Holy shit. Je regarde successivement sa main et ses yeux d’un air admiratif.

« Wouaw. »

Kanhoe Fen.
Sa réputation n’est plus à faire, ce gars-là est l’un des meilleurs élèves de l’école, si ce n’est le meilleur. Une vraie tête, je suppose que c’est dû à son pouvoir, mais si l’on en croit les rumeurs et les éloges des professeurs, ce n’est pas n’importe qui.
Ce qui veut aussi dire que j’ai bousillé les notes du meilleur élève de toute l’école, et en cela on pourrait aussi me construire une réputation ; celle du boulet numéro un de Leoska.
Je finis par saisir sa main et à arrêter de buguer puisqu’il doit me considérer comme particulièrement lent d’esprit à avoir autant hésité.

« Brynjolf Néel, 1re année de cycle supérieur, parmi les mages noirs comme tu as pu sans doute le remarquer. »

J’ai envie de tout plaquer et partir vivre dans un autre pays tant je n’assume pas ma blague, à vrai dire je ne sais même pas pourquoi j’ai eu l’idée de tenter un trait d’humour. Surtout devant lui, je suis sûr qu’il me trouve stupide. À partir de maintenant, je me tais. Enfin, pas maintenant, mais heu… Enfin bref, juste je me cantonne à l’essentiel.

« Viens ! On va aller trouver ton livre, la librairie est à deux pas. »

C’était une petite boutique indépendante dans le centre-ville. J’aimais bien y aller, la libraire était aimable et je préférais toujours aller dans des petits commerces de proximité que dans les grandes enseignes. D’un pas timide je poussais la porte de l’enseigne, et esquissait un sourire en sentant la douce odeur des livres embaumés la pièce. En ayant vérifier au préalable le titre et l’auteur du livre, enfin de ce qui rester du livre que Kanhoe avait emballé, la libraire nous orientât retrouva le bouquin, mais publié par un autre éditeur avec une couverture légèrement différente. Je tentais un « Il est plus joli comme ça, non ? », mais le dit suffisamment bas pour espérer qu’il n’ait pas entendu. Quoi qu’il en soit, je lui rachetais, et lui tendis avec un petit air coupable. Mine de rien cette petite virée m’avait changé les idées, et m’avait permis de sortir la tête de l’eau, sans mauvais jeux de mots. Je m’en voulais toujours, mais j’avais déjà les idées un peu plus claires et le cœur suffisamment léger pour arriver à discuter sans me rouler par terre de culpabilité ou de honte.

« Voilà, j’espère que ça te va… Je suis encore désolé, promis la prochaine fois que ça m’arrive je fais en sorte de ne pas arroser de livres.  Ça ira pour tes autres livres et carnets, tu es sûr ? »

Mauvais départ

Vous savez, à la rentrée les élèves se plaisent à dire que cette nouvelle année scolaire sera signe de nouveau départ, et de bonne résolution. Et bien qu’ils aillent raconter ça à d’autres ! Les cours venaient à peine de commencer que j’amasser la malchance comme une boule de neige dans une pente de ski de niveau olympique.
Cela avait commencé avant même le début de l’année, car pour cause d’erreur administrative, l’école n’avait pas pu m’attribuer de chambre, je devais donc en louer une non loin en attendant. Mais le pire, c’était les cours. Malgré toute la bonne volonté que j’y mettais, aucune information ne voulait rentrer. Il fallait se rendre à l’évidence ; j’aurais beau trimer deux fois plus que les autres, j’aurais toujours de moins bons résultats. D’une nature optimiste, la déprime m’atteignait rarement. Seulement, lorsqu’elle réussissait à m’emprisonner dans son étau démoralisateur, elle ne faisait pas semblant.
J’arrivais à mon but, la salle commune en traînant des pieds pour aller réviser. Je tirais une chaise lassement pour m’y assoir et laissais tomber mollement ma tête entre mes bras croisés sur la table pour continuer à ruminer tout seul. Sans que je m’en rende compte mon cafard avait influé sur ma magie, et un nuage commença à se condenser au-dessus de ma tête.
Une goutte.
Puis deux.

"- Que... Quoi ?" Murmurais-je, surpris

Il fallut attendre que l’une d’elles glisse sur ma joue pour que je daigne lever la tête et constate, horrifier qu’un nuage se mettait à me pleuvoir dessus, en plein milieu de la salle commune, éclaboussant évidemment tout le mobilier environnant et le garçon de la table voisine. Je rester figé d'horreur, ne sachant pas comment agir face à se dérèglement climatique soudain.

J'avais cru entendre quelqu'un entrer dans la pièce, mais je n'y avais pas prêté plus attention que ça, plongé dans mon bouquin. Même lorsqu'une chaise fut tirée à côté de moi, je ne bronchais pas. Totalement absorbé, même si on avait commencé à me parler, je n'aurai probablement pas répondu. Cependant, dès qu'une petite tâche sombre couvrit mon livre, et qu'un bruit, particulièrement dérangeant, de pluie commençant à tomber au bout milieu de la pièce close, se manifestèrent, je relevais brusquement la tête.

"- Que... Quoi ?"

Cherchant autour de moi, je repérai rapidement la source, et attrapai le plus rapidement possible mes notes et carnets pour m'écarter à l'autre bout de la pièce. Horrifié, les pupilles écarquillées au maximum, je feuilletais les pages pour savoir si quelque chose avait survécu.

"- Non, je n'y crois pas..."

Le livre que je lisais allait bien, comme j'avais agis rapidement. Cependant, mes carnets de notes avaient pris chers. On ne lisait que très difficilement tant l'encre avait fusionnée avec les feuilles, formant de larges tâches bleutées. Je posais mes affaires au sol et levais un regard calme, mais sombre, sur l'étudiant qui venait de détruire plusieurs années d'étude en quelques secondes.

"- Tu n'as jamais appris à maîtriser ton pouvoir, ou c'est que tu t'en fiches éperduement ?"

J'avais essayé de ne pas paraître trop agressif en parlant, mais il s'agissait d'un travail qui était si important pour moi et d'autant plus pour l'école, que j'avais du mal à me contenir, pour une fois. Pourtant, pour ne pas descendre d'autant plus cet élève que je ne connaissais point, je ne pipais mot par rapport au contenu de mes bouquins et fermai les yeux quelques instants pour reprendre mon calme olympien.

Une maladresse en entraîne d’autres.

Les gouttes de pluie claquaient le plancher de la salle commune dans un vacarme s’accroissant de seconde en seconde. Je m’étais levé par réflexe, mais je savais pertinemment que si je bougeais, le nuage me suivrait. Alors je restais là, impuissant et trempé, à contempler le désastre causé par mon incompétence. Heureusement, il n’y avait qu’une seule autre personne dans la salle, un jeune homme assez grand, et je me figeais d’autant plus en constatant qu’il possédait une grande quantité de livres qui venait de gratuitement prendre l’eau. J’avais envie de disparaître sous le coup de la honte, de rétrécir petit à petit jusqu’à devenir une fleur, ou mieux un atome, bref quelque chose auquel personne ne prêterait attention.

« — Non, je n’y crois pas… »

À en croire son intonation, le mal était fait. Une expression identique à celle que j’aurais eue si j’avais heurté un meuble s’afficha sur mon visage lorsque j’imaginais ce que j’allais sans doute subir en représailles. Son regard lourd d’accusations peser comme une enclume sur ma nuque, me poussant à fixer le sol, immobile, en espérant que cela suffirait à me rendre invisible.

« — Tu n’as jamais appris à maîtriser ton pouvoir, ou c’est que tu t’en fiches éperduement ? »

Aïe. Non seulement je ne suis pas invisible, mais en plus il a su taper ou ça fessait mal. Je déglutis difficilement, ne trouvant pas le courage nécessaire pour répondre.

« Je suis vraiment désolé… » Murmurai-je, trop bas pour que le son traverse le bruit de la pluie.

Non Bynjolf, ça ne marchera pas comme ça. Raclant ma gorge pour essayer de me donner de la contenance après la sorte de couinement désespéré que je venais de lancer, je me lançais dans une deuxième tentative. Trouve un peu de courage. Inspire. Expire. Ouvre les yeux, et lance-toi !

«PARDONJENEL’AIPASFAITEXPRESJERACHETERAISTESLIVRESSIILLEFAUTJETEJURE JE   SUIS   DÉSOLÉ. »

Je lâcher cette tirade en la prononçant le plus vite possible, comme si je risquais de me décourager au milieu de mes excuses si je prenais trop de temps. J’étais é-ssou-flé. Et j’observais mon vis-à-vis avec une expression affligée, presque désespéré. Il était légitime que je lui donne des explications après de tels dommages envers lui, et que je réponde à sa question.

« Je ne m’en fiche pas… Je ne sais juste pas le maîtriser… Je… » Je lançais un regard au nuage de pluie au-dessus de me tête avant de regarder à nouveau mon interlocuteur « Je ne sais pas comme l’arrêter. »

Au bord des larmes, je passais mon avant-bras sur ma joue comme pour les essuyer bien que ce soit franchement inutile sous les trombes d’eau qui m’assaillaient. Il va m’en vouloir à vie, ou peut-être qu’il va me faire virer, je ne sais pas, mais je l’aurais mérité, je suis vraiment nul…

Alors que je reprenais une respiration plus tranquille, je vis les lèvres de mon interlocuteur bouger, sans rien entendre sortir de sa bouche. Il a l'air vraiment dépité et au bord des larmes alors je refoulais pour de bon ma colère et écartais définitivement mes livres pour lui faire face, d'une allure plus calme.

"- PARDONJENEL’AIPASFAITEXPRESJERACHETERAISTESLIVRESSIILLEFAUTJETEJURE JE   SUIS   DÉSOLÉ."

Ah oui, à ce point. Il fallait à tout prix qu'il comprenne que je ne lui en voulais pas à mort - bien que c'était le cas - pour qu'il se calme lui aussi et arrête d'innonder la pièce. Une large flaque commençait à se former à ses pieds et n'allait pas tarder à arriver à mon niveau. Son état en lui même ne pouvait pas réellement empirer tant ses vêtements étaient trempés et les gouttes tombaient rapidement de ses cheveux.

"- Je ne sais pas comment l’arrêter. "

Et voilà le principal problème sur lequel on devait se concentrer pour arrêter ce nuage de pluie avant que le bâtiment ne soit évacué pour cause d'innondation. Ok réfléchis, réfléchis... Il faut qu'il arrête de penser que c'est la fin du monde, que je le rassure...

"- Ok, ne t'en fais pas. Ce n'était pas des bouquins trop importants. Surtout un roman que j'apprécie. Tu n'auras qu'à me le repayer, je l'ai pris à la bibliothèque du centre ville, ils doivent sûrement en avoir d'autre là-bas. On pourra y aller ensemble."

Ça devrait déjà lui permettre de se calmer. Ça me laisse le temps de le détailler un peu, et je crains ne pas du tout le reconnaître. Soit il est tout nouveau, soit mon pouvoir me joue des tours. À force d'enmagasiner tant d'informations provenant des mes bouquins, j'ai tendance à oublier mes propres camarades ou les personnes que je rencontre dans l'école. Mais sa longue silhouette, bien plus grande que moi, et sa tignasse rousse, en désordre ne me disent rien.

Il me paraît bien innoffensif et même totalement abusé de son pouvoir, alors autant lui donner un coup de main. Étonnement, cet événement soudain et improbable, ainsi que la fraîcheur qu'apportaient les fines goutellettes de pluie m'avait en quelque sorte aidé à oublier mon mal de crâne.

"- Est-ce que ça va aller ?"

J'espérai que j'avais pu le rassurer. Et que même mentalement, il irait un peu mieux.

L’attitude de mon vis-à-vis avait changé, son regard semblait plus posé, et moins chargé de reproches. Je me doutais bien que c’était soit parce qu’il avait pitié de moi, soit parce qu’il avait compris que plus je paniquais, plus il y avait de chance qu’une seconde piscine remplace la salle commune. Mais quoi qu’il en soit, il avait sans doute raison. Suspendu à ses lèvres pour confirmer sa réaction, j’attendais une parole de sa part, que ce soit pour m’envoyer balader ou me dire que ce n’était pas grave, peu importe, car le doute était pire que tout.

"- Ok, ne t'en fais pas. Ce n'était pas des bouquins trop importants. Surtout un roman que j'apprécie. Tu n'auras qu'à me le repayer, je l'ai pris à la bibliothèque du centre-ville, ils doivent sûrement en avoir d'autres là-bas. On pourra y aller ensemble."

Je le fixais avec une sorte de reconnaissance sans doute excessive, rassurer par le fait qu’il accepte que je me fasse pardonner. J’en avais besoin, étant souvent une source d’ennui pour les autres et surtout pour toutes leurs affaires, je me sentais obligé de compenser ces problèmes.

"- Est-ce que ça va aller ?"

J’hochais la tête, la gorge toujours légèrement serrée par la culpabilité, mais aussi pas la bienveillance dont il avait accepté de faire preuve. Aller, Bryn, reprend toi, arrête de paniquer ça ne sert à rien.
Je souffle un grand coup et ferme les yeux, me concentrant uniquement sur le bruit des gouttes d’eau percutant la flaque qu’elles avaient formée, et j’imaginer peu à peu ce son disparaître. Ça me prit quelques minutes, mais ma concentration était tel qu’elles finirent par rester en suspension. J’ouvris les yeux un instant pour en être certain et constater le spectacle des gouttes figé dans l’air comme si le temps s’était arrêté. L’eau était un bel élément, c’est dommage qu’elle soit aussi capricieuse et que je sois aussi inapte à la contrôler. Déconcentré par la scène, le contrôle de quelques secondes que j’avais réussi à obtenir s’estompa et le nuage au-dessus de ma tête c’était décondensé en des milliers de petites gouttes s’écrasant sur le sol comme les autres, moi en dessous. Cela finit de me tremper et d’inonder la pièce, mais au moins il ne pleuvait plus. Je regardais Kanhoe avec un sourire enfantin l’espace d’une seconde.

« C’est la première fois depuis des mois que j’arrive à contrôler quelque chose ! »

Oh bien sûr ça n’avait rien d’impressionnant, des mages d’eau de primaire arriver déjà à stopper la course de l’eau dans l’air, mais pour moi c’était plutôt nouveau. Me rendant compte que j’avais l’air ridicule, je me repris et secouer mes cheveux comme si cela aller suffire a les détremper.

« Ok. Heu… Je… Je vais me changer, on se rejoint à la sortie de la forêt pour aller en ville ? Je n’ai pas encore de chambre au dortoir alors je dois faire un peu de chemin pour aller récupérer mes affaires. »

Non pas que ça me dérange d’être trempé, j’avais pris l’habitude, seulement être couvert d’eau en centre-ville alors que le temps était radieux était sensiblement bizarre. Je stressais toujours un peu de perdre le contrôle là-bas, mais l’école avait fini par me donner l’autorisation de sortie du fait que j’étais en cursus supérieur. Je fis volte-face pour me dépêcher, et m’arrêter juste devant la porte pour me retourner vers mon camarde. Je passais une main à l’arrière de ma tête d’un air gêné et maladroit.

« Heu, merci… De m’avoir aidé alors que… Enfin, bref, à toute. Je vais juste passer prévenir les surveillants pour... L'inondation.»

POURQUOI JE NE SAIS PAS PARLER CORRECTEMENT ? Holala, bon tant pis de toute manière je m’étais déjà affiché auprès de lui alors ce n’était pas ça qui allait changer mon image. Je trottinais donc jusqu'au bureaux de l’administration pour déclarer le dégâts des eaux. Je serrais les dents en pensant que je devrais payé une contrepartie, mais heureusement, ce genre d’événement était monnaie courante et l'école s'en occuper. J'eu juste le droit à un regard désespéré de la secrétaire qui s'occuper du dossier, mais elle me certifia qu'un mage d'eau compétent s'occuperais de retirer la flaque de la pièce.

Je filais donc hors de l’école pour rejoindre un peu plus loin vers l’orée de la forêt la vielle maison ou je louer une chambre un peu miteuse a un vieux mage qui y habiter. J’enfilais en vitesse un t-shirt et un jean tout simple, pris un bon moment pour trouver mon portefeuille et me remis en route en courant pour rattraper mon retard. Lorsque je rejoins Kanhoe au bout du chemin que les élèves emprunter pour rejoindre la ville, j’étais à bout de souffle, mais vivant.

« Désolé, j’espère que tu n’as pas dû attendre trop longtemps. »