Tu as de l’argent. Un peu. Assez pour ne pas subtiliser tous les portefeuilles à proximité et dépenser raisonnablement sans angoisser. Pourtant, même avec la meilleure volonté du monde, tu optes en permanence pour l’option qui arrange le plus tes économies. C’est pas éthique et tu n’améliores pas tes valeurs morales. Est-ce que ça t’importe ? La réponse pourrait être facile, un simple oui qui ferait plaisir à tout le monde. Le truc, c’est qu’il est très difficile de pas retomber dans ses travers et l’activité en elle-même te plaît. Alors, quand tu fais de ton mieux pour ne rien voler, tu te retrouves souvent à glisser la main dans une poche, un sac. Tu regrettes après coup car tu essaies de progresser, mais ça te bouffe pas au point de t’empêcher de dormir.

C’est ce qu’il se passe aujourd’hui. T'as tout prévu (comme d’habitude), notamment de compter sur tes sous et pas ceux des autres pour tes dépenses. C'est un échec dès le début. T’avais pas envie de payer une blinde pour des fluos. En l’occurrence, t’as juste fait un petit trou dans la caisse de la papeterie sans rien voler à un individu défini. Ça te permet de dépenser davantage en allant à la librairie à côté, la vraie priorité de cette sortie avec un passage en bibliothèque. Tes économies auraient complètement flambées si tu n’avais pas volé la majorité des livres présents dans ta chambre. T’en as aussi récupéré par-ci par-là, et tu en empruntes des tonnes, mais la sensation n’est pas la même. C’est moins palpitant de donner la pile de livres à Odette que d’en voler.

A cette pensée, tu laisses ta main plonger distraitement dans la poche du premier venu. Tu n’as pas activement envie de voler sur le moment. C’est plus un réflexe auquel tu t’accommodes rapidement et qui t’arrange après coup. A la fois satisfait et déçu de toi-même, tu ranges ton butin dans ta poche et... Hm. C’est qui, cette meuf ? D’où elle commente ta technique ? Ça fait bizarre d’entendre une adulte critiquer sans réprimander un acte qui est souvent considéré comme mauvais. La surprise passée, tu lui fais un sourire plus amusé et intrigué que poli.

« Le souci ici, c’est plus votre œil exercé que le nombre de témoins. Et je n’étais pas très concentré. »

Tu vas pas te vanter de mieux réussir dans d’autres circonstances, mais il est important qu’elle sache que t’étais pas au top. Parce que tu voles depuis longtemps et ton ego apprécie moyennement les critiques sorties de nulle part. Ta curiosité, à côté, se fiche totalement de l’égo et souhaite en savoir plus. Perfectionner, diversifier. Alors que t’es censé arrêter.

« Vous avez des conseils pour améliorer ça ou vous vous contentez de balancer des commentaires aléatoires à tous les pickpockets que vous croisez ? Si vous comptez répondre qu’il faut agir en soirée ou la nuit, c’est trop restrictif.  »

Et facile. N’importe qui perd son portefeuille et ses affaires en soirée.

Elle est prof ou quoi ? Tu te justifies pour qu’elle comprenne que t’es pas aussi tête en l’air, d’habitude. Et qu’elle arrête de t’insulter à cause de ton inattention. Sérieux, son sourire apaise à peine la vexe que ses paroles provoquent.
Elle continue, en plus ! Tu sais déjà tout ça, ce sont des données que tu prends en compte la plupart du temps. Quand c’est possible. Quand tu te simplifies pas la vie avec ton pouvoir pour ne pas t’embêter avec le regard des autres. Concernant les caméras, tu sais où elles sont à force d’observation et tu les évites par habitude.

Tu te renfrognes quand elle agite le portefeuille sous ton nez. Tu n’avais même pas remarqué qu’il n’était plus dans ta poche. Ça t’embête énormément. Il a dû passer sous ton nez et t’as rien vu. Cela dit, même si t’es absolument dégoûté de l’avoir loupé, la discrétion de cette femme est incroyable et tu veux en savoir plus. Ta technique est bien développée mais si tu peux faire mieux, tu vas pas dire non. Surtout qu’elle a l’air d’avoir beaucoup d’expérience et de savoir ce qu’elle fait.

…
Ouais.
Ou pas.
Le propriétaire du portefeuille débarque au moment où elle te le passe. T’as une forte envie de te moquer d’elle mais ça attendra. Faussement surpris, tu te tournes vers le gars en prenant le portefeuille.

« Ah, désolé ! J’ai perdu le mien dans la foule et il y ressemble. Cette dame a trouvé le vôtre par terre, il répondait à ma description mais en fait, il y a erreur. En plus, il est vide… »

Son visage se décompose mais il semble un peu soulagé d’être tombé sur des gens sympa, honnêtes. Tellement honnête que tu n’attends pas pour lui rendre l’illusion de son portefeuille. Le vrai glisse dans ta poche, dissimulé par l'ensemble de l'hallucination, et tu te concentres encore un peu après coup pour donner son véritable poids à l’objet . Le problème, c’est quand il va vérifier l’intérieur. Tu ne peux pas créer une hallucination d’un contenu qui t’échappe totalement. Il est donc plus léger car « vide ».

« Il ne me reste plus qu’à retrouver le mien, haha. Bonne journée. »

Et tu t’éclipses, la mine très concentrée sur ta mission, avec une pointe d’inquiétude pour plus de réalisme. Ta concentration va surtout dans le maintien de l’hallucination tandis que tu t’éloignes, et dans le rapide « suivez-moi, vos techniques m’intéressent » que tu envoies mentalement à l’inconnue. L’information lui arrive sûrement de manière distordue, tu donnes la priorité au réalisme de l’objet. Lui demander de te suivre de vive voix t’aurait fait perdre du temps et prendre le risque d’être encore face au type qui s’est fait voler.

Qu’est-ce qu’elle a à t’observer comme ça ? Elle s’attendait pas à une aussi bonne maîtrise de l’art du bullshit ? Ou alors… Fuck. Tu lui as envoyé une hallucination pour communiquer. Elle était foireuse, pas assez précise pour passer pour des paroles prononcées distinctement. Pas assez « solide » non plus, trop mentale. Il faut que tu travailles sur ça. Une hallucination auditive ratée, dans ce contexte, est beaucoup trop dangereuse. Tu t’es mis en danger bêtement. Tu pâlis un peu quand elle te parle de brenique, confirmant ainsi qu’elle a bien reçu ton message. Tu décides de faire comme si tu lui avais parlé de vive voix et de démentir si elle insiste sur le caractère télépathique de ta communication.

« Je n’ai jamais parlé de breniques, mais de techniques. Je vous ai demandé de me suivre car les vôtres m’intéressent. A part un petit excès de confiance qui vous a fait défaut, vous avez l’air de connaître le sujet. Heureusement, j’ai pu rattraper votre erreur. »

Tu lui fais un charmant sourire en dévoilant le portefeuille, que tu laisses aussitôt retomber pour ne pas risquer de reproduire sa bêtise. Et tu gardes la main dans la poche. Pas question qu’elle te le subtilise une deuxième fois. Qu’elle ait vu deux portefeuilles n’est pas tellement un problème, tu peux l’expliquer par un tour de passe-passe. Au lieu de le garder sagement dans ta poche, tu as préféré la narguer.

« Votre premier conseil est-il de ne pas montrer son butin à la vue de tous, ceci afin d’éviter que lae propriétaire de l’objet le voit ? Le montrer pour m’amener à le déduire était une technique pédagogique très intéressante. »

Tu n’avais pas fini de la tailler.

« Plus sérieusement, je ne sais pas exactement ce que vous pouvez m’apporter mais je suppose que vous ne vous faites pas toujours repérer de cette façon. Vous faites ça depuis combien de temps, d'ailleurs ? Quels sont vos lieux de prédilection et pourquoi ? Votre technique préférée ? Vous utilisez des outils ? »

Si partir est la solution la plus sage et tu le sais pertinemment, ta curiosité te pousse à rester. Ça ne t'arrange pas. Tu as conscience de ta connerie et en même temps, le danger semble beaucoup trop loin pour être réel.

Tu vas donc la tutoyer, même si tu n’es pas convaincu par son « ça me donne l’impression d’être assez vieille pour être la grand-mère de quelqu’un ». Suite à cette affirmation, tu l’observes un moment avant de hocher la tête. Elle n’a pas l’air toute jeune mais tu te gardes bien de le lui faire remarquer. En plus, le vouvoiement des uns et des autres commence assez tôt, tu trouves incohérent qu’il la vieillisse alors qu’il n’a cette effet que sur les adolescents qui n’y sont pas habitués.

Tu l’écoutes attentivement pour la suite. C’est cool, elle a plus d’expérience que toi mais tu n’es pas perdu pour autant en écoutant ses techniques. Voler sur les quais de gare ou dans les métros se révèle très vite être la solution la plus discrète et la plus rentable, encore plus quand l’objectif est de rester en mouvement.

« Je n’ai pas posé ces questions pour valider v-… tes méthodes ou non, c’était surtout pour en savoir plus sur vous. …Toi. »

Tutoyer une inconnue plus âgée n’est vraiment pas simple. Tu ne t’étais pas rendu compte du vouvoiement avant de te repasser ta réponse rapidement et de remarquer l’erreur.

« Pour l’instant je me contente du centre ville, mais j’ai déjà essayé dans les transports en commun et dans des communes de taille variable. Ici, on a vite fait le tour et ce n’est pas difficile d’apprendre l’emplacement des caméras et les habitudes de la sécurité. Pareil pour le comportement des commerçants qui est facile à prévoir, à force. Tu as parlé de monde : c’est aussi plus simple pendant les heures de pointes. »

En théorie. Dans les faits, tu as fort envie de crever quand tu gères mal ton coup et te retrouves dans la foule, alors que tu prends toujours soin de l’éviter. Ton attention se retrouve éclatée et voler devient compliqué.

« Vous volez plus aux passants ou aux commerces ? Étant donné que vous- tu as plus d’expérience, est-ce que tu as des exemples de situations compliquées qu’on rencontre peu au début ? Voler dans une enseigne de luxe, par exemple. Je vole depuis 5/6 ans, surtout dans cette ville donc je n’ai pas pu tout tester. »

Et en dehors de la ville, tu t’es beaucoup entraîné dans l’académie. T’es pas sûr que voler des mages dans un refuge permette de développer des techniques incroyables. De ce que tu retiens, ça amène surtout des problèmes. Donc ton champ d’action est restreint et redondant.

« Ah, au fait. La ville est assez petite mais il y a pas mal de concurrence. Ce n’est pas rare de croiser des voleurs. »

Voler contre le capitalisme, en voilà une noble cause. C’est surtout une belle excuse pour se permettre d’agir à sa guise. Les actions à forte valeur morale sont, pour toi, un prétexte pour se sentir mieux ou rééquilibrer une balance complètement déglinguée. Tu oublies que tout le monde n’a pas un sens moral aussi chaotique que le tien et que certains sont touchés par la justice ou une connerie du genre. La justice n’étant pas juste dans les faits, tu ne comprends pas comment on peut brandir ce genre d’étendard. Cependant, ça a l’air de lui plaire donc tu ne la contrediras pas. Pour l'instant.

Son explication sur les boutiques de luxe te parle plus. Tu sais à quel point c’est important de montrer à l’autre ce qu’il veut voir pour avoir ce que tu veux et c’est une attitude que tu adoptes très (trop) régulièrement. Le problème des boutiques de luxe, c’est que tu n’as rien dans ta penderie pour avoir la dégaine du client typique. Ça te pousserait à avoir recourt à ton pouvoir pour faciliter le vol, à moins d’y aller avec April. Tu prends note de ce qu’elle ajoute, notamment son conseil de ne pas faire ça à Leoska.

Tu ne sais pas comment interpréter ce qu’elle dit ensuite. Est-ce qu’elle insulte tous les gens banals de la ville ? Entre ça et le capitalisme, ses valeurs morales ne font pas sens. A moins qu’elle soit mage et parle des non-mages mais tu ne préfères pas risquer cette hypothèse. T’as déjà utilisé ta magie sur elle comme un con, tu ne vas pas en plus l’interroger de but en blanc sur le sujet. Pas en ville.

« Tous ne sont pas si communs mais ça ne change rien aux prix affichés. »

Ils sont peut-être plus abordables car conscients du statut financier des clients, cela dit.

« Merci pour les explications. Je ne m’y prendrai pas seul si jamais je décide de m’attaquer à des enseignes de luxe, même si berner des vendeur.euses est toujours simple. Est-ce que je peux te faire une remarque, en revanche ? »

Tu n’attends pas sa réponse pour enchaîner.

« Se plaindre du capitalisme pour ensuite parler de voler dans des librairies, c’est complètement contradictoire. Ce n’est pas idéaliste. Il y a une Fnac et un Cultura dans la galerie mais ces boutiques n’ont pas la meilleure offre littéraire du coin et ce ne sont pas vraiment des librairies. Ce sont surtout des enseignes de biens culturels. Puisque vo- tu as mentionné les librairies, ça englobe toutes celles du centre ? Si c’est le capitalisme votre problème, c’est stupide  de le copier en les volant. Peut-être que l’exemple de situation compliquée, c’est ton dilemme éthique. »

Ton but n’est pas de l’insulter mais de comprendre ses motivations derrière son affirmation bancale. Tu oublies juste que personne n’aime être face à quelqu’un qui chipote sur les mots à ce point.

Son explication valide sa nature de mage, revenant ainsi sur l’hypothèse que tu ne voulais pas étudier. C’est un discours très clair. Presque dangereux. Elle a beau parler à demi-mots, elle donne tous les éléments possibles pour l’identifier correctement. Ça ne t’enchante pas. Tu as déjà vu des non-mages chercher l’académie dans cette ville et si l’utilisation de la magie est plus ou moins discrète, les mots s’entendent, se retiennent et s’enregistrent. Tu es smart enough. T’as compris. Ce n’est pas pour autant que ta réponse ira dans son sens tout de suite.

Tu soupires, l’air désolé pour le combat écarté des autres.

« Tu dois parler de la lutte des chasseurs pour faire reconnaître leur activité comme utile à l’écosystème. Les pauvres, ils sont toujours mis de côté et personne ne les prend au sérieux. »

Qu’est-ce qu’on rigole, ton avenir de comique est tout tracé. Tu observes un moment son visage, puis tu lui fais un sourire. Foutage de gueule à peine déguisé.

« Je sais que vous ne parlez pas… que tu ne parles pas des chasseurs mais d’une lutte tout autre. Ce n’était pas difficile à entendre, si ça t’inquiète. C’était utile pour comprendre ton point de vue, c’est tout. »

Tu as conscience des biais de sélection des librairies non-mages et tu ne t’en insurges pas. Elles proposent des ouvrages intéressants, un client n’est pas obligé de tout regarder et de tout lire. Certes, ça n’arrange pas ton estime de toi mais tu es assez doué pour ne voir que ce que tu veux et ignorer ce qui pourrait te peiner. Ton travail personnel à ce sujet est loin d’être terminé.

« Tu viens d’emménager dans le coin ? »

La ville est trop grande pour retenir tous les visages, mais pas l’académie. Sa tête ne te dit rien.

La vraie comique dans cette conversation, c’est elle tout compte fait. Ce n’est pas vraiment de sa faute. Tu n’as pas beaucoup parlé de toi ni donné un réel point de vue sur le capitalisme et les problèmes éthiques qui l’accompagnent. Ça t’amuse tout de même qu’elle pense que tu achètes « bien sagement » ce que tu lis. Tu n’empruntes même pas correctement dans les bibliothèques, alors acheter aux libraires du coin…

« Non. Comme je l’ai déjà dit, mes questions servaient à comprendre ton point de vue. Mon argumentaire n’avait rien de personnel. »

Tu aimes simplement contredire ton interlocutrice pour qu’elle développe sa pensée et que tu la comprennes mieux.

« Encourager les commerces ‘communs’ est en contradiction avec mes valeurs morales. »

Mentir est une autre activité que tu apprécies. Acheter à des commerces non-mages est en contradiction avec ce que tu sais être de « bonnes » valeurs morales. Tout en sachant ça, tu as du mal à te fermer des portes juste parce que l’offre n’est pas utopique. Aucun commerce ne peut présenter une sélection parfaite moralement, tu es certain qu’il y aura toujours un problème quelque part. Tu aimes peut-être aussi voir à quel point tu avais tort, à quel point les non-mages se trompent. Observer froidement la désinformation. Puis, dans les faits, ça t’embête surtout financièrement. Tes valeurs morales, dans cette situation précise, c’est une gestion serrée de ton budget.

Elle fait partie du personnel. Enseignant ou pas, tu ne sais pas et ça t’intéresse. Elle ne doit pas être ennuyante en cours et permettre des débats intéressants. Votre position ne permet pas de parler librement à ce sujet. Tu ne peux même pas répondre à son commentaire sur les bars. Tu ne t’y connais pas trop mais les noms circulent beaucoup entre les élèves. Le mot de passe du café-bar principal est même affiché dans l’académie. Elle n’est pas très observatrice si elle l’a loupé.

« Je connais un lieu qui pourrait répondre à tes critères et qui est ouvert actuellement. L’autre ouvre plus tard. Je ne m’y connais pas dans ce domaine donc la liste que je peux te donner est très courte. Vou-… Veux-tu que je te le montre ? On pourra parler plus facilement. J’ai une question, et selon ta réponse j’en ai déjà d’autres en tête. »

Tu souris en entamant la marche vers le Chapeau Danseur. Tu n’y vas pas souvent, l’ambiance des bars n’étant pas ce que tu préfères. C’est un a priori plus qu’une expérience et tu restes convaincu que ce n’est pas un lieu pour toi. Même bien accompagné, ça te demande de te concentrer totalement sur ton entourage pour ne pas t’épuiser trop vite. Tu espères que le côté « café » dominera à cette heure de la journée. Un coup d’oeil dans la direction de l’inconnue t’indique qu’elle galère légèrement à marcher. Tu ralentis, gardes ton agacement pour toi, ne lui propose pas d’aide. Elle manifestera elle-même ses besoins si elle le souhaite. Là, tu regrettes surtout le temps que vous allez mettre à atteindre le café-bar.

Il n’est pas si loin mais il faut d’abord sortir du centre commercial pour aller jusqu’à une petite boutique miteuse. Ce genre de commerce est rarement dans l’axe principal, avec les beaux magasins bien propres et entretenus. Lorsque vous approchez de la boutique et que le monde se fait beaucoup plus rare, tu commences à lui expliquer plus clairement où tu l’amènes.

« C’est un café-bar privé. Il est plutôt prisé, il me semble que c’est en partie grâce au barman. Muchel, je crois. Je ne m’y rends pas souvent, je ne sais donc pas quel public sera présent et comment l’ambiance évoluera d’heure en heure. »

« Privé » pour ne pas dire ouvertement « réservé aux mages ». Elle ne devrait pas avoir de mal à le deviner. Une fois devant le magasin, tu donnes le mot de passe « Antiquaire flou » pour vous permettre d’entrer.

« Voilà. Nous sommes au Chapeau Danseur. Est-ce que ça correspond à ce que tu avais en tête ? »

Tu ne traînes pas pour choisir une table bien placée, autant pour l’inconnue qui t’accompagne en boitant que pour toi. Tu ne veux pas être embêté plus longtemps par les passages des autres clients. Ensuite, tu lui laisses à peine le temps de s’installer que tu demandes :

« Quel poste occupez-vous à Leoska ? »

Elle prend ses aises en allongeant sa jambe probablement douloureuse sous la table. Autrement dit, elle s’étale et tu fais de ton mieux pour ignorer l’invasion de ton espace personnel. Détail minime qui t’irrite tant pour si peu. Vous êtes face à face, la table n’est pas géante et l’espace entre vos jambes non plus. Un faux sourire sur les lèvres, tu hoches la tête quand elle parle de Muchel. C’est une personnalité haute en couleur qui sera certainement beaucoup plus à l’aise que toi actuellement.

Sa réponse à ta deuxième question t’intéresse davantage. Elle pique ta curiosité autant qu’elle te déçoit, en fait. Histoire et étude des camps, un champ disciplinaire sûrement passionnant mais qui ne te sera pas accessible. Il ne faut pas être un génie pour déduire que tes conneries à répétition t’ont fermé les portes de ce cours. De plus, Glace a beau sembler originale comme enseignante, tu t’es bien trop foutu de sa gueule depuis le début de vos échanges. Y’a mieux comme témoignage de (faux) respect envers une figure d’autorité. Tu lui fais une petite grimace désolée.

« Je ne m’y suis pas inscrit, mon emploi du temps est déjà assez chargé. C’est dommage, j’imagine qu’on ne s’ennuie pas dans tes cours. »

Outre ton manque de respect, tu dois être réaliste. Assister à ce cours te ferait plus de mal que de bien. Avant de passer aux autres questions, tu préfères prendre le temps de commander. La tentation de tester son sens de l’humour est forte mais savoir qu’elle est prof te refroidit légèrement. Pas assez, visiblement, car tu lui indiques le barman d’un signe de la tête.

« Muchel est là-bas. Pour commander pour la première fois ici, il est de coutume de faire comme s’il était un ami de longue date. Vous... Tu n’es pas obligée de te déplacer si c’est difficile, ça doit bien t’arriver d’interpeler des ami.es de loin. Tant que ça reste chaleureux, ça devrait lui faire plaisir. »

Savoir que tu ne l’auras pas en cours te laisse plus de liberté pour être con, et tu n’es même pas stressé par ce qu’elle pourrait dire aux autres profs. « L’élève a qui j’ai donné des conseils pour voler des passants innocents m’a fait une blague », ça passe moyen. Elle n’a pas ton nom pour associer ton lourd dossier à cette débilité, en plus.

« C’est écrit sur le même papier qui donne le mot de passe, tu pourras vérifier en rentrant si ça te semble étrange. »

Cependant, vu l'ambiance informelle qui règne, ton mensonge n'a rien de bizarre.

Tu ne pensais pas qu’elle goberait ton mensonge foireux. Quel bar aurait des coutumes aussi décontractées et impolies ? Tu sais bien que l’ambiance générale de ce genre de lieu est informelle. En plus de ça, Muchel est facilement familier avec les habitués ou les gens qu’il apprécie d’emblée. L’être en retour n’est donc pas choquant… quand on le connaît. La façon de faire de Glace est absolument magnifique. Tu ne pouvais pas rêver mieux. Sans gêne, vulgaire, bruyante. Hilarante. Tu dois faire tous les efforts du monde pour ne pas rire et dévoiler ainsi ton implication dans le comportement irrespectueux de Glace.

Pour ça, rien de plus facile que de transformer ton expression amusée en une mine catastrophée. Tu écarquilles les yeux en croisant le regard de Muchel, pour montrer que tu ne comprends pas pourquoi elle a fait ça. Quand elle se tourne vers toi, tu l’abandonnes pour offrir un sourire sincère et enthousiaste à Glace.

« Parfait ! Ça faisait longtemps qu’on avait pas vu une nouvelle tête réussir aussi bien sa présentation au reste du bar. A titre d’exemple, je n’avais pas réussi la mienne car j’ai du mal à être familier avec les gens que je ne connais pas. Je ne le suis toujours pas. »

Lui balancer ça est nécessaire pour qu’elle comprenne la suite sans que ton mensonge précédent soit suspect.

« C’est pour ça qu’il était confus, je pense. Il a l’habitude que je sois seul et très peu familier. Ça ne lui plaît pas. Histoire de ne pas le perturber davantage, je vais prendre ma commande comme d’habitude au comptoir. Je rapporterai la tienne au passage. »

Tu te lèves sans attendre pour aller voir Muchel et demander un thé oolong. Tu te penches légèrement vers lui et lui dis d’une vois basse :

« Je suis sincèrement désolé pour l’attitude de cette femme, elle a très peu de gêne. »

ça fait rire Muchel, qui semble comprendre que Glace est simplement d’un caractère particulier. Il lui répond alors d’une voix forte et joyeuse qu’il a pas bougé depuis toutes ces années, toujours à vider des fûts pour le sang de la veine. Au final, ton mensonge arrangeait Glace, ce barman est d’une sociabilité et d’un chill à toute épreuve. Votre commande prête, tu la ramènes à votre table et souris à Glace.

« Il t’apprécie déjà on dirait. »

Ou il la trouve super bizarre mais ne dit rien pour ne pas perdre une cliente.

Elle pense enfin à te demander ton prénom et ça ne t’arrange pas. Tu préférais qu’elle l’ignore jusqu’à votre séparation, histoire de t’oublier plus vite après et de ne pas associer ton activité de pickpocket à un nom qui a mauvaise réputation dans l’académie. Tu devrais sérieusement remédier à ça, d’ailleurs.

« Je m’appelle Ethan. Désolé, je n’y ai pas pensé non plus. »

Sourire sincère, celui d’un Ethan lambda qui n’a pas de problèmes dans le refuge qui l’accueille. Contrairement à Mordred qui porte très bien son nom et s’attire constamment des ennuis à force d’être con. Tu doutes qu’elle remettra ta présentation en question, même si elle est tardive. Après tout, vous avez directement enchaîné sur les techniques de vol et les lieux de rassemblement pour mages. Une présentation en règle est superflue dans tout ça.

« Non. Je préfère les applications de dextérité directes et utiles comme le vol. »

C’est stupide de faire de la prestidigitation alors que vous êtes mages et que vous avez accès à la vraie magie. Tu ne vois pas à quoi ça te servirait et ça ne t’intéresse pas le moins du monde.

« Si tu aimes ça, tu peux aller voir l’un des employés de l’administration. Je l’ai rencontré lors d’un cours de sport et il était passionné de prestidigitation. Je ne sais pas exactement quel est son métier et ça ne serait pas choquant qu’il soit clown. »

Il avait ramené du matériel de cirque, si tes souvenirs sont bons. Tu sirotes tranquillement ton thé en profitant des saveurs.

« Et toi, tu as déjà essayé ? Pourquoi tu posais cette question ? »

Effectivement, ça ne te sera pas d’une utilité remarquable de développer des compétences en prestidigitation maintenant. Tes techniques sont bien rodées et ta magie te permet d’aller plus loin. Quant au fait de repérer quand on essaie de te détrousser, tu es de toute façon hyper attentif à ton entourage en permanence. Il faudrait donc pas mal d’ingéniosité pour te tromper et tu ne penses pas te surestimer à ce sujet.

Tu hoches la tête pour confirmer que l’académie accueille de nombreux originaux.

« Oui. Monsieur Archidice s’entend bien avec Alphonse de Villeneuve. Il est aussi enthousiaste et loufoque mais c’est une personne sympathique à côtoyer. »

Le moment du tutorat avec Alphonse t’amène à dire du bien de lui. L’inverse ne te semble pas possible pour qui que ce soit, il est bien trop positif pour ça.

« Je connais une étudiante assez dangereuse et excitée de la vie. Elle adore la mécanique. Il s’agit de Kira Souday. Il y a un chat qui parle et raconte des choses improbables. Un fantôme aussi, d’après les rumeurs. Sinon… Un duo de gros débiles fait souvent jaser. C’est des élèves du cycle supérieur, le surveillant Jean-Baptistin se retrouve souvent mêlé à leurs histoires. C’est pour ça que je les connais, il raconte un peu sa vie à tout le monde dès qu’il se retrouve à côté de quelqu’un. »

La mine réfléchie, tu te moques complètement d’elle sur la fin. Elle ne peut pas savoir de qui tu parles et ne te reconnaîtra pas. Tu regrettes de ne pas pouvoir voir sa réaction et celle des profs quand elle en parlera. Si elle en parle.

Ça n’a pas l’air de faire beaucoup parce que tu n’as cité qu’une petite partie des weirdos de l’école. Dans les faits, il y en a trop pour tous les citer. Même si tu pourrais donner les noms, les classes, et une description physique détaillée de tous les gens bizarres de l’école. Il faudrait cependant prendre en compte que tu as le jugement facile et que tu peux considérer certaines personnes comme bizarre simplement par abus de langage.

Elle termine son café et prend congé. Il te semble qu’elle a réglé vos deux consommations mais, sans en être sûr, tu préfères terminer rapidement ton thé pour t’éclipser du café. Puisqu’on ne te dit rien, tu pars du principe qu’elle a payé le thé. Ou que tu es très discret, ce qui arrive aussi. Cependant, il n’y a pas grand-monde dans le bar et sans l’activation de ton pouvoir, tu restes bien visible aux yeux de tous et surtout ceux de Muchel. Le gars surplombe tout le monde de sa hauteur, bien sûr qu’il verrait si tu partais sans payer.

Une fois dehors, tu reprends ton activité de dépouillage des passants. Tu n’as pas récolté grand-chose à cause de l’intervention de Glace et tu n’as pas envie de rentrer avec le sentiment de ne pas avoir complété ton objectif principal.