Je me rends à l'entraînement, impatiente. La dernière fois, je n'ai pas pu contrôler mes pouvoirs et j'ai brûlé mon arc. Ça aurait pu être anodin si, en trois ans de pratique, il avait été le premier. Malheureusement, depuis que j'ai intégré le club, au moins une quinzaine d'arcs se sont transformés en cendres entre mes mains. Il faut dire qu'à partir du moment où j'en ai consumé un, il était évident que le stress m'accompagnerait à chaque entraînement.
Heureusement, l'administration est prévenue qu'une mage verte flambeuse de bois est inscrite au club, aussi un budget est alloué spécialement pour remplacer tous mes arcs cramés. N'empêche, ça doit coûter super cher.
Aussi, je sais qu'un arc m'attend, aujourd'hui encore. Cependant, en arrivant dans la salle, aucun arc en vue. Étrange. Je cherche un peu et ah ! Le voilà. Hm... Il me dit quelque chose... L'un des autres membres du club a peut-être le même. Après tout, je ne fais pas souvent attention aux autres. Tout ce que je veux, quand je m'entraîne, c'est toucher ma cible sans incendier quoi que ce soit.

N'empêche que cet arc-là est super beau. D'habitude, on me refile un arc pratique et à peu près performant, mais sans valeur. Et sans me vanter, je me débrouille vachement bien même avec une arme bas de gamme (oui, bon, ok je me vante un peu là). Enfin bref, je n'y fais pas trop attention. Je prends l'arc - un peu lourd, dis donc, j'ai l'habitude d'armes plus légères - et mon carquois, et me dirige vers les cibles.
Avant de prendre une flèche et de bander la corde, je prends le temps de poser délicatement mon attirail, pour tenter de me détendre, comme je l'ai appris en cours. J'imagine mon pouvoir, sous forme de lumière présente dans tout mon corps. Je forme une boule dans mon esprit qui se dirige vers mon estomac, où je la cadenasse mentalement. Cette protection fonctionne une fois sur dix, mais aujourd'hui j'arrive bien à me détendre. La beauté de mon nouvel arc doit y être pour quelque chose (ou alors, je n'ai juste pas envie de provoquer une nouvelle catastrophe).
Je récupère l'arc, prends une flèche dans mon carquois et tire. J'atteins le rouge de la cible. Pas mal. D'habitude il me faut trois tirs avant de me réhabituer à la distance. Je suis en forme aujourd'hui. Je commence à bander une deuxième flèche quand on m’interrompt.

« Lymin ! Excuse-moi, tu peux me rendre mon arc ? Je ne peux pas m’entraîner sans. »

Je regarde un instant mon interlocuteur sans comprendre, ma flèche toujours engagée. C'est l'un de mes aînés, il est dans le cursus supérieur. Impossible de me rappeler son nom. Un rapport avec la mort, je crois ?
Peu importe, car, alors que l'intelligence atteint mon esprit, m'indiquant que j'ai pris le mauvais arc, et que j'enlève ma flèche de celui-ci, le bout du trait prend feu. Je l'éloigne le plus vite possible du bois et j'évite la catastrophe de justesse. Mais je vois, dans les yeux du véritable propriétaire de l'arme que je tiens dans les mains, un mélange entre appréhension et envie de meurtre. Et je n'aime ni l'un ni l'autre.
Le stress s'insinue en moi et la promesse d'une perte de contrôle avec lui. Je bégaie :

«Je-je suis vraiment désolée, je pensais que c'était celui qu'on m'avait prêté pour remplacer l'ancien. Je vais te le rendre, ne-ne t'inquiète pas !»

Bien sûr, étant donné que la flèche enflammée est à moins d'un mètre de son arc, et que je suis en train de perdre mes moyens, il a mille raisons de s'inquiéter. Mais il vaut mieux que je lui fasse croire que je suis calme, si je ne veux pas empirer la situation.

Vraisemblablement, il n'est pas du tout rassuré, si j'en crois la main insistante qu'il tend vers l'arc. Il me sourit, mais son geste veut tout dire. Il va me tuer si je me loupe. Et vu que ma jauge de stress se remplit à la vitesse de la lumière, cela peut arriver à tout moment.
Il continue de me dire qu'il n'est pas inquiet et me demande de lui rendre son arc. Ou au moins d'éteindre la flèche. Très drôle. Ça rassurerait tout le monde, et surtout moi, mais j'en suis incapable. Le truc, avec le feu, c'est que je peux le créer, mais je n'ai jamais réussi à l'éteindre. Oui, je sais, c'est très handicapant.

J'amorce donc le mouvement pour lui rendre son précieux objet, l'éloignant davantage du trait enflammé toujours dans mon autre main, quand le bois de l'arme prend subitement feu.
OH. MON. DIEU. Ça y est, je panique. Si la panique était un être humain, à cet instant, elle serait moi. Je vois le bois s'effriter à une vitesse infernale. Il va me tuer. POURQUOI SUIS-JE INCAPABLE DE CONTRÔLER MES PROPRES FLAMMES ? Oui, quand je panique, je me crie à moi-même intérieurement.

Je n'ose pas le regarder en face, mes pieds sont immédiatement beaucoup plus intéressants ! Mais il réussit à me surprendre, affirmant que ce que je vois n'est pas réel. Comment ça ? Je n'aurais pas incendié son arme ?
Il passe sa main sur le bois et j'ai envie de hurler. Il va se brûler ! Mais non, non seulement il ne se brûle pas, mais en plus les flammes s'éteignent ! Et l'arc sous mes yeux est entier. Pas une seule trace de roussi.

Je le regarde, interloquée.

« Comment ? Comment tu savais que ce n'était pas réel ? Tu aurais pu te brûler ! »

Maintenant qu'il a la main sur son arc, pitié qu'il le récupère vite ! Je suis dans un tel état de perturbations que je peut enflammer tout ce qu'il y a autour de moi à n'importe quel moment. Il faut que je trouve un moyen de partir d'ici avant que ça n'arrive. J'ai le pressentiment que c'est déjà trop tard. Et puis, je n'ai toujours pas réglé le problème de la flèche...
Merde ! Pendant que je pensais être en train de cramer l'arc de mon interlocuteur, je n'ai pas fait attention à ce que je faisais de la flèche dans mon autre main. Et il se trouve que les flammes sur cette dernière lèchent déjà le bois du trait. Par réflexe, je lâche la flèche, alors même que le feu ne peut me brûler.
Et voilà, la catastrophe est enclenchée.

Alors que le garçon récupère son arc hâtivement, il m'explique que ce que j'ai vu était causé par son pouvoir. Un pouvoir qui fait croire aux gens qu'ils crament des choses ? Pas très sympathique !

Cela dit, ma flèche est toujours en train de se consumer sur le sol, et je ne sais toujours pas quoi faire. Bien entendu, je n'arrive pas à l'éteindre de moi-même. Je n'ai jamais réussi lors des cours pratiques, ce n'est pas dans cette situation de stress intense que je vais y parvenir.
Le propriétaire de l'arc, en revanche, prend les choses en main... en jetant un sac de protection sur le mini-incendie ? Evidemment, le sac prend feu, et nous ne sommes pas sortis de cette situation.
C'est alors qu'il commence à me donner des conseils sur mon propre pouvoir. « Respire à fond et essaie de l'éteindre. » Il est marrant lui. S'il suffisait de respirer à fond pour éteindre mes flammes, je l'aurais déjà fait depuis longtemps !

Dans le doute, j'essaie quand même de calmer ma respiration, mais je suis bien trop paniquée pour y arriver. Quand je relève les yeux, avec toujours une respiration discontinue, je suis toute seule avec un brasier à mes pieds. Génial, il a fui.

En fait, en regardant bien, il a juste fait deux mètres, quand tout à coup un autre garçon du club arrive en hurlant, un extincteur entre les mains. Il continue de crier jusqu'à ce qu'il n'y ait plus la moindre petite lueur de feu, puis il pousse un soupir de satisfaction. Il nous fait ensuite un pseudo-sermon sur la dangerosité des flammes, comme si je ne le savais pas ! Et il repart, tout content, son extincteur quasiment vide dans les bras. Je n'ose pas l'interpeller pour lui dire que j'ai de la mousse sur le pied.
J'ai honte de l'avouer, mais je ne pense jamais aux extincteurs. Malgré tous les exercices incendies qu'on a pu faire, je ne me maîtrise jamais quand il y a le feu. Surtout parce que généralement c'est de ma faute.

Maintenant que les flammes sont éteintes, je respire enfin correctement, et mon pouls a ralenti. Le garçon a qui j'ai "emprunté" l'arc se tourne vers moi. Lui aussi est plus serein.

« C’est pas passé loin. Tu n’as jamais pensé à tester un arc métallique ? C’est moins sensible au feu. Et ça t’éviterait de prendre les affaires des autres. »

« Je pourrais utiliser un arc métallique, oui, mais ça ne changerait rien. À part que plutôt que de brûler, il fondrait dans ma main. Tu n'as pas entendu parler du pommeau de douche qui a fondu dans le dortoir du lycée, l'année dernière ? Bah j'avais pas encore eu le temps d'allumer l'eau, qu'une flaque de métal en ébullition se formait déjà à mes pieds. »

Je le regarde, gênée. Il va me prendre pour une débile ! Pourtant, c'est vrai que "contrôler" le feu, ça signifie aussi que parfois les températures que je produis sont très élevées, et elles peuvent même faire fondre du métal. Je me suis déjà enfermée dans ma chambre à cause de ça. On a du faire exploser la porte. Sans compter que j'ai tremblé pendant une semaine après (un des contrecoups de mon pouvoir).
D'ailleurs, c'est ce que je commence à faire. Mon bras droit est pris de soubresauts et je le tiens difficilement avec le gauche.

Il regarde attentivement son arc, de peur que je l'aie abîmé. Je ne peux rien lui dire, je comprends tout à fait son inquiétude.
Mes tremblements ne semblent pas être passés inaperçus cela dit. En même temps, ils vont en s'accentuant, même s'ils resteront localisés dans mon bras droit.
Le garçon me demande donc si j'ai de quoi calmer mes tremblements. Il précise que je ne peux pas continuer l'entraînement, car c'est trop dangereux. Comme si je ne le savais pas. Je me retiens de lever les yeux au ciel, mais j'ai vraiment l'impression qu'il me prend pour une abrutie.

De toute façon, je n'ai pas de quoi calmer mes spasmes. L'infirmière, Alfonsa, m'a déjà parlé du traitement utilisé par les humains pour soigner Parkinson, mais il faut augmenter les doses de plus en plus, et le traitement entraîne une dépendance et tout un tas d'effets secondaires. En bref, une mauvaise idée pour une gamine de seize ans.

Malgré tout, il me propose gentiment si je veux me poser quelque part. Généralement, quand je ne peux plus m'entraîner, je rentre au dortoir pour m'allonger dans ma chambre. Si mes secousses corporelles se déclenchent pendant un cours, on m'envoie à l'infirmerie.
Étonnement, aujourd'hui j'ai envie de me socialiser un peu. Et puis, je me sens redevable d'avoir failli détruire son arc. Sans compter que sa capacité à donner des hallucinations aux gens est tout de même intrigante.

« Si tu veux m'accompagner, je pensais aller m'acheter un zoubilou à la Snackomachine de la cafétéria. Je peux peut-être t'offrir quelque chose, histoire de me faire pardonner ? »

Les zoubilous sont mes friandises préférées, et on n'en trouve que dans la Snackomachine de la cafétéria. C'est d'ailleurs, selon mon humble avis, la Snackomachine où l'on trouve les meilleurs snacks de tout Leoska. Juste à côté se trouve une machine à boissons où j'achète régulièrement des tataouis fraise, également déclinés en tataouis menthe, ou, plus rare, en tataouis abricot. Bien meilleurs que les sodas humains.

« Au fait, tu sembles connaître mon nom, mais je ne connais pas le tien, je ne fais pas vraiment gaffe aux gens d'habitude... Du coup, comment tu t'appelles ? »

Ainsi, mon interlocuteur s'appelle Mordred. Chouette prénom. Je trouve qu'il correspond bien à un garçon capable de donner des hallucinations aux gens.
Il semble tiquer lorsque j'évoque la Snackomachine. Pourtant, c'est ce qu'il y a d'écrit sur la machine à snacks, non ? Je ne l'ai quand même pas inventé ce nom.
Enfin, peu importe, Mordred accepte de m'accompagner, il va juste reposer son arc avant. Dans un endroit où je ne lui repiquerai pas, je suppose.

Quand il revient, nous nous dirigeons vers la cafétéria. Sur le chemin, il me rassure, affirmant que son arc est intact, et que je n'ai donc pas besoin de me faire pardonner. Je ne peux m'empêcher de ressentir malgré tout une pointe de culpabilité, mais je suis heureuse de constater qu'il ne m'en veut pas.

Il semble tout de même déçu de ne pas avoir pu s'entraîner, même s'il précise que ce n'est pas grave, et qu'il pourra toujours le faire à un autre moment.
Je commence à être curieuse, ce qui est assez inhabituel chez moi. Après tout, je n'aime pas parler de moi, alors je ne cherche pas à en savoir plus sur les autres.

« Tu fais partie du club depuis longtemps ? Je ne connais que le président, et encore, je lui ai parlé deux fois. »

Je lui adresse un sourire gêné, puis enchaîne :

« Et tu voudrais bien me parler de ton pouvoir ? Je dois t'avouer qu'il m'a intriguée. C'est pas tous les jours que je vois quelque chose cramer entre mes doigts, et qui finit intact. D'habitude, tout ce que je touche termine plutôt en cendres. »

Pendant que je blablate, nous sommes presque arrivés à destination.

Mordred rit lorsque j'évoque l'arc intact malgré les flammes, et je dois avouer que c'est agréable d'entendre quelqu'un rire de l'une de mes blagues. Il me dit ensuite que cela fait cinq ans qu'il fait partie du club. Il avoue avoir entendu parler de moi, et j'imagine qu'il est difficile de passer inaperçue quand un entraînement sur dix se termine en fumée par ma faute. En revanche, il admet ne pas savoir à quel moment j'ai intégré le club. Il pense peut-être que mes premiers entraînements ont été plus discrets que celui d'aujourd'hui, et, dans le fond, il n'a pas totalement tort.

« Je n'ai pas de mal à imaginer comment tu as pu entendre parler de moi. Enfin, pour ma part, ça fait trois ans que je fais partie du club de tir à l'arc. »

Mordred se dirige vers la machine à café. Erk, je ne sais pas comment font les gens pour consommer ce pseudo-liquide qui ne possède pour lui que son odeur un tantinet entêtante, mais qui devient vite désagréable. Cela dit, tant que l'on ne me force pas à en boire, je n'ai aucune raison d'empêcher quiconque de le faire.
Je prends donc un paquet de zoubilous et une canette de tataoui abricot, pour changer. Une fois nos achats en main, Mordred m'explique le principe de son pouvoir :

« Concernant mon pouvoir, il me permet de donner des hallucinations aux autres. Elle peuvent être visuelles, auditives, tactiles aussi parfois. C’est normal que ça t’ait surprise, tout à l’heure… Ce n’est pas aussi destructeur que ton feu. Pas de la même manière, du moins. »

À l'écouter, il n'a pas l'air d'avoir eu une vie facile non plus. En même temps, ceux qui, à Leoska, ont eu la chance de connaître une enfance heureuse et sans aucune difficulté se comptent en dizaines. Et encore.
Je ne le questionne pas, j'ai peur d'être trop curieuse et de me mêler de ce qui ne me regarde pas. Je n'apprécierais pas qu'on le fasse pour moi.

Nous allons nous installer à une table, tout en continuant à discuter. Mordred fait tourner son café dans ses mains, pendant que j'ouvre ma canette de tataoui.
Avant que je n'aie pu porter la canette à ma bouche, Mordred se montre lui aussi curieux :

« Il y a une raison particulière à ton manque de contrôle ? Personnellement ça survient quand j’imagine trop fort, ce n’est pas facile de garder ses idées dans sa tête. Je doute que ça fonctionne totalement pareil avec le feu. »

J'essaie de trouver un moyen de lui répondre sans lui parler des sujets qui fâchent. Pour me laisser le temps de réfléchir à ce que je vais lui dire, j'ouvre mon paquet de zoubilous et enfourne une des friandises dans ma bouche. La spirale en sucre coloré fond dans ma bouche et c'est un véritable plaisir.
Mes bonnes manières me rattrapent et je tend le paquet vers Mordred, un peu tard, certes.
Lorsque le sucre a terminé son trajet depuis ma langue vers mon estomac, je lui réponds :

« En fait, je n'ai jamais su contrôler mon pouvoir. Ç'a eut quelques effets dévastateurs chez mes parents. Ma mère est libraire. J'ai dû m'enfuir. Et j'ai causé quelques... dégâts sur mon passage, avant d'arriver ici. »

Je bute sur le mot "dégâts". Ma gorge se sert et une pointe de culpabilité me pique les côtes. Mais je ne peut pas lui dire la totalité de la vérité, je ne le connais pas. Je m'éclaircis la gorge et poursuis :

« Du coup, maintenant, j'ai peur de ce que je peux faire avec mes flammes, et comme ça me flippe, je les contrôle encore moins. Donc ça me flippe. Et quand je panique, elles s'échappent de mon corps et je suis incapable de les éteindre. Enfin voilà quoi. »

Mordred tente de me rassurer, en disant que ma peur de mon pouvoir ne devrait pas prendre autant de place. Il ne sait pas ce que j'ai fait, c'est pour ça qu'il me répond de la sorte. Ces "dégâts" sont bien plus que de simples détériorations matérielles. Mon frère est mort par ma faute et je ne me le pardonnerai jamais. Mais je ne peux pas lui dire.

Il aborde la situation compliquée que nous affrontons en tant que mages. Il n'a pas tort, mais justement, je suis bien trop terrorisée à l'idée de blesser l'un·e de mes comparses. Et passer au dessus le décès de mon frère... Bien sûr, il dit ça sans savoir ce qui me bloque, mais j'aurais presque envie de lui coller mon poing dans la figure.
Finalement, il a une vision assez neuve sur la magie, mais absolument inapplicable à mon cas. Je suis totalement incapable d'oublier mon passé. On m'a déjà dit des milliers de fois que ce n'était pas ma faute, que j'ai fait de mon mieux, mais les seules fois où j'ai utilisé mon pouvoir délibérément, j'ai causé d'énormes problèmes.

Soudain, une forme de réflexion naît au sein de ma boîte crânienne, faisant un peu la lumière sur ma psychologie :

« En fait, je n'ai jamais poussé mes pouvoirs au maximum, et je ne sais donc pas ce dont je suis réellement capable. Si je parvenais à contrôler mon pouvoir, que j'en abusais, et que finalement, il arrêtait de se soumettre à mes ordres ? Quel désastre pourrais-je causer ? Je suis une putain de bombe à retardement, tu l'as bien vu. »

Je suis capable de cramer une maison avec des températures si hautes, qu'il ne reste plus rien. Et encore, je n'étais pas au maximum de mes capacités, je l'ai bien senti ce jour-là. Mon besoin de protéger Firha m'avait empêchée de brûler l'intégralité de mon environnement.
En y repensant, je sens une boule de chaleur se former dans ma paume, alors je serre le poing et fronce les sourcils. Quand la flamme n'est pas encore apparue, j'arrive encore à la refluer, alors je reconcentre l'énergie au creux de mon ventre, et ma main retrouve une température normale.

« Le feu est quelque chose qui peut prendre une proportion énorme, même si son départ était minuscule. Même si j'ai envie de le maîtriser, je sens bien que je ne peux pas jouer avec. Rien que le fait que je puisse faire fondre du métal est la preuve que je suis un danger ambulant. Si je pétais les plombs, il y a de grandes chances que je fasse se consumer l'entièreté de Leoska, annihilant les chances des mages du monde entier. »

Et tuant des centaines, voire des milliers de gens au passage.

Une fois de plus, Mordred ne saisit pas toute l'étendue de ma situation. Normal, en même temps, je ne lui ai pas expliqué en détails tout ce que j'ai pu faire. Mais il doit bien se douter que je me base sur un certain vécu avant de lui raconter tout ça ?
En attendant, il propose tout de même des idées intéressantes. Je pense que me laisser exploser en plein milieu de nulle part me ferait franchement du bien, certains jours ou j'ai envie de tout casser, mais le problème de la nature même du feu se pose encore une fois. Il pourrait s'étendre et se propager là où il pourrait causer des dégâts. Et de toute façon, je ne connais pas de tels endroits.
Je tique sur la phrase qui suit :

« Je ne connais pas les raisons de ton blocage, si elles sont sérieuses ou non, mais là tu crains un truc que tu ne connais même pas totalement. »

Il me dit ensuite que l'inconnu effraie généralement. C'est justement le problème : mon pouvoir ne m'est pas si inconnu que ça. Et ce que je connaît de lui m'effraie bien suffisamment pour que je n'aie pas envie d'aller plus loin dans mes découvertes.

« J'ai déjà brûlé des bâtiments entiers. À la fin, il ne restait que des cendres. Je ne suis pas dans le flou total, en ce qui concerne mes capacités. C'est ce qui m'empêche d'aller plus loin. Je sais que je suis dangereuse. J'ai déjà risqué la vie de plusieurs personnes. »

« Techniquement, nous sommes tous des dangers ambulants. Tu n’es pas si spéciale et tu te montes vraiment la tête pour rien. Tu sais, tu es la seule à te convaincre de tout ça. Tu trouves pas ça con ? Il y a des mages ici capables de contrer ton pouvoir. »

Il est un peu véhément, mais il a raison, je suis littéralement entourée de personnes qui sont capables de choses autant extraordinaire que faire du feu. Rien que lui est entré dans ma tête et y a provoqué une hallucination, à peine quelques minutes auparavant.
J'ai l'impression de faire ma gamine qui s'imagine être le centre du monde. Je regarde le sol, un peu honteuse.

« Puis tout le monde connaît l’expression « ne joue pas avec le feu ». Personne te demande de jouer sans réfléchir, mais de te l’approprier. Et si tu voulais vraiment le maîtriser, tu ne dirais pas tout ça. »

Je réfléchis quelques instants avant de répondre. Est-ce que j'ai vraiment essayé de contrôler mon pouvoir dernièrement ? Je sais que, quand je suis arrivée à Leoska, j'ai complètement rejeté mon élément, ce qui n'a fait que causer plein de problèmes puisqu'il se manifestait tout seul. Mais, depuis, j'ai évolué, je ne le rejette plus autant. Cependant, comme je n'arrive pas à le maîtriser, j'ai tendance à me tétaniser à chaque fois que mon pouvoir s'exprime.
La vérité, c'est que mon incapacité à gérer mes flammes ne vient pas seulement de ma peur maladive liée à mon passé. Evidemment, mes traumatismes n'aident pas, mais ils ne sont pas la seule raison de pourquoi je n'y arrive jamais. En fait, mon orgueil y est aussi pour beaucoup. J'ai autant peur de ne pas savoir commander au feu que j'ai peur de l'élément en lui-même. Alors, plutôt que de subir une défaite contre lui, j'y mets peu de conviction, tout en me faisant miroiter à moi-même que j'y ai mis tous mes efforts.
Sans Mordred, je ne l'aurais jamais compris. Je le regarde, une expression sérieuse fronçant mes sourcils :

Tu sais, je suis loin d'être d'accord avec toi sur tout ce que tu viens de dire. Mais je pense que cette discussion me fait du bien. J'ai pris conscience de certaines choses quant à ma magie, et je ne l'aurais sans doute jamais deviné sans toi. Je ne sais pas si je suis capable de m'approprier mon pouvoir, mais tu as raison, je ne le saurai pas sans essayer. Ce qu'en réalité, je n'ai jamais vraiment fait jusqu'à présent.

Mordred me sourit, et ça me fait autant de bien que ses paroles.
Il semble heureux d'avoir pu m'aider, et salue ma prise de conscience. C'est maintenant à moi de jouer, voir si je préfère m'enfermer et ne pas faire d'efforts, comme ce que je faisais jusqu'à présent, ou si je me décide à dépasser mes limites, et essayer de dompter mon pouvoir qui pour le moment ne m'obéit pas du tout.
Il continue, affirmant qu'ignorer le problème ne fait que créer de la culpabilité, un manque de confiance en soi voire de la haine envers soi-même. Il ne sait évidemment pas que je ressens déjà tout ça, mais cette discussion me donne envie d'avancer.
Il change ensuite totalement de sujet :

« Tu lis quoi, regardes quoi pour te divertir ? »

Je suis surprise de la question, mais il la complète juste après:

« Ça peut aider à se sentir mieux, d’avoir des ouvrages références. Ou des séries, des films. »

En réalité, personne ne s'intéresse vraiment à moi d'habitude. Je ne sais pas s'il le fait par politesse ou s'il est vraiment intéressé, mais je réponds quand même :

« En fait, j'aimais beaucoup lire quand j'étais petite, après tout, ma mère est libraire. Seulement, à partir du moment où mes pouvoirs se sont déclarés, j'ai cessé tout contact avec les livres. Je n'en avais tout simplement pas le droit. Même si aujourd'hui, rien ne m'empêche d'entrer à la bibliothèque, je crains trop de mettre le feu à tous ces ouvrages pour passer la porte. Du coup, mes seules références littéraires sont de la littérature enfant. Pour les films et séries, je regarde majoritairement des teen movies gnangnan. C'est nul, mais ça permet de se décharger du stress de la journée, en posant son cerveau. D'un côté un peu plus intellectuel, j'ai fini The Good Place récemment. Mais, d'une manière générale, je ne regarde pas grand-chose. »

J'ai bon espoir, maintenant que j'ai ravivé ma motivation, de pouvoir réussir à entrer de nouveau dans une bibliothèque. Quand j'entends mes camarades de chambre discuter de leurs lectures, ça me fait envie. Et puis, depuis un cours d'histoire au collège au sujet de civilisations antiques, je suis très intéressée par ce sujet, et j'aimerais beaucoup approfondir mes connaissances sur ce thème.
Je regarde Mordred, un peu gênée.

« Tu lis ou regardes quoi toi ? »

Le regard de Mordred semble s'illuminer au moment où je lui parle de The Good Place. Aurait-il vu cette série aussi ?
Il répond à ma question en me déballant la longue liste de ce qui l'intéresse. Honnêtement, j'ai du mal à voir l'intérêt de regarder quelque chose sans grand sens, mais je suppose qu'il ne voit pas non plus celui de regarder des séries pour ados cucul la praline et niaises.
Apparemment, il lis et regarde des trucs très sérieux aussi. Essais et revues scientifiques, docu politiques... Je pense que si on s'y intéresse ça n'est pas si mal, mais à chaque fois que je tombe sur un documentaire, sauf si ça parle de reptiles, j'ai toujours l'impression que c'est looooong et soporifique.
Il regarde des films d'horreur, aussi. Je suis déjà assez flippée de moi-même pour ne pas me foutre une trouille supplémentaire devant un écran. Comment font les gens ? En plus, et il en a conscience, il possède quand même un pouvoir qui donne des hallucinations aux gens. Et je ne suis pas une experte, mais pour moi, film d'horreur plus hallucinations, ça donne un cocktail plutôt fort en émotions !
Visiblement, ça le fait rire. Je me retiens de lui jeter un regard mauvais. Devrais-je lui rappeler qu'à cause de son pouvoir j'ai failli cramer son arc, à peine quelques minutes auparavant ?

Il aborde enfin le sujet The Good Place. Oh, lui aussi l'a terminée ! Ça tombe bien, j'avais besoin de parler à quelqu'un de la fin.

« Qu’est-ce que tu as pensé de la fin ? J’avais pas grand-monde à qui en parler alors… Le final était très beau non ? Tu as saisi le message dès le début ou pas ? T’as interprété la fin comment, en fait ? »

« J'ai été très émue. Je suis une personne plutôt sensible à ce qu'il se passe sur un écran. C'est pour ça que je ne regarde pas grand-chose, d'ailleurs. Je me sens un peu vulnérable. » Je m'éclaircis la gorge. « Ouais, du coup, comme la série m'a beaucoup plu, j'attendais impatiemment de voir comment ils allaient tourner la fin. Ils ne m'ont pas déçue. J'ai été très triste de constater la séparation entre Eleanor et Chidi, même si elle était inévitable. J'ai aussi été surprise par la direction qu'a prise Tahani. Mais ça fait du bien de la voir heureuse, et aimée par ses parents au même titre que sa sœur, alors qu'elle passait toujours au second plan. »

Parler de fratrie me pince toujours le cœur. C'est peut-être pour ça que j'ai été aussi sensible à l'histoire de Tahani, alors que ce n'est qu'un personnage fictif.

« Le message qu'ils transmettent, comme quoi le Paradis ne peut être un Paradis que s'il a une fin, rejoint un peu, en quelque sorte, l'idée que je me fait de la mort. Quand on meurt, tout s'arrête. C'est pour ça qu'il faut profiter de sa vie, je suppose. »

En clair, tout le contraire de ce que je fais, mais pour moi, c'est différent. Mon frère n'a pas eu la chance de profiter de sa vie, par ma faute. De quel droit je profiterais de la mienne ?

« Mais je pense que The Good Place considère la réincarnation. Même si c'est très étrange, parce que l'"âme" ? d'Eleanor intègre le corps d'un homme déjà adulte, donc on ne renaît pas. En fait, le final ne fait que se poser des questions supplémentaires sur notre vie et la mort. »

Mordred ajoute que c'était une série très réussie, et en profite pour tacler mes visionnages. Je sais qu'il a raison, moi-même les trouve extrêmement nuls, mais c'est une bonne façon de passer le temps, et d'avoir un sujet duquel parler avec mes colocataires. Et puis comme elles les mettent super fort dans la chambre, autant les regarder avec elles. De plus, ce type de navets présente une caractéristique non négligeable :

« Ce n'est pas que je trouve les teenmovies spécialement intéressants, mais à vrai dire je n'aime pas rester longtemps statique devant un écran, et je ne supporte pas de couper quelque chose qui m'intéresse en plein milieu. C'est ce que j'aimais avec The Good Place, les épisodes n'étaient pas longs, donc on pouvait les regarder tranquillement, sans passer des heures devant un ordi. Du coup, face aux teenmovies, comme ils sont pas extraordinaires, je n'ai aucun scrupule à les arrêter en plein milieu pour faire autre chose, puis les reprendre plus tard. Et comme les scénarii sont télescopés, pas besoin de se casser la tête à se demander de quoi ça parlait. »

Après m'avoir jugée par rapport à des films et séries pourtant créés pour des personnes de mon âge, il affirme que les livres pour enfant contiennent parfois plus de choses que les livres pour adultes. Il a sûrement raison, dans la mesure où je n'ai jamais eu le temps de lire des livres pour adultes, mais je trouve la situation plutôt cocasse.

« Après, mes lectures jeunesses remontent à très loin. Je n'ai pas touché un livre depuis sept ou huit ans. Donc mes souvenirs sont assez vagues, et ne concernent que le gros des histoires que j'aie pu lire. »



[HRP : Pardon pour le temps de réponse, j'ai pas eu beaucoup de temps pour utiliser mon ordi cette semaine, donc je n'ai pas eu le temps de prévenir mon absence non plus ^^']

Mordred semble surpris de mon annonce, et me questionne sur mon organisation pour les cours. C'est vrai que nos professeurs nous demandent d'utiliser des manuels, ce qui est plutôt handicapant quand on crame tout ce qui bouge. Et j'imagine qu'il se doute que ma prise de notes ne se fait pas sur des feuilles non plus.

« Je brûle plus souvent du papier que je ne fais fondre du métal, et généralement en cours théorique je suis suffisamment concentrée pour que mon pouvoir ne se manifeste pas. Au club c'est différent, je suis assez facilement stressée, et je n'arrive jamais à me concentrer assez pour que le risque zéro existe. »

Enfin, il s'en doute, vu le nombre de catastrophes que j'ai causées là-bas.

« Du coup, j'ai une tablette pour les manuels et quelqu'un me transmets les cours sur mon ordinateur, que je touche le moins possible, ou avec des maniques. J'en ai tout un stock haha, vu que j'en crame une paire par mois... »

Et en plus, elles sont toutes différentes, avec des fleurs, des pandas... Bref une jolie collection.

« Du coup, quand je regarde un film ou un épisode, je lance juste l'ordi, ou une de mes colocs le fait, et je me pose loin de l'écran. Ce n'est pas possible pour un ebook, parce qu'il faut tenir l'appareil dans les mains, sinon c'est pas ergonomique et en plus il faut changer souvent de page. Du coup je risque de détruire les composants et de toute manière rester trop longtemps devant un écran me fait mal aux yeux et m'agace, alors je limite les dégâts aux cours, et à des trucs que je peux couper à tout moment. »

Je lui donne sûrement l'impression de chercher des excuses, mais j'aimerais beaucoup lire à nouveau, et malheureusement toutes mes tentatives se sont soldées par un échec. J'ai surchauffé l'ebook de Firha, dû repayer un livre emprunté par une de mes colocs, alors que je venais d'entrer en contact avec leurs objets respectifs. Donc je me suis fait une raison : je ne lirai peut-être plus jamais.



[HRP : Je suis désoléééééééééée ToT J'ai eu absolument aucun moment de libre pour me connecter plus de deux minutes d'affilée... Mais je vais être plus active ce mois-ci lel (vive le corona et les mesures excessives de môsieur Macron-le-non-scientifique)]