02. Women want me. Fish fear me.

Tu as écouté attentivement la liste des aménités offertes par l’école, en terme de matériel sportif notamment, lorsque tu as visité l’Académie à ton arrivée il y a quelques jours. Ton travail va être très taxant ; même sans utiliser ton pouvoir, tu vas devoir trouver un moyen de soulager ton esprit lorsqu’il sera particulièrement encombré des souffrances de tous les jeunes que tu vas rencontrer. Tu en as déjà vu quelques ums, et ils vont continuer à défiler indéfiniment. Le sport sera un bon moyen de faire le vide, de prendre une respiration, et de te détendre. Probablement la seule chose qui se tiendra entre toi et une insomnie, quand les choses commenceront à se compliquer sérieusement. La seule chose que tu puisses donc reprocher à l’établissement, c’est d’avoir mis la piscine couverte et les sources chaudes aussi loin l’une des autres. Et en même temps, il y a des sources chaudes, ce qui est déjà assez exceptionnel. Comme on ne juge pas sans savoir, tu as toutefois décidé d’au moins essayer de faire le trajet de la piscine couverte jusqu’aux sources sans prendre la peine de te changer et en t’emballant juste dans un peignoir épais et en traversant les lieux d’un point à l’autre. Et tu es particulièrement soulagée, une fois arrivée, de pouvoir te glisser dans l’eau chaude qui chasse rapidement la sensation infernale de froid mordant que tu dois au fait d’avoir fait le trajet avec la peau mouillée, pas grand-chose pour te couvrir et de nuit, quand la température est encore plus fraiche. Enfin, « de nuit ». En fin de journée, juste après tes derniers rendez-vous.

Tu te laisses immédiatement couler au fond du bassin, laisses l’eau réchauffer tes oreilles gelées, caresser tes paupières. La sensation est incroyablement agréable, le bruit de l’eau remplace tous les sons de l’extérieur, du monde humain, et les quelques secondes que tu passes immergée sont en train de formater ton cerveau pour le remettre dans son état d’origine, l’état dans lequel tu l’as trouvé au réveil ce matin. C’est-à-dire pas idéal, mais globalement meilleur que celui dans lequel tes rendez-vous l’ont mis. Tu finis par manquer d’air et te redresser, percer la surface et prendre une profonde inspiration. Tes yeux te brulent et tu ne vois rien devant toi, alors tu les frottes quelque temps jusqu’à ce que ta vision revienne. Tes sens reviennent progressivement. Le froid t’a rendue inattentive et tu n’as pas fait attention à de potentiels voisin.es avant de te laisser couler. Tu n’as dit bonjour à personne. Tu n’as même pas vérifié que la source que tu as choisie n’est pas occupée par des élèves, par exemple. Ce serait awkward de te retrouver à chiller avec un des gamins sur lesquels tu as pratiqué l’équivalent émotionnel d’une opération à cœur ouvert, alors que tu es en maillot de bain, complètement stone par les endorphines que ton heure de longueurs dans la piscine a libérées, le tout sans lui avoir signalé que tu l’avais reconnu ou quoi. Heureusement pour toi, et il va falloir que tu fasses attention, aucune tête connue dans les parages. Evidemment, tu as choisi une des rares sources occupées – parce qu’elle était la plus proche de toi, certes, mais quand même, le choix reste foireux – et décides d’être polie. T’as pas vraiment le choix de toute façon, si on est honnêtes. Tu es une adulte, tu as des responsabilités, on ne doit pas pouvoir te reprocher un comportement déplacé. Le high de ton corps épuisé et gourd te rend plus facilement guillerette, et tu souris chaleureusement à la femme qui se trouve non loin de toi. Elle doit faire partie du personnel. Tu l’as potentiellement déjà croisée ? tu es douée avec les visages et les noms, mais cette semaine a été éprouvante et tu n’as pas pris le temps de te présenter aux collègues dont les bureaux sont près des tiens.

- Désolée de m’imposer. Je suis rentrée dans l’eau sans faire attention à mon environnement. Je peux changer de coin, si je dérange.

02. Women want me. Fish fear me.

Bonne nouvelle, Jo ne semble pas être agacée par ton interruption. C’est un soulagement, tu n’aurais pas aimé te mettre à dos d’autres membres du personnel en raison d’un manque de jugement, pour une raison aussi bête et que tu aurais facilement pu éviter en ne fonçant pas dans le tas sous prétexte que tu avais froid. Tu prends enfin le temps de la regarder, et constates que, dans ta bêtise, tu as bien choisi ton bassin. Ton interlocutrice ne semble guère plus vieille ou plus jeune que toi, et elle est canon. Heureusement que tu ne te l’as pas mise à dos, en fait. Ce serait dommage de s’aliéner les meufs de l’Académie qui ont l’âge de t’intéresser. Pour l’instant t’es plus axée physique parce que vous avez pas encore eu l’occasion d’approfondir la conversation, mais ça devrait venir.

- Misha, conseillère slash psychologue. Je viens tout juste d’arriver et je commence seulement à rencontrer des collègues. Rencontre faite, donc. Enchantée.

Tu souris, remarques que tu risques de la croiser régulièrement, elle a surement un bureau près du tien. Bon à savoir, tu devrais sans doute… trouver un moyen de te présenter aux occupants des autres bureaux. La méthode à employer est encore un peu floue. Tu es sociable, mais tu restes une personne anxieuse et les présentations, quand elles ne se font pas naturellement comme à présent, sont une source d’angoisse sans cesse renouvelée quand tu arrives dans un nouvel établissement. Tu te vois mal frapper à la porte de chacun de tes collègues avec un sachet de papillotes et faire la discussion artificiellement pendant dix minutes avant d’aller voir ailleurs. Il y a bien une salle des profs. Mais t’es pas prof. Est-ce que c’est réservé exclusivement aux profs ? unclear. Pas la question, aussi. La question, c’est de savoir si tu viens de la piscine. Tu touches le bout de ton nez, qui malgré l’immersion dans l’eau chaude, est toujours frais, et hausses les épaules, léger sourire autodérisoire aux lèvres.

- Avec le recul, c’est complètement ce qui va m’arriver, il y a de grandes chances que je sois malade demain. Tout ça pour que je me rende compte en chemin que j’aurais pu faire n’importe quel autre sport avant les sources, et que je n’étais pas obligée de m’en tenir au thème aquatique. La prochaine fois j’irai frapper dans un sac, j’aurai moins froid.

L’eau chaude dénoue tes muscles, et la température contre ta peau est agréable, même si tu as effectivement eu bien froid en arrivant.

Les endorphines et l’eau chaude ramollissent ton cerveau et te font faire quelque chose d’un peu osé vis-à-vis de quelqu’un qui n’a pas donné de signes d’intérêt particulier.

- Vous venez souvent ici ?

Tu te rends compte de ce que tu viens de demander, sur le ton du flirt éhonté qui plus est, et l’embarras et la surprise se peignent violemment et sans ton consentement sur ton visage : tes yeux clignent, s’écarquillent légèrement et tu rougis brutalement.

- Ce n’était pas ce que je voulais dire. Pas exactement. C’était une vraie question. Je suis très mauvaise pour faire connaissance.


Puis, je sais pas, tu peux commencer par proposer le tutoiement, plutôt que de draguer directement et de façon toute pourrie en plus de ça.

02. Women want me. Fish fear me.

Elle se met à rire, et tu es soulagée. La situation aurait pu dégénérer très vite. Du type une plainte pour harcèlement sexuel alors que c’était vraiment pas l’objectif. Bon, en même temps, de qui c’est l’objectif exactement… mais vraiment, ton cerveau est allé moins vite que tes gestes, et ça arrive souvent. C’est la maladresse, tant physique que sociale, dès que le contexte cesse d’être professionnel. Mais tout va bien, Jo prend ça sur le ton de la plaisanterie, et tu te détends. Elle a un rire d’autant plus agréable à entendre que c’est le premier de la journée que tu réussis à décrocher de quelqu’un. Pas um étudiant.e, mais c’est 100% bon à prendre quand même. Puisqu’elle choisit d’emprunter cette direction, tu essaies d’éviter de penser au fait que tu as probablement les lèvres encore bleues à cause du froid, les cheveux plaqués sur le crâne, le cou et les épaules d’une façon tout sauf sexy, et que la peau pâle de ton visage est tavelée de rouge, en particulier au niveau des joues. C’est d’autant plus embarrassant de ressembler à un vieux chat mouillé qu’elle vend pour sa part du rêve. Ça ajoute un peu de rose à tes joues, mais tu décides de répondre sur le même mode, avec un haussement de sourcil significatif et un sourire en coin. Elle se recule et reprend, t’évitant ainsi d’avoir à trouver une réponse pleine d’esprit.

- Mince, ç’aurait été une information utile pourtant.

Elle t’a fait un clin d’œil, tu peux rester dans l’ambiance flirty. T’es pas obligée d’y aller au tractopelle, mais un petit peu saupoudré par-ci par-là ça fait de mal à personne. Comme elle a lancé la conversation en se présentant et qu’elle a répondu à tes avances de bourrin, tu te dis que tu peux trouver un sujet pour rebondir et lui lancer de quoi répondre à nouveau. Seul hic, t’es claquée et bourrée d’hormones post workout donc ton cerveau est agréablement vide. Compliqué, donc, de trouver un sujet de conversation pas trop nul, de préférence pas axé travail. Tu peux toujours faire une petite prétérition « je ne vais pas te demander quelles formations tu donnes, parce qu’on est les deux là pour se détendre », mais tu as l’impression que ce serait cheap. Le bon vieux « et tu lis quoi en ce moment ? » qui marchait dans ta jeunesse, quand tu passais la moitié de ton temps avec les nerds de ton établissement scolaire ne fonctionne plus vraiment maintenant, tu ne peux pas deviner qui a encore le temps de lire dans un environnement comme celui de Leoska. Tu pourrais lui demander si elle a eu une journée chargée, vu qu’elle a l’air fatigué, mais ça pourrait être pris comme un sympathique « t’as une sale gueule dis donc ! » ce qui n’est définitivement pas le cas, et pas l’ambiance sur laquelle tu veux partir. Tu vas pas non plus lui demander si elle sait à quelle heure les sources ferment, ou s’il y a des horaires spécialement destinés au personnel, ou toute autre question pratique, parce que c’est tout sauf intéressant comme conversation et que ça retombera forcément une fois qu’elle aura répondu. Les idées s’accumulent, tu les rejettes progressivement, et le temps commence à passer. Une quinzaine, vingtaine de secondes que tu essaies de remplir en t’étirant pour dénouer les muscles de ton dos. Aller, fonce.

- Je suis épuisée. Les journées sont toujours aussi intenses, ici ?

La foule n’est pas en délire. Tu n’es pas particulièrement satisfaite de ce sujet de conversation. Mais tu ne peux pas exactement appliquer les questions que tu utilises habituellement pour apprendre à connaître les usagers dans un contexte récréatif. Tu dégages tes cheveux de ton cou et essaies de les attacher avec un scrunchie galaxie que tu as au poignet. Peut-être que tu peux la distraire de l’inintérêt total de ta conversation avec un focus sur tes clavicules ou ta gorge et ton cou, qui sait.

02. Women want me. Fish fear me.

Tu souris, et gardes l’information en tête. Tu serais ravie d’avoir son numéro. Même au-delà du fait d’être horny on main, elle a juste l’air d’être globalement chouette, et intéressante, alors tu ne veux pas passer l’occasion d’apprendre à la connaître. Que ce soit dans le sens biblique du terme ou non. Donc tu te mets une alerte intellectuelle métaphorique pour ne pas oublier de récupérer ledit numéro en partant.

Tu ris brièvement, amusée par sa dernière réflexion, que tu comprends. C’est souvent les élèves les plus difficiles qui sont les chouchous du personnel, ce sont ceux qui montrent le plus leur personnalité et ça tend à les rendre plus attachants. De ton côté, tu as eu l’occasion de rencontrer quelques étudiants déjà, mais la situation n’est pas la même. Depuis que tu as commencé à en voir, tu n’as pas eu l’occasion de t’emmerder. Tous les cas sont différents, même s’ils ont tous quelques angoisses similaires, ce qui n’a rien d’étonnant. Certains seront plus difficiles que d’autres. Ils ont le mérite d’être variés, et tu ne penses pas que tu auras le temps de t’ennuyer.

- C’est le cas de le dire. J’aime travailler avec les jeunes, mais c’est toujours difficile de se dire qu’ils sont si jeunes justement, et qu’ils en ont déjà autant bavé. Et il y a de la demande ici, j’ai été contactée pour le suivi de plein d’étudiants, donc je n’aurai pas le temps de me tourner les pouces. C’est une bonne chose, je suis ici pour ça. Pour l’instant je n’en suis qu’au moment où je découvre les gamins dont je m’occupe, donc je n’ai pas encore appris à les connaître. Ce sera d’autant plus intéressant quand j’aurai franchi ce stade.

Enfin, malgré le fait que le boulot soit intéressant, il reste dur. Tu n’es pas là pour rien.

- Enfin, ça a beau être intéressant, après avoir passé la journée à entendre tout ce qu’ils ont à me dire, j’ai besoin de me vider la tête. Compartimenter. D’où la natation et les sources. Et toi ? patrouilleuse et formatrice, tu dois avoir un emploi du temps chargé aussi.

Tu t’étais dit que ce serait pas une riche idée de parler boulot et au final c’est exactement ce que tu fais. Tu espères qu’elle se sentira assez à l’aise pour changer le sujet si ça la saoule. Tu penses que oui, mais sait-on jamais.

- Désolée, j’arrive et je m’impose et en plus je parle travail alors que tu es très probablement là pour te détendre, c’est un peu con. Je suis curieuse mais on peut parler d’autre chose aussi.

Tu as envie de parler. D’apprendre à la connaitre. Tu espères que la réciproque est vraie. Même si t’as démarré la conversation comme un gros chien de la casse.  

02. Women want me. Fish fear me.

Faire tous les jours un truc différent… tu prends quelques secondes pour imaginer ce que ce serait. En est pleinement incapable. Tu as tellement l’habitude de ton travail où les têtes changent, et les méthodes employées également, mais pas l’environnement, et pas l’objectif, que tu as du mal à visualiser. Il y a bien des moments où tu ne vois pas des élèves, des moments où tu as des rendez-vous avec d’autres membres du personnel et que tu fais autre chose, mais la majeure partie de ton temps reste et restera occupée à parler à des élèves. Tu peux comprendre l’envie de voir des choses différentes, de faire des choses différentes. Mais la psyché humaine est si complexe et plurielle que tu n’as pas le temps de t’ennuyer de toujours être à la même place, dans la même pièce, quand tu es en train de travailler.

- Quand ils choisissent d’être quelque part, ça fait toute la différence. L’audience est pas la même du tout. J’ai des gamins qui viennent me voir par choix et d’autres à qui je suis imposée par l’Académie, et même si je viens seulement de commencer je peux déjà voir la différence. C’est pas le même environnement qu’une formation, mais à leur âge ils sont têtus, s’ils veulent pas être là ils le font généralement payer aux figures d’autorité. C’est bien qu’ils aient le choix. Tu donnes des formations sur quels sujets, d’ailleurs ?

Tu vois la différence entre les gamins qui déballent le plus d’informations possibles à la minute et ceux qui te regardent sans dire un mot, pendant tout le temps de votre rendez-vous. Ou qui te parlent de choses de surfaces, qui refusent de creuser et d’approfondir. Ce n’est pas une perte de temps, que ce soit pour eux comme pour toi, mais l’ambiance n’est pas la même. Il y a une tension qui s’installe dans la pièce. Tu leur laisseras le temps de s’ouvrir s’ils le veulent, mais c’est vrai que c’est parfois compliqué, pour eux comme pour toi. Tu détestes être impuissante, et c’est un trait de caractère que tu dois tout particulièrement garder en contrôle, parce que tu ne pourras rien faire pour empêcher tes patients de vivre leur vie, ce qui implique parfois de grandes souffrances, des décisions malheureuses et des déceptions. Tu dois séparer ta vie privée de ta vie professionnelle, même si c’est compliqué dans la mesure où tu vis là où tu travailles. D’où l’intérêt de commencer à rencontrer des collègues, d’ailleurs, ça te permettra de discuter d’autres choses, avec des gens de ton âge en plus. Te faire des ami.es, si tu es assez chanceuse pour ça, et que tu ne foires pas immédiatement la rencontre en étant awkward.

- J’ai une heure de midi à treize heures mais je la prends dans mon bureau pour l’instant comme je ne connais personne avec qui manger, et j’essaie de prendre cinq minutes pour faire des exercices de respiration entre deux rendez-vous. J’ai l’habitude du rythme, je faisais déjà ça quand je travaillais dans des établissements hors Leoska. Mais ça fatigue, c’est intense et il faut réussir à se sortir de ce que les gamins disent. J’avoue que j’envie le fait de pouvoir faire du sport pendant le service, mais je vais avoir du mal à faire des pompes et à prendre des notes en même temps. A shame. Je pourrais utiliser la pause de midi pour faire du sport, mais il faudrait que je prenne une douche entre temps, je sais pas si ça en vaudrait vraiment la peine.

Les journées sont intenses. Avoir une bonne pause est un fait, mais tu ne peux même pas trainer sur instagram pour t’occuper, et rester seule dans ton bureau n’aide pas à décompresser et à te changer les idées. Si tu sortais un peu pour voir où mange le reste du personnel – on te l’a indiqué mais ton sens de l’orientation laisse encore à désirer, et c’était à un moment de la visite où tu as arrêté de faire attention à ce qu’on te disait – tu pourrais sociabiliser, mais la perspective d’arriver devant une table avec un plateau repas et de demander si tu peux t’asseoir te terrifie encore autant aujourd’hui qu’elle ne le faisait quand tu étais élève. Quel cauchemar.
 

02. Women want me. Fish fear me.

C’est intéressant, ça, des cours de survie. Comme tu es bien insérée dans la société, tu n’as jamais vraiment eu de problèmes ; tu as un grand capital économique en raison des emplois de tes parents, même si tu essaies de ne pas trop y toucher, et tu as la double nationalité, ce qui te permettrait de fuir la France si ta situation devenait trop glissante. D’après ce que tu sais, personne ne t’a suspectée d’être mage, donc ta position n’a jamais demandé à ce que tu survives, justement, puisque tu peux confortablement vivre sans te poser de questions. Ce qui fait que tu ne survivrais probablement pas très longtemps dans un environnement inconnu si tu étais privée de ce qui te permet ce confort : carte d’identité, passeport, carte de crédit, permis, connexion à internet… donc ce que dit Jo’ t’intéresse. Ses cours sont ouverts aux membres du personnel. Ça vaut le coup de se pencher là-dessus si tes heures te permettent de suivre cette formation. Tu te demandes en quoi elle consiste exactement, et supposes qu’elle est plutôt englobante et large : tu doutes que Jo’ passe en revue les différents types d’insectes et de larves comestibles, mais c’est une possibilité à ne pas négliger. Tant que tu n’es pas obligée d’y gouter.

- Ça doit être super intéressant ! je suis une petite privilégiée, hors Leoska je m’en sors tant que ma couverture de non-mage tient, mais si elle venait à s’écrouler je serais foutue. J’ai aucune idée de comment survivre en étant une cible officielle. Si j’avais le temps je finirais par retomber sur mes pieds parce que je suis pas complètement incompétente, mais au début ce serait surement une grosse galère. Enfin, ça doit être le cas d’à peu près tout le monde.

Tu te demandes brièvement si elle donne ce genre de cours parce qu’elle a expérimenté firsthand ce qu’elle enseigne à ceux qui suivent la formation. C’est une question probablement bien trop personnelle pour une conversation de première rencontre, donc tu te gardes de la poser. En plus, ça ne te regarde pas.

- Je suis pas souvent dans la salle commune, elle me donne l’impression de retourner au lycée, et c’est pas une impression que j’apprécie particulièrement. C’est sympa de proposer, j’accepte avec plaisir.

Tu réfléchis un instant au nom qu’elle t’a donné, celui de sa meuf, mais secoue la tête quand rien ne te vient.

- Connais pas. Après, j’ai même pas pris le temps de lire les noms sur les portes, donc il y avait peu de chances que je la connaisse. Vraiment, je me comporte en sauvage depuis mon arrivée, je parle pas à grand monde. C’est con parce que j’ai pas vraiment eu l’occasion de me faire des potes de mon âge, jusqu’ici, donc autant être sociable. Mais c’est compliqué. Pareil, ça me donne l’impression d’être la petite nouvelle et de devoir me présenter devant toute la classe, c’est un cauchemar.

Bonjour, je m’appelle Misha Haäpalaïnen, j’ai 29 ans et je suis psychologue scolaire. J’aime dessiner et écrire, et me bourrer la gueule toute seule dans des bars. Sois mon ami.e. Nope, nope, nope. Could not nope harder. C’est pas envisageable. Alors que rencontrer Jo’ un peu au hasard comme ça, c’est plutôt tranquille ; ta tentative de flirt vaseuse n’a pas créé de malaise, et le courant (métaphore aquatique, got it ?) passe bien. Si vous réussissez effectivement à manger ensemble, tu auras même l’occasion de rencontrer sa partenaire et faire d’une pierre deux coups, c’est cool. La morale de cette histoire c’est que c’est plus simple de rencontrer des gens de façon ponctuelle et um par um, plutôt que d’aller chercher l’amitié dans les salles destinées au personnel. Tu pourras y aller quand tu seras sure d’y connaitre au moins une personne assez bien pour læ coller sans avoir l’air d’une grosse weirdo, ce qui est un art que tu perfectionnes encore.

- Vous vous êtes rencontrées ici ? c’est peut-être trop personnel comme question, j’arrive pas à définir.

T’es claquée, tu perds en facultés à lire correctement les codes sociaux. Peut-être trop tôt ? ça te parait pas si intime que ça comme question, mais on sait jamais.
 

02. Women want me. Fish fear me.

Tu hoches la tête. Les anti-mages attendront pas que t’aie pris tes marques pour te courir après si tu fais un faux pas et que tu finis dans leurs radars. C’est une évidence qui ne t’es pas exactement parvenue, parce que comme susmentionné : privilégiée. Au-delà de l’utilité d’une telle formation dans un cadre purement survivaliste, tu te dis que t’y inscrire pourrait te permettre de mieux comprendre le vécu de certains étudiants. Parce que tu as les connaissances sur nécessaires sur la façon dont se développent les trauma, la manière dont ils se manifestent et leurs effets sur la psyché, le comportement et le caractère de quelqu’un, à plus forte raison quand ledit trauma a eu lieu dans la jeunesse, mais tu n’as jamais essayé de te mettre à leur place. C’est un pari risqué, parce que l’objectif n’est surtout pas de t’identifier, mais juste… comprendre, ça peut être utile. Il y a les théories sur les trauma et les livres qui sont publiés sur le sujet, qui se concentrent sur une catégorie sociale, sexuelle, ethnique, etc., et il y a la réalité. Y a surement des ouvrages qui recoupent magie, trauma et jeunesse dans la bibliothèque de l’Académie, mais t’as tellement eu de choses à faire que tu n’as pas encore essayé de la dévaliser. Ça viendra, mais en attendant force est de constater que tu n’as pas ce vécu, et donc pas cette compréhension. En plus les livres c’est bien, ça tente d’être général mais dans les faits ça reflète pas la grande variété des personnes qui sont concernées. Des personnes avec plein de différences, et des troubles qui se mélangent en plus du stress post-traumatique d’avoir été confronté.es à des situations de survie comme celles que Jo doit enseigner. Tu notes dans un coin de ton cerveau que tu vas te renseigner sur le sujet, parce que ça peut être particulièrement utile.

- Ça m’intéresse… j’ai pas vécu ça et il va y avoir beaucoup d’étudiants qui viendront me voir avec des expériences similaires à ce à quoi tu dois former ceux qui assistent à tes cours… ça peut être pas mal de comprendre un minimum, de comprendre en tant que mage, pas juste en tant que psy qui lit des manuels de psycho écrits par des vieux mecs qui sont dans un entre soi réducteur et qui passent complètement à côté des réalités du monde, notamment quand on est mage. Je passe déjà à côté de pas mal de trucs, mais eux, c’est un délire. Comme dans n’importe quel domaine, hein. Mais, si tu prends de nouveaux participants, je pense que je serais intéressée pour participer à la formation. Selon mes heures, tout ça. Et si c’est OK.

Ça pourrait ne pas l’être, question de pas mélanger le privé et le public mais vous faites partie du personnel, dans un campus, vous vivez sur le campus, vous êtes dans votre propre entre soi, vous serez forcément amené.es à un moment donné à être potes, ou plus que potes, et à travailler les ums avec les autres. Pas possible que ça se passe autrement, pas possible de se glisser entre les mailles du filet. Après c’est vrai qu’il y a une différence fondamentale entre « cette meuf que j’ai croisée l’autre jour veut participer à mon cours » et « cette meuf qui m’a lourdement draguée et voudrait bien participer à mon cours ». Mais tu oses espérer que ça passera. En plus, ce sera toujours utile ce genre de cours. On sait jamais ce qui peut arriver dans la vie, à plus forte raison quand on est mage et qu’une grande partie de la population veut notre mort ou, au mieux, notre exploitation.

Tu notes « années d’activisme » et « raids » dans un coin de ton cerveau, parce que c’est des infos importantes, et hoches la tête de temps en temps pour montrer que tu suis et que t’es pas juste en train de te perdre dans ses yeux. Ce serait pas optimal comme mode de rencontre, d’oublier tout ce qu’elle te dit juste parce qu’elle est BG. Puis t’as quand même tendance à placer le caractère de la personne avant son physique, encore heureux, donc ouais, t’écoutes. Tu grimaces à sa question. Ça a l’air un peu con, t’es censée bien comprendre comment le cerveau fonctionne et maitriser un peu les codes sociaux. Dans les faits, t’es une grosse anxieuse sociale malgré le fait que tu aimes bien le contact, et t’as pas exactement eu beaucoup d’amis dans ta vie. Ceux que tu t’es faits en Finlande sont restés en Finlande, et maintenant que t’es à Leoska ça rend plus délicat le fait de se faire des visio de temps en temps. Et iels étaient deux. Et iels sont arrivé.es plutôt tard dans ta scolarité, donc t’as passé la majorité de ton temps virtuellement seule à te demander comment approcher les autres élèves. Comme t’étais pas douée, ça finissait assez régulièrement en disputes et en concours de baffes. Donc ouais. Et puis tu as appris à sociabiliser. Tu peux réciter des cours de théories du comportement, des trucs qui expliquent comment entrer en contact et faire connaissance avec quelqu’un. T’es pas foutue de l’appliquer. Tu peux aider les étudiants à le faire, les orienter vers des méthodes pour s’intégrer. Toi ? hahahahahahaha. Ha.

- Je pense que je suis une quiche avec ça parce que mes expériences passées ont toutes été… meh. Non, j’exagère, pas toutes. Mais le peu de gens de mon âge qui m’apprécient, ça s’est fait un peu au hasard. Là, aller directement voir les gens, dans l’objectif d’apprendre à les connaître… ‘fin je veux dire. Maon meilleur.e ami.e, je l’ai rencontré.e en prenant son parti dans un combat au bar qui a dégénéré. J’ai vécu sur son canapé pendant plus d’une semaine après ça parce que j’étais trop mal pour bouger et rentrer à l’internat où on m’aurait éclaté pour être sortie et m’être battue. Ils m’ont éclatée que parce que j’étais sortie, donc, yay, victoire. Anyway. Ça rapproche direct, et c’est pas exactement « bonjour, je m’appelle Misha, je travaille dans tel domaine et j’aime telles activités ». C’était plutôt tape d’abord, bitch ensuite et présente toi à la fin. C’est plus… organique. On s’est posé les questions traditionnelles après s’être rendu.es compte qu’on avait des valeurs en commun.

Après tu peux commencer par là hein, ce sera juste hyper bizarre. « Bonjours, je m’appelle Misha et je suis persuadée que la lutte doit être intersectionnelle et que les hommes à la poubelle ». OK, tu vois que ce serait pas si bizarre que ça si tu essayais présentement, avec Jo. Mais c’est parce qu’elle est chill, et que tu doutes qu’elle t’envoie de l’eau à la gueule si tu mentionnes ta misandrie.

- ‘fin ouais. J’ai de l’anxiété sociale. Je sais comment on fait mais comme j’y arrivais pas, baaaah… j’ai arrêté d’essayer ? trop l’angoisse. Mais les gens ont l’air moins cons ici, ce sera p’t’être moins compliqué. C’est pas trop compliqué, là, actuellement, par exemple.


Si on oublie le move « et vous venez souvent ici ? » parce que ça c’était le pinacle de la gaucherie. 

02. Women want me. Fish fear me.

Tu n’as pas besoin de trop réfléchir à sa question. Effectivement, tu es plus partisane d’une méthode douce dans tes thérapies, ce qui ne colle pas avec l’image que tu te fais des formations qu’elle doit donner. Tu ne la vois pas exactement avec un sifflet à crier sur des ados en larmes, mais tu es prête à envisager que ça se passe comme ça. D’un point de vue purement psy, c’est pas la méthode la plus douce en effet, mais les cours n’ont pas de visée thérapeutique, justement. Le cadre n’est pas le même, donc les attendus et l’ambiance ne sont pas les mêmes. Tu hausses les épaules, en profite pour faire craquer ta nuque et déloger une partie des tensions accumulées à avoir le nez tourné vers un calepin toute la journée.

- On n’a pas la même fonction, et je pense qu'il vaut mieux être un peu secoué.e mais capable de rester en vie que choyé.e mais en camps en dix minutes. Je suis là pour ramasser les morceaux si tes interventions leur font comprendre qu’ils seront toujours en danger à cause de leur identité. Mieux vaut que ça les choque à un moment où ils peuvent bénéficier d’un accompagnement psy que quand ils seront lâchés dans la nature, je pense.

Ce qu’elle dit ne t’étonne pas particulièrement. Que tout le monde ici soit un angoissé de la vie semble assez logique, entre vos responsabilités vis-à-vis de toute une population de gamins, certains bien paumax, vos vécus respectifs qui peuvent être très tendus, le danger d’être qui vous êtes, tout ça. Savoir qu’iels sont assez matur.es pour respecter les différentes manifestations des traumas des ums et des autres, une compréhension des angoisses qui peuvent changer de formes d’une personne à l’autre, est une nouvelle chaleureusement reçue. Ça n’éradiquera pas ton angoisse, mais tu te sentiras peut-être à l’aise avec les autres membres du personnel que tu ne l’aurais été si tu avais dû t’en rendre compte par toi-même.

Tu te laisses un peu couler dans l’eau, jusqu’à ce qu’elle t’arrive juste en dessous du nez. Assez pour respirer, mais aussi pour réchauffer le bas de ton visage et les lobes de tes oreilles tout en étant en capacité de l’écouter parler. Un sourire se dessine sur tes lèvres quand elle mentionne la castagne. Ça fait plusieurs années que tu n’as pas pris parti à, ou instigué, un pugilat, et l’idée, si elle est tentante, est surtout amusante. Enfin, plutôt la perspective qu’elle ne voie aucun problème à ce que tu ailles te battre avec tes collègues. Y en a surement des lourds. Y a forcément des hommes qui ont un comportement d’homme et qu’un tabouret dans les dents pourrait améliorer, mais t’es pas sûre de ta longévité à l’Académie si tu te lances dans ce genre d’entreprises en salle des profs. Pour peu que tu sois autorisée en salle des profs. Tu te redresses pour pouvoir lui répondre, l’air toujours aussi amusé et enjoué.

- Je peux distribuer des tracts : « nouvelle psy cherche ami.es avec qui tabasser de gros mascus dans des bars. Pas d’expérience demandée », et « groupe d’adultes cherchant à apprendre à se connaitre cherche gros mascus à tabasser dans des bars. Pas d’expérience demandée ». Qui sait, peut-être que j’aurai plus de succès qu’avec les méthodes traditionnelles. Ça ou un bar, d’ailleurs. Y a des coins que les mages ont investis dans la ville et qui sont safe pour rencontrer du monde ? avec quelques shots dans le bide l’anxiété sociale sera moins un problème.

Tu t’attends à une réponse positive. Et si réponse positive il y a effectivement, tu en profiteras pour lui glisser une invitation. Ça fait brenique qui s’accroche à la première personne cool qu’elle rencontre ? T’es pas sûre. Enfin au moins tu passeras pas une semaine sur son canapé. En principe. On y croit, fingers crossed.