que ça va grave améliorer nos vies. J’sais pas comment, mais ce sera toujours mieux que de galérer seule parce qu’on a pas l’habitude de la vie solitaire.

Le type emmerdant capte rien, c’est navrant. Jamais vu un bouffon pareil. On le pousse, lui dit de dégager… Glace représente même une sérieuse menace physique s’il dégage pas, mais il reste comme un con à côté de nous. Je soupire en descendant un shot à mon tour, puis un deuxième. Que j’avale pas. Ce pauvre type aurait jarté, j’l’aurais descendu. Mais là il fait une bonne cible nan ? Du coup j’lui crache dessus. Ça le fait enfin réagir. Il gueule encore, quoi, et le barman intervient pour nous séparer. Il l’aurait pas fait on aurait fini par se crocher dedans. Glace était prête à le cogner, moi j’voulais lui éclater le verre sur la tête.

Il finit par partir et c’est surtout parce que ses potes débarquent du fond de la boîte pour le récupérer. J’aurais honte à leur place, c’pas possible de vouloir côtoyer c’t’ordure. Quant à nous, je m’excuse auprès du barman pour le chaos, copinant direct avec lui pour qu’il passe l’éponge et nous ait à la bonne. Faut toujours être l’allié des commerçants, ça paie.

« On en était où avec l’intervention de ce gros teubé ? La coloc ? On peut pt-être voir ça plus tard, sinon on va tout oublier. »

Pour appuyer mon propos, je lève un troisième shot pour trinquer avec elle.

« Le deuxième s’est perdu sur ce connard. T’as vu le gaspillage qu’il m’a fait faire un peu ?? N’importe quoi le mec ! »

Bien sûr, c’est de sa faute si t’as pas bu ton deuxième shot.

Peaufiner les détails. Ouais. J’ai l’habitude de ça dans ma vie, évidemment. Je peaufine les détails de mes cours, de mes patrouilles. Mais pas les détails de ma vie. J’ai trop à faire en dehors, à la fin il me reste que la flemme de me casser le cul pour des broutilles. Alors, vivre avec quelqu’un c’en est pas. Sur le principe. Dans le faits j’ai vécu avec assez de gens différents régulièrement pour pas m’emmerder de mes colocs à partir du moment où je les connais. Glace, j’la connais. Puis c’est pas un mec, direct elle gagne des points. D’ailleurs elle en parle, des mecs. Contente de voir qu’on est toutes les deux misandres comme pas possible.

« Bah, ils restent des produits de la société. Être déconstruit sur la magie c’est une chose, mais y’a encore tout le reste à bosser. Tu penses qu’il y a des cours de socio obligatoire à l’académie ? Là-bas ce serait pas vu comme de la propagande de gaucho. »

Les mages riches et de droite, ça existe. Y’a des grandes familles, des fortunes qui font clairement de l’ombre aux combats menés pour la liberté des mages. On peut pas être riche et aider à la déconstruction d’un système, peu importe ce que ces richos sortent comme excuse. L’alcool  prend son temps pour me retourner la cervelle, alors j’enquille un quatrième shot. Faut les finir t’façon, on peut pas s’éloigner des verres avant de les avoir fini.

« Eh le barman ! Vous avez un système magique pour détecter les drogues dans les boissons ou quoi ? Qu’on sache si on peut laisser nos verres ici sans problème ou y’a un risque. »

Je m’arrête. Réfléchis.

« Nan laissez tomber en fait, on va s’les faire chourer. »

C’est que je faisais avant donc pourquoi les autres le feraient pas aussi. Je finis ma part de shot sans attendre et regarde où en est Glace.

« Bah alors, ça traîne. »

Mouais. Faut pas froisser les contributeurs. Contentons nous d’apprendre aux anarchistes en herbe à désobéir face au système et à cracher sur les riches. Si ça pose problème on dira que c’est pas nous, on était au ciné indépendant de la ville pour rencontrer le dernier cinéaste chelou en vogue. …En vrai j’aurais la merde de me taper ce genre d’événement, j’préfère cracher sur les riches avec les gamins.

Glace enquille sur les shot et tirant à balle réelle au passage. Sacré titre hein. Je lui rends son sourire, amusée par cette provocation séductrice. Vivement qu’on aille danser pour passer à la vitesse supérieure. Descendre des shots en se regardant dans les yeux ça va un moment, me faut plus de contact. J’en prends un autre, d’ailleurs, dès qu’elle me rappelle le retard que j’ai sur elle. J’enchaîne aussitôt sur un… J’sais plus, ça commence à faire beaucoup et compter c’est pas dans mes cordes actuellement.

« Alleeeey, il était vite rattrapé ce retard. Il nous en reste deux chacune, c’est presque pas assez. »

Je les enchaîne ma phrase à peine finie pour pas perdre plus de temps. L’envie de danser et de me laisser porter par la musique est de plus en plus saisissante. Mon corps bouge de lui-même, en rythme avec les basses qui font trembler mes os. Je tends la main à Glace pour qu’on abandonne le bar au profit de la piste de danse.

« Allons leur montrer ce que deux bombes sur scènes peuvent faire comme dégâts ! »

Glace est envoûtante. Sublime. Gracieuse. Captivante.
Son flirt est discret mais j’y réponds instantanément. J’ai envie de son contact, qu’on ondule ensemble sur des tempos qui donne chaud. J’ai envie qu’on s’épuise ensemble en se fondant parmi les autres corps autour de nous. L’alcool brouille mes pas et ma vision, mais j’reste assez maître de moi pour savoir ce que je fais. Je la drague sans la discrétion dont elle fait preuve, fermant l’espace entre vous pour une danse sensuelle.
Tout ça a beau m’emporter, j’fais gaffe à son genou. Le but c’est pas de le lui déglinguer encore plus. Faut pouvoir rentrer après. Déjà qu’on risque bien de se déplacer comme des épaves à la sortie de boîte, autant qu’elle soit pas dead du genou en plus.

Quand arrive une musique qui me plaît moyen, je m’extirpe de la piste pour rejoindre le comptoir. J’y demande un verre d’eau pour éviter le mal de crâne demain – c’est plus symbolique qu’autre chose à ce stade. Ensuite, j’aimerais bien dire que je suis absolument maîtresse de tout ce qu’il se passe, des boissons aux danses, aux sorties clopes et aux bavardages… mais j’suis pétée. Difficile de tout retenir au bout d’un moment. En plus, je m’en carre de la vie des randoms autour de nous. J’ai surtout envie de me rapprocher de Glace. Elle m’attire, et pas que physiquement hein. Ça fait un bien fou de voir une tête connue à Leoska, avec une expérience commune.

La boîte se vide petit à petit, signe qu’il est temps de décoller pour continuer la soirée ailleurs. La nuit, plutôt. Chez elle ou chez moi. Dans un lit en tout cas.