Tu t’accoudes au bar d’un air chancelant, tentant de reprendre ton souffle après ce que tu penses être une incroyable performance de danse. Ce qui est le cas de ton point de vue, peut-être moins de celui des autres. Tu mets ton visage dans tes mains le temps de tenter de remettre tes idées en place, même si la quantité d’alcool présente dans ton corps rend la tâche presque impossible.

Tu prends ton téléphone dans une tentative désespérée que tes messages puissent t’aider à replacer quelques éléments et tu souris en voyant le nom de Mordred. Votre relation n’avait pas très bien commencée, tu souhaitais simplement retrouver ta sœur et tu étais très vite tombé sur lui. Il n’avait pas maché ses mots et franchement, tu l’avais détesté. Puis était venue cette sombre histoire de pari, celui de croire que ton pouvoir aurait pu le faire aller mieux. Tu en étais totalement convaincu à ce moment-là, lui était très sceptique. Mais il s’est laissé entrainer dans le jeu et vous vous êtes mis à vous voir régulièrement. Très régulièrement. Tous les jours en fait. C’était compliqué, surtout pour ton contrecoup qui a ravagé ton corps. Tu grimaces un peu à cette idée et choppe un verre pour le vider, comme si ajouter encore un peu d’alcool à tes problèmes les feraient disparaitre. Si c’était le cas, tu ne serais peut-être pas aussi bourré à l’heure qu’il est. Tu tentes de ne pas faire attention à tes cicatrices qui semblent soudainement devenir sensibles au frottement du tissu alors que tu leur prêtes attention.

Tu reportes ton attention sur ton portable et retrouve un semblant de sourire à la vue du petit cœur apposé au nom de Mordred. Votre histoire aurait pu très mal tourner si Saph n’était pas intervenu. Il se trouve qu’un soir, dans ce qui au premier abord semblait être un jeu, tu avais finis par avouer ton attirance à Mordred et lui sa réciprocité. Pas l’attirance physique que tu ressens habituellement, non, Mordred n’est pas de ceux avec qui tu veux simplement te cramer les neurones, te faire plaisir jusqu’à oublier. Il t’es bien plus précieux que ça, il mérite beaucoup mieux à tes yeux. Or tu lui avais fait du mal avec ton pouvoir, une espèce de relation d’addiction s’était créée entre vous, coupée nette par une intervention externe. Ce fut dur. Très dur. Tu soupires et bois encore un verre, après tout il y a toujours de la place pour un verre en plus. Ta apprécie ta relation avec Mordred mais tu sais à quel point elle est houleuse et fragile, à quel point elle peut vous faire tellement du bien tout en vous détruisant. Mais c’était fort et beau. Vous avez réussi à communiquer, à échanger, et tout va pour le mieux. Du moins pour vous deux. Non, pour toi aussi. Après tout, tu es bien en train de t’amuser, conquérir et boire en profitant de ta soirée ? Qu’est-ce qui pourrait ne pas aller.

Tu ne distingue plus bien les messages, tu sais que tu en as envoyé à Mordred mais impossible de les relire. Tu te dis qu’il est peut-être temps de rentrer, tu as profité et tu sens soudainement la fatigue tomber sur tes épaules. Tu ne sais pas comment tu parviens à récupérer ta veste et à te frayer un chemin à travers la foule, mais tu finis par réussir à respirer l’air frais à l’extérieur. Tu passes de nouveau une main sur ton visage, comme si cette fois-ci ça allait être plus efficace pour te réveiller. Elle est pleine de paillettes quand tu la retires et tu pousses un juron. Ton maquillage doit être sacrément ruiné à l’heure qu’il est. Tu fais un pas, prêt à prendre le chemin du retour avant de trébucher et tomber tête la première par terre. Il n’y a plus de bar pour soutenir ton équilibre précaire et tu te redresses péniblement. Quelqu’un te demande si tu vas bien et tu fais un vague signe de tête, lui indiquant que tu cherches ton téléphone. La personne le trouve avant toi et tu la vois contacter quelqu’un. Tu la laisses faire, après tout elle cherche peut-être une amie… ou pas, étant donné qu’elle vient de te dire de ne pas bouger. Tu la regardes avant de décider que ce n’est pas une mauvaise chose de faire une pause avant de rentrer. Tu prends l’eau qu’elle te tend et bois à longs traits, toujours assis par terre.  

Tu vois arriver celui que tu pourrais presque appeler l’élu de ton cœur à ta hauteur. Tu as encore la présence d'esprit de ne pas le prendre dans tes bras, bien que l'envie ne te manque pas. Tu ressens d’abord une immense joie tout de suite suivie par un sentiment un peu plus dérangeant, un mélange de surprise et de honte. Surprise parce que Mordred n’est pas du genre à sortir à cette heure, encore moins pour venir ici. Honte parce que tu commences peu à peu à prendre conscience de l’état désastreux dans lequel tu es. Encore. Le ton acerbe de Mordred n’arrange rien.

« Je… Je pensais que tu l’aurais deviné avec les messages. Mais tu n’étais pas obligé de venir, c’est très gentil de ta part mais je te dérange peut-être. »

Après tout il avait une vie lui aussi, et peut-être autre chose à foutre que de venir ramasser les déchets sur le trottoir. Enfin, le déchet pour être plus précis. Tu ne réponds pas à sa question et te hisses sur tes pieds, toujours chancelant mais debout. Tu as déjà été dans des états plus terribles, au points de ne même plus pouvoir ramper au sol. Tu es bien amoché mais tu n’as pas encore atteint ton maximum.

« Comme ça je réponds à ta première question. La deuxième heu… » Tu retiens un haut-le-cœur. « Je t’avoue que là ça me parait compliqué de savoir ce que j’ai bu, déjà parce que sobre j’aurais du mal à te répondre mais là globalement je crois qu’il n’y a qu’un bonhomme qui danse la zumba dans ma tête. »

Tu pouffes de rire à ta propre remarque. L’image t’amuse, après tout c’est marrant d’imaginer un petit bonhomme qui danse dans ton esprit, chassant toutes les autres pensées. Tu arriverais presque à le visualiser, avec son petit débardeur rose rentré dans un short vert flashy… Tu coupes ton flux de pensées pour revenir à Mordred.

« J’allais rentrer de toute façon, tu veux faire le chemin du retour avec moi ? »

C’est toujours agréable le déni. Evidemment qu’il va faire le chemin du retour avec toi, étant donné qu’il y a de grandes chances qu’il soit là pour toi. C’est adorable et relou à la fois. Adorable parce qu’il s’inquiète et qu’il ne s’est pas encore barré parce qu’il en aurait rien à foutre, relou parce qu’il n’a pas à prendre le rôle de nounou auprès de toi. Tu fais un pas, vacille, lui fait un grand sourire avant d’en faire un deuxième. Lentement mais sûrement.

Le soupir agacé de Mordred te fais redescendre de l’euphorie dans laquelle tu est depuis qu’il est arrivé. Toi qui étais content de le voir, tu es maintenant sûr de l’absence de réciproque. Tu prends appui sur lui quand il passe un bras autour de ta taille sans avouer que tu es plutôt content que tu le fasses parce que ça te stabilise bien mieux que tes propres jambes. Tu essaie de te concentrer sur ses questions, il y en a beaucoup et tu aimerai bien ne pas en oublier en route. C’est mignon de sa part, il te demande si tu as passé une bonne soirée et pourquoi tu es là. Presque de quoi te faire oublier l’angoisse qu’il vient aussi de mentionner.

« Je tente une réponse ordonnée. Je tente, je ne sais pas si je vais y arriver. Heu… Non, je sais que tu serais venu m’aider, mais franchement c’est parce que t’es absolument méga trop trop gentil et le mec parfait et donc t’es venu. Mais tu aurais pu me laisser là hein j’aurais compris aussi. Je serais bien rentré à un moment de toute façon. »

Oui, ça tu serais rentré, ça ne fait aucun doute, mais sûrement après avoir passé une nuit dans un buisson que tu aurais trouvé extrêmement confortable. Tu fronces un peu les sourcils en essayant de te souvenir de la suite. Y’avait un truc négatif dans le lot, avant de savoir si tu as passé une bonne soirée.

« Attends, t’as dit un truc il est au bord de mon cerveau je vais m’en souvenir, promis, je voulais y répondre parce que ça avait l’air super important quand tu l’as dit… »

Tu lèves les yeux vers lui en te disant que ça rafraîchira peut-être ta mémoire mais de voir cette statue grecque devant tes yeux fini d’achever ta capacité de réflexion et les détourne du chemin qu’elles avaient pris.

« Tu sais que tu es incroyablement beau ? J’ai vraiment une chance de t’avoir, et pas juste parce que t’es beau. Nan mais vraiment, comment un mec comme toi peux accepter d’avoir un mec comme moi. Regarde-toi, t’es intelligent, t’es savant sur plein de trucs, t’as une expression incroyable quand tu parles d’un truc que t’aime… »

Tu souris d’un air béat. Tu t’estimes vraiment très chanceux de l’avoir. Ta vision se floute un peu alors qu’un vertige te prend. C’est peu agréable d’avoir l’air bébé faon qui ne tient pas sur ses jambes et qui ne sait pas comment se déplacer. Tu tentes de recentrer tes pensées et tu te souviens des quelques questions posées par Mordred.

« Ah oui attends ça me revient. Je n’étais pas seul, on est jamais seul il y a toujours plein de monde autour. Mais je suis venu jusqu’ici seul oui, c’est plus facile pour faire des rencontres, tu n’as d’attaches avec personne. Et ouaiiiiiii graaaaaave, la soirée était trop biiiiien y’avait de la musique trop cool. Et pourquoi un évènement spécial ? J’ai pas besoin d’avoir un évènement spécial pour aller boire en boîte, c’est juste pour m’amuser. »

Tu fais un immense sourire. Tu n’es même sûr de la musique qui est passé, simplement qu’elle t’as assez tapé dans le crâne pour amortir tes émotions. Tu exprimes ça comme de l’amusement mais quand tu le prononces tu n’es pas très convaincu.

Tu le vois tourner la tête mais tu n’es clairement pas en état de comprendre que c’est à cause de tes compliments ni de voir que le tout a été accompagné d’une rougeur grandissante. Tu arrives toutefois à percevoir qu’il se force à prendre une grand inspiration, peut-être pour mieux humer l’air frais ?... Tu lui fais un immense sourire quand il te retourne tes compliments.

« C’est très gentil de me dire tout ça. Mais bon, c’est pas moi qui suis obligé de te ramener comme un déchet après une soirée trop arrosée. Puis je me suis déjà vu dans un miroir mais franchement je ne me fais pas autant d’effet que tu ne me le fais. C’est compliqué de tomber amoureux de son reflet, puis je ne voudrais pas faire un remake de Narcisse. »

Le sourire qui flottait sur tes lèvres disparait très vite quand la suite parvient à tes oreilles. Le ton doux de Mordred ne change absolument rien à ses mots, il ne les amorti même pas. Tu te les prends en pleine face et tu accuses le coup. Alcoolisme, les addictions, pire… Tu sais tout ça mais tu n’aimes pas qu’on te le dise, encore moins quand ça vient de Mordred. Ça fait toujours plus mal quand ça vient de quelqu’un que l’on aime. Tu sens son étreinte se desserrer un peu et tu en profites pour te dégager totalement. Tu es encore un peu chancelant mais tu n’as pas envie de rester collé à lui. Tu prends le temps de réfléchir un peu à la réponse, mais ton esprit embué n’aide pas. Tu n’as juste pas envie de t’énerver, pas encore.

« Oui je me suis amusé. Peut-être que je peux aussi oublier comme ça mais ce n’est pas la source principale de ma consommation. Je ne buvais pas seul, je te le redis mais j’ai fais des rencontres en boite. Le lieu s’y prête, ce n’est pas comme si je m’enquillais des bouteilles seul chez moi, assis sur le sol. »

Tu secoues la tête. Tu y avais déjà pensé mais tu t’étais toujours refusé à le faire, de peur justement de tomber dans une certaine forme d’addiction. Il était hors de question d’en arriver là, tu ne laisseras pas ça arriver. Mais l’inquiétude de Mordred qui semblait déjà te voir comme un futur alcoolique te tapait sur les nerfs bien plus que tu ne l’aurais voulu.

« Mais tu peux aussi dire que je vais finir alcoolique, écoutes, on n’est plus à ça près. Quand à mes addictions, je te signale que je me suis sevré de pas mal de choses. Je sais que j’ai eu des problèmes mais je ne vais pas me priver de tout sous prétexte que je dois faire attention à mes addictions. Je suis juste bourré Mordred, c’est pas la mort franchement. »

Juste bourré. Tu ne précises pas la régularité avec laquelle tu finis dans cet état, tu ne veux pas y penser.

Tu serres les poings, te retenant de ne pas lui balancer à le gueule que si ça ne lui allait pas il n’avait qu’à aller voir ailleurs. Ou se faire foutre, au choix. Mais tu sais que ce n’est pas de sa faute, et que ce n’est pas à lui qu’il faut s’en prendre mais plutôt à toi. Parce qu’au fond tu sais qu’il a raison. Tu t’es drogué aux glyphes et ça ne sert à rien de se voiler la face, parfois ça te manque encore un peu. Le paysage te manque, la sensation d’apaisement aussi. Cependant la seconde remarque sur sa conception des relations charnelles te fais serrer la mâchoire, au point où tu doutes de pouvoir la desserrer pour lui répondre. Evidemment que tu l’inquiètes, il tient à toi maintenant mais il n’aurait jamais dû. Pas pour toi, pour lui. Pour son bien-être, pour sa santé, pour beaucoup d’autres choses, il n’aurait pas dû. Tu ne démordras pas de cette idée.

« Ouai, ouai, je consomme les gens, vois ça comme tu veux. Je pense que ça ne fait de mal à personne, ni à eux, ni à moi, ni à toi. Ou alors tu aurais quelque chose à me dire ? Je pense que je t’ai quand-même montré, et je continue à le faire, que non je ne consomme pas « comme des cigarettes », que je suis capable de faire des efforts. Ou alors tu les juges insuffisants ? Je ne vais pas m’empêcher de vivre Mordred, je ne peux pas ne plus rien toucher, ça me rendrait infiniment triste. »

Tu sais que tout est propice à addiction. C’est bien ça le problème, t’es tellement enfoncé dans ta merde et dans tes problèmes jusqu’au cou que de toute façon, à moins de t’enfermer dans une pièce vide, dans le noir et attaché, tu trouverais un moyen pour retomber dans une nouvelle addiction. Ça t’occupe l’esprit, ça te détourne des réels problèmes et tu en as conscience. Tout comme tu as conscience du mal que ça cause. Tu soupire à sa dernière remarque.

« Je n’allais pas demander à des conquêtes d’un soir de me raccompagner Mordred, ça n’est pas dans mes habitudes. Ce n’est pas le but. Tout comme je ne t’ai pas demandé, même si je t’en remercie, de prendre cette responsabilité. Ce n’est pas moi qui t’ai appelé. Et je m’arrangerai pour ne pas le faire si jamais ça recommence. »

Tu prends vraiment sur toi une nouvelle fois pour ne pas lui dire de se barrer s’il n’était pas content. Bizarrement, le ton froid de ton compagnon a légèrement levé la brume de ton esprit et tu ne veux pas une nouvelle fois que tes problèmes amènent à une dispute qui mettrait Mordred mal. Bien qu’il le soit déjà, tu remarques qu’il est tendu et tu te doutes que tu n’es pas pour rien dans ce que tu penses identifier comme étant un mélange de peur et de colère.

Tu hoches simplement la tête quand il te demande s’il peut prendre ta main. Tu ne peux pas lui refuser ce contact, tu en as besoin malgré la sourde colère que tu ressens. Tu sais que ton sentiment n’est pas justifié et que l’alcool exacerbe tes émotions. Tu te concentre donc sur ta respiration pour te calmer tout en serrant la main de Mordred pour t’ancrer. Tu ne réagis pas à sa blague et lui rend un faible sourire, peu convaincant.

Tu sens les larmes venir quand il commence à parler de tes efforts. Le soucis c’est que ça a t’énerve encore plus, tu ne veux pas réagir comme ça, tu ne veux pas t’effondrer. Tu es solide, tu ne craqueras pas. Pas maintenant, pas après tout ce que tu viens de lui dire. Toi aussi tu aimerais te voir libéré et épanoui.

« Je… je suis touché par ta présence Mordred. Je ne veux pas qu’on ai cette conversation une énième fois, de toute façon on en reviendra toujours au même. Je t’aime, tu le sais. Et tu me le rends si bien. Je ne veux juste pas qu’on se fasse de mal, effectivement la situation n’est pas idéale, en grande partie à cause de… mon train de vie. »

Non. De tes conneries. Tu aurais pu le dire, Mordred le sait très bien et ça ne sert à rien de te voiler la face. Mais c’est encore trop dur à dire, trop dur à assumer. T’es là, chancelant et complètement bourré au milieu de la route, c’est pourtant le moment idéal pour assumer que tu fais de la merde. Mais évidemment que tu n’en as pas le courage, ça serait trop amusant.

« Oui je vais voir un psy. Il m’a dit que j’avais besoin de temps, mais que ça évoluera parce que j’en ai envie. »

Du moins pour les addictions dont tu lui avais parlé. L’alcool et les… autres n’ont encore jamais été mentionnés dans vos discussion. Tu ne te sentais pas encore d’en parler, la frontière entre le plaisir et l’addiction étaient encore trop fins pour que tu puisses faire une nette différence. Une larme finit quand-même par couler, tu la chasses rageusement.

« Je sais… Et je le ferais. Mais ça ne recommencera pas. Ou pas autant. Je t’aime aussi Mordred, et même si actuellement je suis un déchet, je serais là pour toi aussi. Je veux être là pour toi. »

Le regard de Mordred sur toi et la pression de sa main sur la tienne n’arrange pas les choses et d’autres larmes coulent. Tu t’agites un peu, mal à l’aise. Si Mordred n’est pas doué pour te réconforter, toi tu ne l’es pas dans l’expression de tes sentiments. Tu secoues un peu la tête, chasse de nouveau les larmes et tente de nouveau un sourire. Il est un peu plus convaincant.

« Non, enfin oui j’ai le droit mais j’ai pas envie. T’es là, c’est tout ce dont j’ai besoin là maintenant. »

Et de vomir aussi. Tu commences à te sentir vraiment brassé mais tu sais à quel point ça répugne Mordred, tu te concentres de nouveau sur ta respiration. Evidemment, à boire autant tu sais qu’il y a un risque à ce que ça ressorte. Tu fermes brièvement les yeux. Ça va aller. Tu les rouvre pour répondre à la magnifique créature qui te tient encore la main.

« Je ne veux pas me faire passer en priorité. Je vais prendre soin de moi si tu y tiens, mais je veux aussi prendre soin de toi. A égalité. Je ne supporte pas tout, tu as d’autres personnes dans ta vie. Sûrement moins toxiques que moi d’ailleurs. »

Tu souris de nouveau, sans te forcer cette fois-ci.

« Je crois que j’ai effectivement dépassé mon record de je t’aime, mais tu les mérites amplement. Mais sobre c’est une bonne idée. Normalement je me souviendrais oui. J’oublie rarement, surtout quand c’est aussi important. Je pense. J’aurais retenu l’essentiel. Et je veux bien qu’on dorme ensemble. »

Tu gardes sa main dans la tienne et avance de nouveau, toujours un peu hésitant mais un peu plus rapidement que tout à l’heure. Vous rentrez chez Mordred et, après une vingtaine de minutes passées aux toilettes, tu finis par revenir t’allonger et t’endormir.


**


Tu te réveilles le lendemain avec un mal de tête atroce. Tu as l’impression que le moindre bruit, même celui des draps contre tes vêtements, est trop fort. Tu gardes les yeux fermés en te mettant sur le dos, un bras au-dessus du visage. Tu pousses un léger grognement, le mouvement n’aidant pas à la douleur. Tu n’ouvres toujours pas les yeux mais chuchote pour ne pas réveiller Mordred s’il ne l’est pas déjà.

« Mordred, t’es réveillé ? »

Mordred n’attend pas trois secondes avant de se glisser hors du lit et ouvrir la fenêtre en grand. Tu grognes de nouveau à cause de la lumière et te caches sous la couette. Il revient se mettre à côté de toi et tu savoures sa proximité. Ça fait du bien de le sentir proche de toi dans l’état dans lequel tu es. Pas seulement parce que tu as une sale gueule de bois, surtout parce que la tristesse sourde d’hier n’est pas partie.

« Bonjour à toi aussi chéri, par contre vraiment la lumière là comme ça t’étais pas obligé. J’ai super mal au crâne, mais je pense que ce n’est pas une surprise. Blackout je pense pas, enfin la soirée en boîte tout ça je n’ai plus les détails mais… j’ai notre conversation. »

Les grandes lignes. Le principal. Bon, tu as quelques bribes, quelques phrases qui te reviennent, des mots doux et des mots accusateurs qui te reviennent, pas forcément dans l’ordre ou dans des phrases. Ça te permet quand-même d’en garder le sens principal. Et puis les émotions, la colère et la tristesse, un peu d’angoisse aussi, elles elles sont restées.

« Ce dont j’ai besoin là tout de suite je dirais une bonne douche parce que franchement je ne dois pas sentir la rose. Et d’un truc frais à boire. Et une discussion aussi. Dans cet ordre-là. Je peux t’emprunter des vêtements ? »

Tu sais que tu ne pourras pas formuler tout ce dont tu as envie avant. Tu files à la douche avec les vêtements sous le bras et laisse l’eau chaude couler sur toi un moment. Si elle lave ton corps, apparemment elle ne peut pas décrasser ton âme. Tu soupires, conscient que la discussion que tu veux mener va être désagréable, encore plus avec la douleur lancinante à le tête qui ne disparait pas. Tu te brosses rapidement les dents puis ressort. Tu rejoins Mordred, qui est en train de ranger la chambre, un verre d’eau à la main.

« Est-ce que tu as besoin que je t’aide ? Merci pour cette nuit, je… je sais à quel point ça peut être pénible de dormir avec quelqu’un qui a un peu bu et… ouai merci. Et désolé. »

Tu vides le verre et passe une main dans tes cheveux en soupirant. Tu te sens un peu con, un peu coupable aussi.

« Ecoute, je n’étais pas en état hier mais il faut qu’on parle. Sérieusement. »

Il était temps de jouer cartes sur tables. Votre relation ne partait pas dans la bonne direction, les non-dits étaient trop grands et tu comptais bien changer cela avant qu’une catastrophe n’arrive. Que tout ça aille trop loin.

Tu culpabilises un peu quand le sourire de Mordred s’efface. Tu ne voulais pas forcément instaurer une ambiance angoissante, ni même négative, mais tu ne pouvais pas laisser le sujet suspendu entre vous sans jamais le mentionner. Tu t’assoie en face de lui sur le lit et lève des yeux doux.

« Je te mentirais si je te disais qu’elle m’a plu. Mais je ne pense pas qu’elle t’ait plu non plus, Mordred. Evidemment que la partie où je te disais je t’aime, et toi aussi, et tout cet amour, je ne peux que continuer à les savourer. Par contre il y a des choses que l’on se dit à demi-mot depuis trop longtemps, des douleurs qu’on se cache, autant de mon côté que du tien. »

Tu triture un peu le drap et baisse la tête dans un soupir. Tu n’aimes pas les discussion sérieuse, tu détestes ça même. Tu as envie de faire une blague, histoire de dédramatiser, mais ça serait encore pire dans le contexte actuel. Tu continues à froisser le tissu entre tes doigts alors que tu trouves le courage de lever de nouveau les yeux vers lui.

« Je… J’ai envie de que ça marche. Je te l’ai déjà dit. Honnêtement, si je m’en foutais, je ne voudrais pas avoir cette discussion pénible mais nécessaire. Je nous aurais laissé brûler à petit feu. Sauf que ce n’est pas l’objectif. Je ne veux pas qu’on se fasse du mal, ou le moins possible. J’ai envie qu’on soit heureux ensemble Mordred. »

Tu doutes encore de pouvoir le faire. Le rendre heureux. Toujours cette même rengaine, il aime des gens, il est aimé de ces gens, au final tu viens et tu le bousille. C’est de famille, c’est comme ça que ta jumelle et toi fonctionnez. Sauf qu’elle c’est volontaire, elle l’a accepté, toi tu es encore dans le déni. Ou du moins, tu le sais mais tu te bats contre ça.

Si l’inspiration de Mordred avant de parler est profonde, la tienne en entendant ses paroles est assez brève. S’il vient de retirer une épine de sa conscience, malheureusement c’est pour que la douleur s’installe plus profondément dans la tienne. Tes addictions, évidemment, tu te doutais que vous alliez en venir à ça. Tu fermes brièvement les yeux en attendant qu’il ait finit et tu laisses planer un silence pendant quelques temps. Tu as besoin d’enregistrer et de traiter ce qui vient d’être dit, même si cela part dans la même direction que tes propres pensées.

« Je… hum… Oui je pense effectivement que la colère doit être mise de côté. Le soucis c’est que tout cela touche à des points très sensibles des deux côtés, ce qui nous fait rapidement monter en pression. Il faudrait qu’on arrive à canaliser ça, à nous calmer pour ne pas renchérir mais au contraire prendre le temps d’en discuter. »

Ce que tu faisais actuellement. Tu sais que tu ne serais en rien légitime de t’énerver de nouveau contre Mordred pour tes addictions. Cela ne servirait à rien et de toute façon tu es en tort. Il a raison, sur le fait que tu peux plonger facilement et rapidement. Tu en parlais déjà beaucoup avec ton psy.

« J’entends ce que tu me dis sur mes addictions. Ça ne partira pas en si peu de temps. Mais depuis le temps qu’elles sont là je ne me suis jamais perdu Mordred, je reste qui je suis et je ne compte pas changer d’une manière négative. Si changement il y a, ça sera forcément pour du mieux. Ça doit être pour du mieux. »

Si en plus tu peux réussir à te convaincre en même temps ça pourrait être vraiment sympa.

« Je pense que pour que notre communication soit plus seine, tout comme notre relation de manière générale, il serait bien que tu sois un peu plus transparent avec moi sur comment tu te sens. Tu prends beaucoup sur toi, il y a de trop nombreuses fois où tu as minimisé l’état dans lequel tu te trouvais. Comment veux-tu que je te laisse m’aider si toi tu ne le fais pas ? »

Tu le vois prendre sur lui une nouvelle fois, mais avant que tu n’ai eu le temps de dire quoi que ce soit il semble se raviser dans un soupir et passe la main sur son visage. Tu attends donc patiemment la suite. Bien, donc apparemment il ne te pense pas capable d’assumer ses problèmes, c’est ça ? Tu as peur de mal comprendre, et en même temps ça ne t’étonne pas tant que ça étant donné que ce ne sont pas des pensées qui te sont inconnues. Tu grimaces à ses questions, parce que ce sont des bonnes questions. Mais pas forcément les plus simples. Tu ne te fais clairement pas confiance quand tu es en colère, tu sais que tu aimes faire mal et c’est pour cette raison qu’il faut que tu apprennes à la gérer, encore plus face à Mordred.

« Je comprends, je suis assez instable quand je suis en colère, et il en va de même pour toi comme tu le dis. Je pense que le temps qu’on arrive à réguler nos émotions, et ça ne vaut pas que dans notre cas à tous les deux mais avec tout le monde, il faut qu’on arrive à remettre les discussions à plus tard. Arriver à dire stop parce qu’on est en colère, prendre le temps de se calmer avant de revenir en parler. Temporiser. »

Plus dur à dire qu’à faire, mais tu sais que c’est la meilleure solution. C’est celle que tu as adopté avec de nombreuses personnes après l’accident avec Elarielle. La gestion de la colère est compliquée, mais encore plus quand la source de la colère se trouve dans un environnement très proche.

« Je…Je pense que tu m’aides oui, justement à travailler sur ma gestion des émotions, du conflit comme on est en train de le faire maintenant. Même si la manière n’y est pas, je sais que tu veux m’aider pour tout ce qui se rapporte à mes addictions et j’apprécie ça. Je sais aussi que j’ai essayé de t’aider, d’une très mauvaise manière certes, mais je pense pouvoir en être capable autrement. Te soutenir, t’écouter, je ne sais pas. »

Vous aviez effectivement un très gros travail à accomplir, des deux côtés, avec vous-mêmes et entre vous. Mais tu gardes espoir, tout comme la première fois que vous aviez eu ce genre de conversation. Tu vous en sais capable.

« Je pense qu’ils faut que tu crois en moi comme moi je crois en toi. On est encore incapables de le faire par nous-mêmes et je pense que ça peut être une des meilleures solutions pour nous soutenir mutuellement. »

Tu conclus ta phrase avec un léger sourire.

Tu lui tends doucement les mains, attendant de voir s’il veut les prendre ou non. Tu ne veux pas forcer le moindre contact physique mais tu sais que tu en as besoin à cet instant. Il les prend et fais une légère pression. Tu te sens plus serein, tout ne se passe pas si mal finalement.

« Je pense qu'écrire pourrait être une bonne solution. Si on prend du temps, qu'on désamorce et qu'on ne laisse pas nos émotions éclater, il n'y a aucune raison que ça se passe mal. Et Oui je crois en toi. Je n'ai pas peur Mordred, je te connais, je sais que tu es fiable. C'est pour ça que tu me protège à ta façon. Je t'aime tellement aussi, si tu savais...
- Je suis sincèrement inquiet de notre capacité à contenir nos émotions. Je veux te protéger mais je dois aussi apprendre comment bien le faire. Pour ça, je devrais t’écouter davantage. »

Je me mords un peu la lèvre avant de répondre. Ce qu’on annonce va être compliqué pour tous les deux, on le sait. Rien ne sera simple et cette discussion ne sera sûrement pas la dernière, loin de là. Mais vous devez faire fonctionner tout ça, il est devenu l’une de tes rares sources de bonheur et tu ne pourrais pas supporter de le perdre.

« On va apprendre non ? A contenir nos émotions et à nous écouter ? Mes parents me faisaient compter quand je m'énervais, ça me calmait assez bien. Ça remettait aussi mes pensées en place.
- C’est une bonne idée. Compter, respirer, s’éloigner s’il faut. Les miens criaient. Ça remet aussi les idées en place mais pas dans le bon sens.

- Non, effectivement, ça ne me paraît pas être la solution. Si on peut éviter de répéter les erreurs de nos parents et prendre le meilleur c'est cool. »

Tu n’en rajoutes pas plus. Tu n’es pas sûr que ce soit une bonne idée de commencer à aborder des sujets aussi délicats maintenant, ça pourra attendre. Il vaut mieux éviter de retourner dans la boue quand on vient juste d’en sortir.

« Absolument. Pour l’instant on est sur la bonne voie, et même si on fait des erreurs ce sont les nôtres et on peut apprendre d’elles.
- Exactement. Et je pense qu'avoir cette discussion est déjà un grand pas dans cet apprentissage !
- Si on récapitule : on évite les non-dits et on fait preuve d’honnêteté à l’avenir. En cas de dispute imminente, on fait une pause, on respire, et on prend le temps d’écrire ce qu’on pense. Le plus gros du travail sera sur l’expression de nos émotions.
- Ça me semble être un super plan. Toutes les idées me plaisent beaucoup. Évidemment qu'on ne réussira pas à tout parfaitement expliquer du premier coup mais ça viendra. J'ai foi en nous.
- Moi aussi. »

Il finit par dégager ses mains et se lever. Tu suis le mouvement, peut-être un peu trop rapidement et vacille un peu avant de te stabiliser. Evidemment, ton corps est la pour te rappeler des conséquences de tes actes si ton esprit oublie trop vite.

« Tu veux quelque chose à boire ?
- T'embêtes pas je vais aller me resservir un verre d'eau... Ou une tisane pour les maux de tête. »