TW : Language grossier, self-hate, psychophobie, sang, description de blessure, accès de colère, perte de contrôle bestiale, violence physique et psychologiqueFin de journée tranquille, j’me grouille d’aller en direction de la bibliothèque pour poser mon livre avant que ça ferme. C’est désert les soirs, c’qui est plutôt cool.
Y’a juste une go qui marche en plein milieu du couloir. Bwoarf. Elle bougera.
Non ?
…
Je lui prête pas attention et… Boom. Collision. Pff. Relou. Elle le fait exprès sérieux ?
Elle se retourne d’un air agacé, mais je l’ignore, passe mon chemin et continue ma route pour pas être en retard.
« T’es un peu débile ou juste tu espères pouvoir partir comme ça sans t’excuser ? »
J’inspire. Ouuuh la douce odeur de mal de crâne en perspective. Encore une pauvre petite conne qui croit qu'le monde lui appartiens. Flemme. Totale flemme de la gérer. Ça lui f’ra une anecdote à raconter, c’bon j’ai pas son temps et j’ai autre chose à faire que de me faire insulté parce qu’on me fonce dessus.
« Yo, t’as un problème ? Redescend, pète un coup, détend ton slip, j’sais pas, tu va t’en remettre ma grande ? J’ai autre chose à foutre. »Elle me détaille de haut en bas d’un air hautain. Tu veux une photo dédicacée ou quoi ? Accouche.
« Pour le moment oui, à toi de me dire si tu comptes le résoudre rapidement. J’en ai rien à faire que t’aies autre chose à foutre, juste tu peux t’excuser quand tu rentres dans quelqu’un. »Ça se tient. Ça se tient au détail près que t’as foncé droit sur moi, donc remet toi en question avant d’aller t’plaindre au manager. Je peux pas m’empêcher de rire. C’est… Giga lunaire. On nage en plein délire.
« Mdrrrr non, mais miskine, quoi. Genre, tu m’es rentrer dedans aussi ? Boucle là et passe ton chemin grosse, tu t’ridiculises sévère là. »
Je reprends la route pour mettre fin au supplice et lève les yeux au ciel quand elle se campe devant moi avec un air qui se veut calme. Haha, ouais, bien sûr, quelle maîtrise d’elle-même ça doit d’mander de se comporter comme une narvaline pareille.
« Je suis ridicule vraiment ? Juste polie et j’aurais voulu ne pas insister, mais apparemment on ne t’as pas très bien éduqué. »Ta politesse genre, à sens unique ? Non parce que non seulement t’aurais pu te passer d’me traiter de débile, mais ça t’aurais pas arraché la gueule non plus des excuses et pourtant j’te fais pas chier. C’est bon, j’galère déjà à en présenter à mes proches donc j’vais pas être désolé pour la première abrutie en manque d’attention à qui j’dois rien, rien du tout.
Je souris froidement. J’arrive même plus à faire genre que ça me saoule pas.
« Bah je t’en prie alors, excuses-toi si t’y tiens ? » Très courte pause, pour lui laisser une chance en laquelle personne ne croit
« Non ? Bah alors rentre chouiner chez toi, t’essuieras tes larmes avec ta politesse tiens vu que t’as visiblement rien d’autre à foutre. »Je force le passage et elle me le barre encore. Bordel. Elle est pénible. On perd du temps.
« Oh, mais je peux m’excuser. Je suis terriblement désolée pour toi quand tu finiras au sol parce que tu auras usé ma patience. »Je la fixe, sidérée. Ma patience c’est… une sorte de fine couche de verre, une baie vitrée qui contraint mon sale caractère à ne sortir qu’au compte-goutte, par les fuites sur les côtés. Et cette meuf c’est le ballon de basket du voisin qui arrive droit dessus.
« Putain tu commences à vraiment me faire chier. DÉ-GA-GE. Faut te le dire lentement pour que ton cerveau ramassé comprenne ?? — Honnêtement je t’ai déjà demandé de t’excuser une fois, ça commence à être usant de répéter. Jte pensait déjà très con.ne, mais c’est encore pire, t’es juste inconscient.e »
J’en ai ras le cul. C’est pas possible d’être aussi chiante putain, elle fait que brailler, que brailler… Avec son vieil air de Karen là. Uh.
Je fout un coup de paluche dans les livres pour les balancer par terre. Comme ça au moins elle aura une raison de traîner sur place.
« C’ton problème. J’te dois ni du temps ni des excuses. Ciao. »Je tente de partir encore plus précipitamment parce que je sens que ça peut très vite dégénérer avec une petite conne dans son genre. Et que j’ai pas envie que ça dégénère. C’est bon, les embrouilles à la con j’en ai fait mes frais j’veux juste me barrer.
« Ramasse. »Quand elle m’attrape le bras, je me fais une absolue violence pour ne pas retourner le sien et lui faire une prise. J’ai eu un soubresaut, ça s’est vu, mais j’l’ai pas fait. Il faut pas. Il faut surtout pas. J’veux pas retomber là-dedans, ça serait facile, mais j’veux pas, j’essaie vraiment de m’améliorer même si c’est toujours bancal.
Sa voix m’insupporte. J’inspire. Longuement. Si je cède à la violence, c’est non seulement les classes d’aides, mais aussi piétinées des mois et des mois d’efforts. Je lui laisserais pas ce plaisir. Je tente encore la sommation. Je tire son bras, mais elle ne cède pas.
« Tu me lâches, MAINTENANT. » ma voix commence à s’emporter, mon visage s’approche du sien, menaçant, alors que son sourire à elle se fait carnassier
« J’en ai rien à foutre de tes putains de bouquins, t’es grande, ramasse-les. Vue comme ton cerveau est éclaté au sol, tu t'sentiras chez toi par terre.— Non. Tu ramasses. »
Elle rend dingue. J’vais péter un câble. J’vous jure que j’essaie, mais là j’sens qu’à tout moment ça peut partir. Je vois flou. C’est hors de question que je lui donne raison, elle as pas tout les putains de droit ici, sérieux, j’suis pas son chien, faut qu’elle redescende.
« Non. Nique-toi. »
Je libère mon bras. Elle ne le rattrape pas. J’ai envie de crier de soulagement jusqu’à ce qu’elle me balance un livre dessus. C’est l’bouquin qui fait déborder le vase.
Je me le prends en pleine tête, et faut croire que ça suffisait à bousiller c’qui reste dedans ; je commence à péter les plombs. Je perds pied. Je sens mon visage se réchauffer. Ma cage thoracique se comprime. On y arrive. Dans ces états de semi-conscience.
« Maintenant. Tu. Ramasses. »
Je me retourne brutalement, et saisis tous ses livres, les mains crispées de colère.
« AH OUAIS TU VEUX QUE J’LES RAMASSE TES PUTAINS DE LIVRE ???? BAH BOUFFE-LES, CONNASSE. »Et j’réfléchis plus, je les lui jette tous dessus. Elle en esquive certains, d’autres non, et franchement je m’estime gentil.le en comparaison des images de violence qui me traversent la tête. Ouais c’est ça, regarde-moi mal, pétasse. Comme si tu pouvais te le permettre.
« Espèce d’enflure, ça fait deux fois que tu me touches. Deux fois de trop. T’as trois secondes pour déblayer de mon champ de vision ou je te casse en deux. »
Elle se rapproche de moi pour m’intimider, et je m'avance d’autant pour lui faire comprendre que ça marche pas. C’est à ce moment que j’aurais dû me barrer, pas rentrer dans son jeu ; même si ça lui donner raison, ça m’aurait évité les problèmes.
Mais ça, c’est ce que je me raconterais plus tard. Parce que la colère, c’est vraiment de la merde. Ça balance toutes les perceptions hors du radar, ça vire le bon sens à coup de pied au cul, et ça fout la tête de la logique dans les chiottes pour vous laisser seul avec la frénésie de la rage, et une série de décisions bancales.
Elle me met hors de moi.
« Bah vas-y ??? » Je la pousse. Ça lui fait trois fois de trop du coup, c’est ça ?
« Casse-moi en deux ? Alleeeez j’t’en prie, qu’est-ce que t’attends, putain, mon autorisation ??? »ALLEZ. FRAPPE-MOI. DONNE-MOI LE DROIT DE LE FAIRE. J’attends que ça, qu’on me pète la gueule, j’suis en manque. Tu veux m’humilier ? Me détruire ? Bah montre-moi ce que tu sais faire alors, prouve-moi que t’es à la hauteur au lieu de brailler comme une putain de collégienne. T’as l’air sûr de tes appuis en plus, tu sais faire non ?? Parce que j’te jure. Si tu me lances, t’as intérêt à le faire bien. Avec
art. Défigure-moi jusqu’à ce qu’on me reconnaisse plus, que plus personne ne veuille de moi, et là, peut-être que là tu t’en sortiras sans que j’te détruise.
Mon sourire enfle, gonflé à l’adrénaline que je sens me visiter et s’installer, comme une vieille connaissance. Une fausse amie. Le genre qui vous pousse par la fenêtre quand vous vous demandez ce que ça fait de voler.
« Tu penses que j’en aurais besoin ? Mais vas-y, honneur aux plus faibles, je te laisse l’opportunité de me toucher une seule et unique fois. »Je ricane, en roue libre, presque front contre front.
« Tu vas rien faire. T’as pas les couilles.— Oh chaton effectivement j’ai pas de couilles, mais ça m’empêche pas d’agir. »
Il me faut quelques secondes de questionnement pour commencer à comprendre qu’un truc cloche. Au début, j'ai cru à un bruit de fond. Mais c’est de plus en plus fort. De plus en plus précis. Des tas et des tas de voix qui murmurent et parlent autour de moi, mais il n’y a personne.
Je réalise avec horreur que tout se passe dans ma tête.
Et avec encore bien plus d’horreur que ça en pompe le contenu personnel.
Et pas n’importe quoi, non. Toutes mes conneries. Toutes mes hontes. Celles qui surgissent en pleine gueule à 4 h du mat’, quand les insomnies sont d’la partie. Au cas où je me souvienne par de toutes ces saloperies
de choix merdiques. La fois ou j’ai forcé le système hormonal de Philophae pour stopper sa crise d’angoisse et qu’il fasse c’que j’avais envie qu’il fasse. Celle où j’ai poussé Mordred complètement à bout. La fois ou j’ai balancé le grille-pain droit dans la tête de mon daron parce que j’en pouvais plus de la maison, de ses réflexions, de me cacher comme un rat de sa putain de meuf anti-mage. Des pauvres cons que j’ai défigurés alors que j’aurais pu me contenter de les envoyer chier. Cette gamine que j’ai manipulée pour le fun, aussi. Tous ces mages que j’ai gazés dans les dortoirs, parce qu’après tout pourquoi pas anesthésié de force une bande de réfugiés traumatisés pour les dévaliser et se saboter avec brio.
J’ai envie de me percer le crâne, d’oublier. Bordel, mais vous croyez vraiment que j’ai besoin d’aide pour m’en souvenir ??? Putain c’est bon, ça va, j’le sais que je suis une raclure CHANGEZ DE DISQUE, la culpabilité j’m’en charge déjà.
Et toi pauvre conne. T’es satisfaite de ton truc hein ? Tu jubiles ? T'exultes parce que tu te crois meilleure avec ta pauvre gueule de p’tite meuf exemplaire, de maison témoin ?! Ça te plaît hein, de planter ta putain de french parfaite dans les plaies des gens, c’est ça, je me trompe pas, j’peux pas me tromper, j’les connais trop bien les salopes dans ton genre. Tu joues les saintes, mais ton kiff c’est avoir du sang sous les ongles, avoue-le ? T’y prends plaisir en fait ? Et bah j’m’en tape. Pas avec moi. Va réaliser tes foutus de fantasme pervers et tordu plus loin, trouve-toi un autre couillon. MAIS DÉGAGE.
Je la chope par le col et la plaque au mur. Mes dents grincent comme un disque rayé. Mon cerveau aussi. J’me vois partir pleine gaze vers la fin des rails, mais tente de freiner.
« Arrête tes conneries immédiatement ou j’te fais bouffer tes dents. »Elle pose une main sur mon poignet. Je lâche pas ses yeux.
« Oh… J’arrête dans cinq minutes, mais avant raconte moi ça à l’air marrant cette affaire de dortoir là. »
Mon visage se déforme, un mélange de rage, de dégout de soi et de terreur face au constat.
Donc elle les entend. Elle les entend bien. Elle sait. Elle sait tout ce qui s’est dit. Elle l’a enregistré net, et elle à l’intention de s’en servir contre moi et ce genre d'info pourrais des dégâts monstre. C’est sûr. Je suis en danger. Y’a pas beaucoup de personnes qui peuvent me piffer aussi, et c’est logique, j’ai tout fait pour me faire détester pendant longtemps… ça s’était un peu amélioré. J’étais en train de m’intégrer. D’essayer de… faire partie des mages ?
Mais non-putain, haha, bien sûr. Ça s’efface pas ce genre de connerie. Ça s’efface jamais. Les gens ont pas le droit de changer. Tout ce qu’on fait, on le grave en relief dans du béton frais et on le laisse se figer. On peut s'éclater à couvrir la fresque, la peindre pour en lisser les aspérités, mais il suffit de passer le doigt dessus, pour réaliser qu'elles sont toujours là.
Et pourquoi elle se priverait de balancer ce qu’elle apprend ? Le pouvoir qu’elle a dans ses mains est énorme. Elle peut me détruire. Mes constructions sont si fragiles. Si friable. Si combustible. Et elle aime tellement le feu.
Donc bien sûr qu’elle est encore là, sous mon putain de crâne, avec toutes ses putains de voix qui continue à résonner, à me rendre barjot et – et- Il faut qu’elle arrête, il faut que ça cesse. Je peux pas, je peux pas, je peux pas. Pas dans ma tête. Sort, sort, sort, sort….
« FERME. TA. PUTAIN. DE. GUEULE. »À chaque intonation je frappe violemment son dos contre le mur, complètement hors de contrôle. J’ai déraillé et mes restes sont en train de dévaler la pente. Et j’aurais continué, encore, encore, encore à lui péter la colonne jusqu’à ce qu’elle arrête si elle m’avait pas mis une beigne droit dans le plexus.
Je la lâche sous la surprise, hoquète de douleur. La sensation raisonne un instant, vibre, et aurait pu m’ancrer si le brouhaha n’était pas en train de s’intensifier. Les murmures se changent en voix connues, parfois des cris, de plus en plus fort, de plus en plus personnelles.
Je me tourne vers elle, mais ça commence à devenir si intense que je ne la vois même pas. La honte et la culpabilisation laissent la place à des peurs bien plus grosses et plus nettes.
Parce que ouais. C’est clair. J’suis un putain d’imposteur. J’me la raconte, sous fausse une attitude bien-pensante dégueulasse, une plaie infectée, un tas de pus rampants. J’me revois dire à April et Mordred de pas dérailler alors qu’à côté de ça je reste toujours le même connard irrécupérable et violent. Ah putain, c’est beau hein de se faire croire qu’on s’améliore, qu’on progresse, de se convaincre qu’à défaut d’être un individu correcte, on peut à minima tenter de devenir meilleur.
MAIS NON, HAHA, NON putain, raconter ça à vos chiards si ça les amuse, mais on ne transforme pas le plomb en or, ni les chiures en bonnes personnes. Je mérite pas d’être entouré. Ils ont tout essayé, mais à aucun moment j’ai le droit de les avoir encore autour de moi. Mon daron l’a compris. C’est LUI qui avait raison, c’était marrant d’le pointer du doigt comme l’une des causes de mes problèmes, mais il a bien fait. Il a bien fait de se défiler. On reste pas en face d'une bombe à retardement : on se protège si on n’est pas un putain de demeuré.
Et ils vont tout comprendre. Ils vont tous finir par se barrer. Réaliser. Réaliser que j’suis juste une emmerde, une erreur sur leur parcours, une épine dans leurs pieds. Et je crèverais enfin seul, comme je le mérite, comme j’y ai si souvent pensé.
Et je les entends, me le dire tous, avec leurs voix que j’aime tellement que j'ai l'impression qu'on me déchire en deux. Les larmes montent, mais je les bloque, je veux pas les rendre réelles.
La panique grimpe elle aussi. L’angoisse. Tout. Ma cage thoracique est si serrée que respirer se fait dans un râle. Mon sang cogne si fort à mes tempes qu’il donnerait presque la rythmique aux horreurs qu'on me raconte.
J’essaie de les couvrir, de me boucher les oreilles, de frapper mon crâne du bas de ma paume comme si ça pouvait les virer par miracle. Mais elles sont là.
Je brise ma propre voix en hurlant à plusieurs reprises « LA FERME », la tête dans les mains. C'est vain.
Je relève les yeux sur elle, lentement. Et je me défends à l’instinct. Si je l’assomme, ça cessera peut-être. Je lui envoie une droite monumentale dans la gueule, enchaîne les coups.
Tous mes mouvements se construisent sur l’urgence de mettre la menace hors d’état de nuire. Quand je vois une faille, je bondis dessus si ardemment que mes frappes manquent de finesse, rendu complètement chaotique par la panique. Je ne me rends même pas compte de ce qui la touche : tant qu’elle est debout, c’est que c’était pas assez.
ARRÊTE D’ESQUIVER. CRÈVE PUTAIN, OU EXPLOSE-MOI-LE CRANE ET FOUT MOI AU SOL QU’ON EN PARLE PLUS. JE PEUX PAS. J’EN PEUX PLUS.
Elle se fige.
« Attends. »Ma beigne était déjà engagée et la frôle de peu. Je m’arrête, la respiration sifflante. Mon expression n’a pas plus de sens que mon état. Que ce que j’entends. Mes yeux humides sont grand ouvert, trop même, chargé de terreur. Mais surtout accompagnée d’un sourire presque fou aux lèvres, complètement assommé, déglingué par tout ce qui se passe. Les voix sont toujours là et tout ce que je peux faire c’est essayer de paraître plus gros, crier plus fort qu’elle.
A T T E N D R E ?? Elle me demande d’ATTENDRE ?! D’attendre quoi, que ces foutues voix aient imprimé leur discours au fer rouge sous la surface de mon crâne ???
« Hahaha ALORS QUOI ? QUOI PUTAIN ? Tu flippes ta race c’est ça, tu recules parce que j’me laisse pas faire comme prévu ? T’AS PEUR DE TE FAIRE CASSER TA PAUVRE PETITE GUEULE DE TIMP ???? »Je la pousse. J’ai plus de prise sur rien. J'vais la détruire si ça continue. Il faut qu’elle arrête, qu’elle arrête, qu’elle arrête, qu’elle arrête, qu’elle arrête…
« T’as aucune putain d’idée de ce que tu fais, ni d’as qui t’a à faire. J’ATTENDS PAS, NON. TU-SORT. DE-MA-TÊTE ou j’te défonce, j’te défigure. Ou j’te pète les jambes pour qu’tu puisses plus jamais courir comme avant, ouais ça s’rai bien ça, ouais. Ça t’apprendrait un peu. T’as une préférence ??? Ou t’arrêtes tes putains de conneries ??? »Mes émotions bourdonnent tellement que je n’entends même pas les voix s’estomper petit à petit. Je réalise pas. Parce que leur taf je le continue tout seul, comme un chien docile à qui on aurait ordonné de bouffer ses propres tripes et qui en redemanderait.
« C’est bon regarde je laisse ton esprit tranquille. C’est dommage, j’aurais pu t’aider à te libérer un peu plus, t’aider à avouer tout cela. On aurait pu aller leur dire a Mordred, a April, a Phil ou aux autres ce à quoi tu penses. »Elle regarde le fond du couloir.
« Maintenant qu’un de tes camarades vient d’arriver, jvais éviter de te terminer devant lui. Saches seulement qu’avec ce que je sais, un pas de travers et t’entendras parler de moi. »MAIS FINIT TON PUTAIN DE TAF. T’AS PAS LES COUILLES DE M’ACHEVER C’EST ÇA ? Même ça. Même ça, j’le mérite pas ?! Tu vas juste cracher sur mon corps, me regarder pourrir alors que j’suis encore conscient au lieu me laisser une putain de chance de finir en cendre ? Qu’est-ce que tu me parles de me faire chanter alors que t’es même pas capable d’aller au bout de c’que tu commences. T’as même pas le simple droit de prononcer leur prénom.
J’attrape son col. Ma voix siffle.
« S’tu penses pouvoir me faire chanter tu te fourres le doigt dans l’oeil jusqu’au cul. Si quoi que ce soit se sait, j’trouverai un moyen de te démolir pièce par pièce. Surtout si t’as peur qu’on détruise ta p’tite image de bien pensante propre sur elle ? Ça serait con qu’les gens sachent quel genre de pauvre tordu t’es. »
Je ricane, sur les nerfs. Je pourrais me taper la tête contre le mur que l’effet serait le même. Mais j’y vois ma chance. Ma chance de pas crever seul, d’exposer cette dégénérée sadique à l'assistance pour qu’on finisse ensemble dans la fosse.
« Perso j’m’en fous, j’ai rien à perdre, plus rien à perdre les autres savent que j’suis un connard. Alors on a qu’à demander au public son avis sur la torture psychologique ? Ça s’rait bien ! Hein ? Que les autres en sachent un peu plus sur toi. EH, BÂTARD- »
Je me retourne. Me fige. Tout tombe.
Mon agressivité. Ma main qui tenait le col d’Elarielle. Et d’une certaine façon toute une partie de mon monde. Je pensais pas pouvoir m'effondrer plus bas, mais entre se faire hurler ses angoisses à même son crâne, et les voir se réaliser, il y a un fossé. Fin, mais tellement profond. Un abîme dans laquelle on tombe si vite.
Phil. Pas lui, non. Pas lui. Il sait pas. Il comprends pas. Ça fait des semaines que je lui explique que je suis monté à l’envers, mauvais, et qu’il me croît pas. Mais pour la première fois de ma vie je voulais pas avoir raison.
Il est complètement figé au milieu du couloir, dans un masque de panique. De déception ? De peur. Surtout de peur. Tout bourdonne tellement que j’ai l’impression que mon crâne va exploser. Je câble totalement. J’ai envie de m’arracher la gorge pour plus la sentir se serrer. Je reste bouche bée, les lèvres entrouvertes, mais aucun son ne sort. Aucun souffle ne rentre. Le seul mouvement est celui des larmes qui tombent de mes cils.
La meuf à côté de moi joue les victimes faibles et blessées. Mais je percute à peine, je suis en boucle.
Il va partir. Lui aussi il va partir. Évidemment qu’il va partir. C’est même ce qu’il doit faire, pour lui. Pour plus jamais voir ça. Il fait un pas en arrière. Je crève d’envie de tellement de choses que ça me ronge de l’intérieur.
Casse-toi. Reste.
Gueule. Croise plus jamais ma putain de route défoncée.
Oublie-tout ou hurle-moi dessus. Laisse-moi disparaître, plus rien ressentir.
Je veux plus exister si c’est pour avoir aussi mal.
« Phil… C’est pas… Je… »
C’est pas quoi ? De quoi tu te justifies ? Arrête de t’autoconvaincre. T’aurais pu passer ta route, mais t’as préféré lâcher la déferlante, t’avais juste besoin d’une connasse pour prétexte, c’est toi le problème. C’est parfaitement ce qu’il croit, fais-lui faire confiance pour le reconnaître. T’es une putain de crevure, un raté, une erreur de parcours, mais certainement pas quelqu’un qui le mérite.
Mes mains se mettent à trembler avec une violence rare. Il est parti. Je reste sous le choc. Vide. Complètement
vide. Mais le vide peut pas se permettre d’exister. La nature aime pas ça. Alors il se remplit, presque instantanément d’une vague de
haine brute, bestial,vive envers moi-même, mais pas seulement. Mon regard se tourne vers elle. Vers cette connasse nauséabonde qui se fait passer pour une martyr. Tu veux être la victime, hein, c’est ça que tu veux ?
Ma mâchoire se serre. Fort. Si fort que j’ai l’impression que mon émail pourrait sauter à n’importe quel instant. Si fort qu’à la place elle se mue en mâchoire pleine de crocs. Je ne pense plus, je grogne. J’ai envie de lui faire du mal, beaucoup de mal, et définitivement. Rester marqué sur sa peau de la même façon qu’elle reste gravée dans mon esprit.
Mon regard est presque animal. Menaçant. Les dents claquent. Mon visage se transforme en une chimère grotesque entre l’humain et l’animal. Et à l'instant où j'aperçois une once de faiblesse la traverser, quelque chose cède en moi. Un truc que je ne voulais pas voir se briser, mais qui vient d’être réduit en miettes. Elle avait explosé chacune de mes barrières, m'avait arraché l’épiderme pour m’exposer la chair à nu et à vif face à ma propre violence, crue, omniprésente, nourris de haine et j’avais réagi. Mal.
J’essaie de lui sauter à la gueule et elle jette son épaule dans la mienne pour sécuriser ses points vitaux. J’ai pas eu le temps de me sentir partir, y’avait plus rien pour m’empêcher de faire cette immense connerie, complètement hors de mon propre contrôle, une réaction presque animale à la terreur. Vouloir faire mal parce qu’on se sent menacé, blessé, écorché, dévoré, lacéré de l’intérieur.
Lorsque mes crocs percent son épaule, le goût du sang ne me fait même pas flancher. Non, j'essaie d'la bouffer puis serre, serre, serre toujours plus fort, secoue la tête pour enfoncer mes crocs plus loin, élargir les plaies. La pression de mes mâchoires sur ses os, la sensation du derme déchiré et de sa peur est, l’espace d’un instant, salvatrice et douce. J’veux pas lâcher. J’y arrive pas. Je suis complètement figé, bloqué dans cet état jusqu’à ce que le personnel de l’école ayant entendu sa détresse me force magiquement à le faire.
Quand ma mâchoire se décroche, elle reprend peu à peu son aspect. Les tremblements sont encore plus violents. Mon regard se fait terroriser.
Et lorsque mes papilles redeviennent celles d’un humain, je reconnais le goût du sang tel que je le connaît dans ma bouche, mais réalise aussi que ce n’est pas le mien. Mais ce n’est même pas le pire. Le pire c’est la sensation de bout de chair, et le simple fait d’en connaître le goût. Je me dégage de l’emprise du surveillant et bondit en arrière, totalement en panique et vomi mon dernier repas sur le sol. J'peux plus respirer. Ça bloque.
J’arrive pas à penser. Ça bloque aussi. Tout
shut down chaque fois que j’essaie d’aligner les événements. Mon cerveau refuse d’assimiler ce que je viens de faire.
Le surveillant demande des renforts et gère la plaie d’Elarielle. Je crois. J’ai l’impression qu’il y a un filtre sur tout ce que je vois. Je me suis éloigné de quelques pas, si on peut appeler ça des pas quand on a affaire à une suite de déséquilibres mécaniques et erratiques. J’ai chopé une chaise. Je l’ai éclaté au sol avec la magie rouge. Je me suis effondré sur ses débris. J’hyperventile, le cerveau enflé par le manque d’oxygène dans ma boite crânienne douloureuse, les yeux exorbités. Je me griffe brutalement les bras, le visage, le cuir chevelu, dans un tel état de crise de panique que j’ai l’impression de crever, le cœur complètement comprimé, sur le point de s’écraser sur lui-même.
La suite est terriblement floue. Je savais même plus qui j’étais, ce que je foutais là et je repoussais juste tout ce qui s'approchait, mais aucun coup n’a porté. Je crois que c’était le pouvoir du type, de pas pouvoir être blessé si c’était volontaire. Ça m’a rassuré un peu. Si seulement tout le monde était comme lui.
Il a fallu du temps pour me dégager de là. On m’a emmené à l’infirmerie faire un check up, finir de me calmer. Je me laisse faire. Mécanique. Vu ce que j’en fais, je préfère leur léguer le contrôle. Je ne pleure plus. Je suis complètement amorphe, inattentif, incapacité. Assez pour qu’on me sollicite juste pour les étapes urgentes du dossier, vérifier mon état, et qu’on me mette une date de rendez-vous dans les mains pour gérer le problème. On a fini par me laisser partir lorsque je le demande.
Je peux pas rentrer chez moi. J’y arriverais pas.
Je me presse vers les toilettes les plus proches pour me faire gerber une seconde fois avant de finir la tête dans l’évier et de faire des trucs stupides. Stupides du genre frictionner l’intérieur de la bouche avec du savon dégueulasse comme si ça pouvait enlever le goût de sang, de plaie et de vomi encore omniprésent. Je reste plusieurs minutes la tête complètement sous l’eau froide et les personnes qui passent par là on la décence de me foutre la paix. Mais ça me réveille qu’à moitié. C’est comme avoir les paupières entrouvertes le matin. On se rendort vite. Je reste peut-être quoi... Une heure à bader dans les chiottes ? Assis.e par terre. L'incident me paraît tellement absurde et lointain.
Ce qui me sort davantage de ma léthargie, c’est l’électrochoc de voir la silhouette de Phil pour la deuxième fois de la journée. Il fait sombre à cette heure-là, mais pas assez pour que je ne le reconnaisse pas. Il marche vers la serre.
Le voir me fait percuter. Les événements reprennent le poids de leur importance et chaque pas est plus lourd que le précédent. J’hésite et finis par me laisser tomber dans l’herbe pour ne pas sentir mes jambes aussi fébriles. J’attends. Mais ça fait longtemps que la logique ne me commande plus et je cède à l'idée de le rejoindre, aussi inquiet pour son état qu’animé par l’égoïste besoin de savoir si son départ était définitif. L’idée d’être à nouveau abandonné est insurmontable, mais moins que celle du doute.