C’est ironique, tu en veux à Mordred et Saph de t’avoir dissimulé la vérité, mais tu es là, devant la porte de leur appartement, le bras levé pour y frapper, persuadée que la meilleure chose à faire désormais est d’effacer de ta mémoire le moment où tu as appris ce qu’iels te cachaient depuis votre rencontre et de rayer définitivement de ton hippocampe le souvenir de l’information. C’est lâche, et tu serais prête à t’en vouloir si tu n’étais pas complètement épuisée par le combat permanent que tu mènes pour garder la tête hors de l’eau et ne pas essayer de commettre l’irréparable. C’est plus facile à dire qu’à faire, d’ailleurs, parce que tu as beau avoir des raisons très importantes de rester en vie, tu tends à les oublier quand tu es face au vide provoqué par leur absence, et à la douleur de savoir ce qui te manque désormais. Et de savoir que tu as aimé, et aimes toujours, quelqu’un qui a infligé à une autre jeune fille ce qu’on t’a fait subir au même âge.

Tu es pétrie de contradictions, et si ça tend à t’énerver au quotidien, celles-ci te lacèrent le cœur de l’intérieur en permanence, rendent ta respiration sifflante et tes nuits mouvementées. Tu baisses le bras. Contemples le bois de la porte. Essaies de trouver la force de bouger, que ce soit pour frapper ou tourner les talons. Tu n’as pas la force de partir, mais tu n’as pas non plus celle de toquer. Tu as gardé en mémoire leur emploi du temps, et tu sais qu’iels sont très probablement toustes les deux dans leur appartement. Si tu avais le courage de signaler ta présence, tu pourrais les revoir. Ça te ferait probablement souffrir, ça te ravagerait le cerveau et le cœur, qui sont pourtant si opposés l’un à l’autre ces jours-ci, en constant octogone pour savoir qui de ta peine ou de ta rancune gagnera la partie et décidera de la marche à suivre. En ce moment, c’est ta peine qui prend le dessus et tu te retrouves très souvent à reproduire les mêmes gestes : t’apprêter, sortir, t’arrêter devant leur porte. Attendre, longtemps. Et puis, te souvenir de ce que Mordred a fait, de ce que Mordred et Saph t’ont caché, des mensonges par omissions. Tous choisis, intentionnels. Tous orchestrés. Ne pas savoir ne changerait rien à la réalité, ne pas savoir ne rendrait pas tout ça acceptable. Tu serais simplement le dindon de la farce. Tu serais l’imbécile qui croit avoir trouvé l’amour et qui se retrouve juste dans une situation où ses partenaires en savent plus, sont de mèche. Être seule dans un trouple, c’est quand même assez ironique. Alors tu essuies tes larmes, ou tu ravales ta colère, et tu bouges. Tu retournes chez toi, où l’agencement des meubles t’es aussi familier que la vue de leur porte, où il y a du thé que vous buviez ensemble et que tu bois désormais en compagnie d’Ilenor, pour lire des livres que tu n’ouvres plus aux côtés de Mordred. Iels étaient tellement part de ton monde, jusque dans les moindres détails, que tout les rappelle à toi.

Peut-être qu’un jour, tu trouveras le courage de frapper. Peut-être qu’un jour, l’um d’entre elleux ouvrira la porte quand tu attends de prendre une décision devant. Pas aujourd’hui.