Précédemment :  Ingi's Fall



Cette nuit, mon sang bout. Mon corps hurle.

Cette nuit, je danserai porté par un chant que les démons me chuchotent.

Cette nuit, je laisserai s'exprimer ma rage.

Et quand tout baignera dans les flammes, enfin, je pourrai dormir dans leurs ombres.


Les préparations prennent du temps, mais ça tombe bien, je n'ai rien d'autre de prévu. Je n'ai plus rien.

Il a fallu rassembler tous les objets qui composeront le bûcher de ces mémoires sales. Tout ce qui est lié à lui, tout ce qui est lié à nous et, plus important encore, tout ce qui est lié à ça.

Tout ce qui est lié à Ingi, qui m'a abandonné.

Tout ce qui est lié à notre amour, que j'ai perdu.

Et tout ce qui est lié à ce parasite, qui en est la cause.


Le cadre de ce lit magique, raison de ma rencontre avec Ingi.

Les cadeaux qu'il m'a fait, durant cette année auprès de lui.

Et les peintures. Toutes les peintures de ce monde que je croyais avoir créé pour moi et qui est en réalité la demeure d'un monstre.

De mon monstre.

Tout est empilé, dans cette cour. Un an de souvenirs, rassemblé devant moi. Un an qui s'est écoulé, qui s'est entièrement vidé en moins d'un mois.

Un an qui m'assèche autant qu'il m'a nourri, un an qui me brise par tout ce qu'il a construit.

Un an qui me vide, tant il est rempli.


L'avantage, c'est que ces objets sont, de base, assez combustibles. Il ne faudra pas beaucoup d'aide extérieure pour que tout prenne merveilleusement feu.

Mais pas maintenant, non. C'est trop tôt, j'ai un rituel à faire.

J'ai devant moi une dizaine de peintures de ce lieu. De ce foutu lieu maudit, forêt terrible et son loup monstrueux.

"Salaud de squatteur, je sais que tu m'entends, je sais que t'es là, toujours là, vautour de mes pensées. Cette nuit, j'te fous dehors et je brûle ta maison."

*Heh, tu n'oseras jamais, c'est ta création, ton premier enfant. C'est ton lieu de repos autant que mon lieu de vie.

Je te connais, Elias.

Tu n'oseras pas.*

"Tu dis me connaître, mais tu ne connais rien. Tu n'es rien. Tu as volé un nom, vu passer des souvenirs. Tu as vécu moins d'un an et détruit plus que ce que tu ne pourras jamais créer."

"Je ne me connaissais pas il y a un an de cela. Je ne me connaissais pas il y a à peine un mois. Je sais désormais de quoi je suis capable, et c'est grâce à toi. Tu ne me connais pas, tu n'en as pas le droit."

Il est étonnamment facile de se procurer de quoi lancer un joli feu, dans cette école. En même temps, les produits inflammables sont légion dans de multiples domaines. Notamment dans certaines peintures.

*Arrête, idiot ! Qu'est-ce que tu crois accomplir avec ça ? Une vengeance mesquine ?*

"Dans mes rêves et dans mes pas, je lie ce que l'on ne voit pas."

Je jette les divers produits inflammables sur le tas sommairement formé.

*Non, Elias, stop ! On pourrait faire tellement, main dans la main, écoute-moi !*

"Dans mes rêves et dans mes pas, je lie un monde et son éclat."

Je prends une allumette dans ma main. Un briquet aurait pu être plus pratique, mais la mise en scène compte, pour ce genre de situation.

*Elias, s'il te plaît, écoute-moi, il est encore temps de réparer... Au moins quelque chose. Je pourrais t'aider à lui parler, tu sais.*

"Dans mes rêves et dans mes pas, l'ambre est partie, la lune s'en va."

L'allumette s'enflamme, par un frottement sur la boîte.

*Elias, pitié, arrête-toi...*

Je la jette. Elle tombe sur la pile de bois maculée d'éthanol.


Et les flammes dévorent le passé. Je danse et hurle devant ce feu de joie. Et dans mon esprit, le lien se fait.

Ambrelune prend feu.

La voix de mon contrecoup hurle quand le nid douillet de mes rêves est pris dans le brasier. La douleur me rattrape peu après. Il est assez peu agréable d'agresser directement un pan entier de ma psyché, semble-t-il, car les hurlements semblent s'estomper.

Ou bien, c'est juste la douleur qui prend de l'ampleur. Un crâne qui menace d'exploser sous la pression, une cocotte-minute qui proteste vivement face à la chaleur qu'on lui impose.

Des idées qui deviennent floues, un corps qui proteste. Une danse qui s'arrête et un Elias qui tombe.

Tout baigne dans les flammes et enfin, je peux dormir dans leurs ombres.